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Il a raccroché sans me laisser le temps de répondre.

J’ai appelé Jason, à qui j’ai relaté la conversation.

« Ouaouh », a-t-il dit. Puis : « À en croire les rumeurs, la compagnie d’E.D. est encore moins agréable qu’avant. Sois prudent.

— Je n’avais pas l’intention d’honorer le rendez-vous.

— Tu n’y es pas obligé, évidemment. Mais… tu devrais peut-être.

— J’ai assez soupé des manigances d’E.D., merci bien.

— C’est juste qu’il vaudrait peut-être mieux savoir ce qu’il a en tête.

— Tu es en train de me dire que tu veux que je le voie ?

— Seulement si ça te convient.

— Me convient ?

— C’est toi qui décides, bien entendu. »

J’ai donc pris ma voiture et j’ai remonté consciencieusement l’autoroute, passant devant les fanions décorant les bâtiments pour la fête nationale (on était le 3 juillet) et les vendeurs de drapeaux aux coins des rues (vendeurs dépourvus de patente et prêts à bondir dans leurs vieilles camionnettes), me ressassant tous les discours que j’avais jamais imaginés pour envoyer E.D. Lawton au diable. Le temps que j’atteigne le Hilton, le soleil se perdait derrière les toits et l’horloge à l’entrée indiquait 20 h 35.

J’ai trouvé E.D. en train de boire avec détermination dans un box. Il a eu l’air surpris de me voir. Puis il s’est levé, m’a pris par le bras, et m’a guidé jusqu’à la banquette de vinyle en face de la sienne.

« Un verre ?

— Je ne resterai pas assez longtemps pour ça.

— Bois un coup, Tyler. Ton comportement s’en trouvera amélioré.

— Cela n’a pas amélioré le vôtre, il me semble. Dites-moi juste ce que vous voulez, E.D.

— Quand on prononce mon nom comme une insulte, je sais avoir affaire à quelqu’un en colère. Pourquoi es-tu si en rogne ? À cause de cette histoire avec ta copine et ce docteur, mmh, Malmstein ? Écoute, il faut que je te dise, ce n’est pas moi qui ai arrangé ça. Je n’ai même pas assisté à la conclusion. J’avais un personnel trop zélé. Les choses ont été faites en mon nom, voilà tout.

— Excuse lamentable pour un comportement merdique.

— J’imagine, oui. Reconnu coupable. Je m’excuse. On peut changer de sujet ? »

J’aurais pu repartir à ce moment-là. J’imagine que je suis resté à cause de l’aura d’appréhension désespérée qu’il dégageait. E.D. restait capable de ce genre de condescendance inconsidérée qui l’avait rendu si cher aux yeux de sa famille, mais il avait perdu confiance en lui. Dans le silence séparant les éruptions vocales, ses mains ne tenaient pas en place. Il s’est caressé le menton, a plié et déplié une serviette en papier, s’est lissé les cheveux. Ce silence particulier a persisté jusqu’au milieu d’un deuxième verre. Qui n’était sans doute pas son deuxième. La serveuse était passée avec une familiarité désinvolte.

« Tu as un peu d’influence sur Jason, a-t-il fini par dire.

— Si vous voulez lui dire quelque chose, pourquoi ne pas lui parler directement ?

— Parce que je ne peux pas. Pour des raisons évidentes.

— Alors qu’est-ce que vous voulez que je lui dise ? »

E.D. m’a regardé fixement. Puis il a baissé les yeux sur son verre. « Je veux que tu lui dises de débrancher la prise du projet réplicateurs. Au sens propre, je veux dire. Couper la réfrigération. Tuer les réplicateurs. »

J’ai à mon tour affiché de l’incrédulité.

« Vous savez à quel point c’est improbable, bien entendu.

— Je ne suis pas idiot, Tyler.

— Alors pourquoi…

— C’est mon fils.

— Vous avez trouvé cela tout seul ?

— Il cesserait d’un coup de l’être à cause de nos différends politiques ? Tu me penses superficiel au point de ne pas pouvoir faire la part des choses ? Je ne l’aimerais pas parce que je ne suis pas d’accord avec lui ?

— Je ne sais de vous que ce que j’en ai vu.

— Tu n’as rien vu. » Il a failli ajouter quelque chose, mais a changé d’avis pour dire à la place : « Jason est un pion pour Wun Ngo Wen. Je veux qu’il ouvre les yeux et comprenne ce qu’il se passe.

— Vous l’avez élevé pour être un pion. Le vôtre. Et cela ne vous plaît pas de voir quelqu’un d’autre exercer ce genre d’influence sur lui.

— N’importe quoi. N’importe quoi. Enfin, bon, d’accord, on est dans les aveux, c’est peut-être vrai, je ne sais pas, on a peut-être tous besoin d’une thérapie familiale, mais là n’est pas le propos. L’important, c’est que tous les puissants du pays sont amoureux de Wun Ngo Wen et de son foutu projet réplicateurs. Pour la raison évidente qu’un tel projet ne coûte pas cher et semble plausible aux électeurs. Du coup, tout le monde se fout qu’il ne fonctionne pas, parce que rien d’autre ne fonctionne et si rien ne fonctionne, alors la fin est proche et chacun verra ses problèmes d’un autre œil quand le soleil rouge se lèvera. Pas vrai ? Je n’ai pas raison ? Ils maquillent la mariée, ils appellent cela un pari, un coup de poker, mais en réalité, c’est juste un tour de passe-passe destiné à distraire les ploucs.

— Analyse intéressante, mais…

— Tu crois que je serais là à te parler si je pensais que c’était une analyse intéressante ? Pose les bonnes questions, si tu veux discuter avec moi.

— Des questions comme ?…

— Comme : qui est vraiment Wun Ngo Wen ? Qui représente-t-il, et que veut-il en réalité ? Parce que malgré ce qu’on en dit à la télévision, ce n’est pas le Mahatma Gandhi déguisé en un de ces petits habitants du pays d’Oz. Il est là parce qu’il veut obtenir quelque chose de nous. Depuis le début.

— Le lancement des réplicateurs.

— De toute évidence.

— Est-ce un crime ?

— Mieux vaut demander : pourquoi les Martiens ne les lancent-ils pas eux-mêmes ?

— Parce qu’ils ne peuvent se permettre de parler pour la totalité du système solaire. Parce qu’un tel travail ne peut être entrepris unilatéralement. »

Il a roulé des yeux. « C’est ce que disent les gens, Tyler. Parler de multilatéralisme et de diplomatie, c’est comme dire “je vous aime” : ça sert à pouvoir baiser plus facilement. À moins, bien sûr, que les Martiens ne soient vraiment des esprits angéliques descendus du paradis nous délivrer du mal. Tu ne le crois pas, je pense. »

Wun l’avait si souvent dénié que je ne pouvais pas vraiment élever d’objection.

« Je veux dire, regarde leur technologie. Ces types sont dans la biotechnologie de pointe depuis quelque chose comme un millier d’années. S’ils avaient voulu peupler la galaxie de nanobots, ils auraient pu le faire il y a longtemps. Alors pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Si on exclut l’explication de leur nature meilleure, pourquoi ? De toute évidence, parce qu’ils craignent des représailles.

— De la part des Hypothétiques ? Ils n’en savent pas davantage que nous sur eux.

— Qu’ils disent. Cela ne signifie pas qu’ils n’en ont pas peur. Quant à nous… Nous sommes les trous du cul qui ont lancé une attaque nucléaire sur les artefacts polaires il n’y a pas si longtemps. Ouais, on prendra la responsabilité, pourquoi pas ? Nom de Dieu, Tyler, ouvre les yeux. C’est un coup monté classique. Cela pourrait difficilement être plus habile.