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Douloureux pour Carol, qui est apparue à la porte de la chambre les joues striées de larmes et le visage figé par une colère noire. « Tyler, m’a-t-elle lancé, il faut que tu arrêtes ça !

— Je fais ce que je peux. Il ne réagit pas aux opiacés. Il serait peut-être préférable d’en reparler demain matin.

— Mais tu ne l’entends pas ?

— Bien sûr que si.

— Cela ne veut rien dire ? a-t-elle interrogé. Ce son ne signifie rien pour toi ? Mon Dieu ! Il serait mieux entre les mains d’un charlatan de Mexico. Il serait mieux entre les mains d’un guérisseur. As-tu la moindre idée de ce que tu lui injectes ? Charlatan de merde ! Mon Dieu. »

Par malheur, elle exprimait à voix haute des questions que j’avais déjà commencé à me poser moi-même. Non, je ne savais pas ce que je lui injectais, pas au sens rigoureusement scientifique. J’avais cru aux promesses de l’homme de Mars, mais je ne pouvais pas vraiment me défendre ainsi auprès de Carol. Le processus se révélait plus difficile, nettement plus pénible que ce que je m’étais autorisé à attendre. Peut-être fonctionnait-il mal. Peut-être ne fonctionnait-il pas du tout.

Jase a émis un hurlement lugubre qui s’est terminé en soupir. Carol s’est bouché les oreilles. « Il souffre, foutu charlatan ! Regarde-le !

— Carol…

— Ne me sors pas des Carol, espèce de boucher ! J’appelle une ambulance. J’appelle la police ! »

J’ai traversé la pièce pour aller prendre par les épaules cette femme qui a semblé à la fois fragile et dangereusement vivante entre mes mains, comme un animal acculé. « Carol, écoutez-moi.

— Pourquoi, pourquoi devrais-je t’écouter toi ?

— Parce que votre fils m’a confié sa vie. Écoutez. Écoutez, Carol. Je vais avoir besoin d’aide. Je n’ai pas dormi depuis plusieurs jours. Je vais bientôt avoir besoin de quelqu’un pour rester près de lui, de quelqu’un d’assez calé sur le plan médical pour prendre des décisions en connaissance de cause.

— Tu aurais dû amener une infirmière. »

J’aurais dû, mais cela n’avait pas été possible, et ce n’était pas la question. « Je n’en ai pas. J’ai besoin que vous le fassiez. »

Elle a mis un moment à comprendre. Puis elle a reculé d’un pas en hoquetant de surprise. « Moi !

— Vous êtes toujours médecin, pour autant que je sache.

— Je n’ai pas pratiqué depuis… oui, des dizaines d’années…

— Je ne vous demande pas de procéder à une opération à cœur ouvert. Juste de surveiller sa pression sanguine et sa température. Vous pouvez le faire ? »

Sa colère s’est évanouie. Elle était flattée. Elle avait peur. Elle a réfléchi. Puis elle a posé sur moi un regard d’acier. « Pourquoi devrais-je t’aider ? Pourquoi devrais-je me rendre complice de ceci, de cette torture ? »

Je réfléchissais toujours à une réponse lorsqu’une voix a dit dans mon dos : « Oh, je t’en prie. »

La voix de Jason. L’une des caractéristiques du traitement médicamenteux martien était cette lucidité qui revenait de manière aléatoire et repartait à l’improviste. Apparemment, elle venait de réapparaître. Je me suis retourné.

Jase a grimacé et tenté de se redresser sans y arriver tout à fait. Mais il braquait sur nous un regard limpide.

Il s’est adressé à sa mère. « Vraiment, tu ne crois pas que tu exagères un peu ? Fais ce que Tyler te demande, s’il te plaît. Il sait ce qu’il fait et moi aussi. »

Carol l’a regardé bouche bée. « Mais moi, non. Je n’ai pas… Je veux dire, je ne peux pas…»

Puis elle nous a tourné le dos avant de sortir en titubant et en prenant appui sur le mur.

Je suis resté avec Jason. Le lendemain matin, Carol est entrée dans la chambre, l’air calme et sobre, pour proposer de me remplacer. Jason traversait une période de tranquillité, aussi n’avait-il pas vraiment besoin qu’on s’occupe de lui, mais je l’ai laissé entre les mains de sa mère et je suis allé rattraper mon retard de sommeil.

J’ai dormi douze heures. Lorsque je suis revenu dans la chambre, Carol s’y trouvait toujours et tenait la main de son fils inconscient, lui caressait le front avec une tendresse que je ne lui avais jamais vue.

La phase de guérison a commencé une semaine et demie après le début du traitement. Il n’y a pas eu de transition soudaine, d’instant magique. Les périodes de lucidité de Jason se sont juste allongées peu à peu tandis que sa pression sanguine se stabilisait non loin des valeurs normales.

Le soir du discours de Wun aux Nations unies, j’ai récupéré dans la partie de la maison réservée aux domestiques un téléviseur portable que j’ai placé dans la chambre de Jason. Carol nous a rejoints juste avant la diffusion.

Je ne pense pas que Carol ait cru en Wun Ngo Wen.

Sa présence sur Terre venait d’être annoncée officiellement le mercredi précédent. Sa photo figurait depuis plusieurs jours en une des journaux et on diffusait aussi des séquences vidéo sur lesquelles il traversait la pelouse de la Maison-Blanche sous le bras avunculaire du président en exercice. La Maison-Blanche avait bien précisé que Wun était venu nous apporter son aide, mais n’avait pas de solution immédiate au problème du Spin et ne savait pas grand-chose sur les Hypothétiques. Le public avait réagi avec circonspection.

Ce soir-là, Wun est monté sur l’estrade dans l’hémicycle du Conseil de sécurité et s’est avancé jusqu’au pupitre, qu’on avait ajusté à sa taille. « Eh bien, il est minuscule, s’est exclamée Carol.

— Un peu de respect, l’a réprimandée Jason. Il représente une culture qui a duré plus longtemps que toutes les nôtres.

— Il m’a davantage l’air de représenter la Guilde des sucettes. »

Les gros plans ont restauré la dignité de Wun. La caméra aimait ses yeux et son sourire évasif. Et lorsqu’il a parlé dans le microphone, cela a été d’une voix douce qui a rabaissé son registre aigu à un niveau plus terrien.

Wun savait (ou bien on lui avait fait comprendre) à quel point un Terrien normal trouverait son histoire improbable. (« Nous vivons vraiment une ère de miracles », avait affirmé le Secrétaire général dans son introduction.) Usant de son meilleur accent américain, il nous a donc tous remerciés pour notre hospitalité avant de parler avec nostalgie de sa planète et de la raison pour laquelle il l’avait quittée afin de venir sur la nôtre. Il a décrit Mars comme un endroit étranger mais humain à cent pour cent, le genre d’endroit qu’on aimerait visiter, peuplé de gens amicaux et riche de paysages intéressants, même si les hivers, il le reconnaissait, étaient souvent rudes.

(« On dirait le Canada », a dit Carol.)

Il s’est ensuite attaqué au fond du problème. Tout le monde voulait davantage d’informations sur les Hypothétiques. Le peuple de Wun n’en savait hélas guère davantage que nous : les Hypothétiques avaient encapsulé Mars pendant son voyage interplanétaire, laissant les Martiens aussi impuissants que nous l’avions été.