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J’ai voulu lui demander ce qu’il voulait dire par là, mais sa tête dodelinait sur la garniture des sièges et il m’a semblé plus attentionné de le laisser dormir.

Notre convoi comptait cinq voitures plus un transporteur de troupes dans lequel un petit détachement de fantassins se tenait prêt en cas d’ennuis.

Ce véhicule blindé, parallélépipédique, avait à peu près la taille de ceux utilisés par les banques régionales pour convoyer l’argent liquide dans un sens ou dans l’autre, aussi le confondait-on facilement avec un transporteur de fonds.

En fait, il se trouvait qu’un convoi de la Brink’s roulait dix minutes devant nous jusqu’à ce qu’il quitte l’autoroute pour prendre la direction de Palm Bay. Des guetteurs d’un gang – placés aux grandes intersections et communiquant par téléphone – ont confondu notre convoi avec celui de la Brink’s et nous ont désignés comme cible à leurs complices placés devant nous.

Ces criminels très organisés avaient déjà placé des mines terrestres sur une portion de la route contournant une réserve naturelle marécageuse. Ils étaient de surcroît équipés d’armes automatiques et de deux lance-roquettes, aussi un convoi de la Brink’s n’aurait-il pas pu résister longtemps : en moins de cinq minutes, les gangsters auraient procédé au partage du butin au fond des marais. Mais leurs guetteurs avaient commis une erreur capitale. S’attaquer à un convoyeur de fonds est une chose, s’en prendre à cinq véhicules sécurisés et un transporteur de troupes rempli de militaires très entraînés et de professionnels de la protection en est une tout autre.

Je regardais défiler l’eau verte et les cyprès chauves derrière la vitre teintée quand les lampadaires de l’autoroute se sont éteints.

Un pirate avait sectionné les câbles électriques enterrés. Soudain, l’obscurité a été vraiment obscure, un mur derrière la vitre, et je n’ai plus rien vu à la fenêtre que le reflet de ma propre surprise. « Wun…», ai-je dit.

Mais il dormait toujours, son visage ridé sans plus d’expression qu’une empreinte du pouce.

C’est alors que la voiture de tête a roulé sur une mine.

L’onde de choc a frappé comme un poing de métal notre véhicule blindé. Chaque composante du convoi roulait à distance prudente des autres, mais nous étions assez près pour voir la voiture de tête se soulever sur un jaillissement de flammes jaunes et retomber en feu sur le goudron, les roues tordues.

Notre chauffeur a fait une embardée et, sans doute en contradiction avec sa formation, a ralenti. La route était bloquée devant nous. Une autre explosion s’est alors produite à l’arrière du convoi, une autre mine, qui a expédié des morceaux de revêtement dans les marécages et nous a boxés avec une efficacité impitoyable.

Désormais réveillé, déconcerté et terrifié, Wun ouvrait des yeux aussi grands que des lunes, et presque aussi brillants.

Des coups de feu d’armes de petit calibre ont claqué au loin. Je me suis recroquevillé en tirant Wun vers le bas, lui et moi pliés sur nos ceintures de sécurité et cramponnés à leurs boucles. Le conducteur s’est arrêté et a saisi une arme sous le tableau de bord avant de jaillir en roulé-boulé par la portière.

Au même moment, douze hommes tout juste dégorgés par le transport de troupes derrière nous ont commencé à tirer dans le noir en essayant d’établir un périmètre. Les agents en civil à bord des autres véhicules ont entrepris de converger sur notre voiture, cherchant à protéger Wun, mais les coups de feu les ont cloués au sol avant qu’ils puissent nous atteindre.

La rapidité de la réaction a dû ébranler les pirates de la route. Ils se sont servis d’armes plus lourdes. L’une d’elles a tiré ce qu’on m’a dit plus tard être une roquette. Tout ce que je sais, c’est que je me suis soudain retrouvé sourd dans la voiture pleine de fumée et de verre brisé tandis qu’elle tournait autour d’un axe compliqué.

Puis, mystérieusement, la moitié de mon corps sortait par la portière arrière, mon visage reposait sur le gravier de la chaussée et un goût de sang me recouvrait la langue. Quelques pas plus loin, Wun gisait sur le flanc avec une chaussure en feu – une des chaussures de randonnée pointure enfant qu’il avait achetées pour le Grand Canyon.

Je l’ai appelé. Il a remué, un peu. Des balles pleuvaient derrière nous sur l’épave de la voiture, creusant des cratères dans l’acier. J’avais la jambe gauche engourdie. Je me suis approché de Wun en rampant et j’ai éteint les flammes de sa chaussure à l’aide d’un morceau de garniture. Wun a gémi et levé la tête.

Nos hommes ont répliqué, leurs balles traçantes s’enfonçant dans les marais de chaque côté de la route.

Wun a voûté le dos et s’est mis à genoux. Il ne semblait pas savoir où il se trouvait. Son nez saignait. Il avait le front déchiré, à vif.

« Ne vous levez pas », ai-je coassé.

Mais il a continué à essayer de se remettre debout, sa chaussure brûlée ballottant et puant.

« Pour l’amour du ciel », ai-je dit. J’ai tendu la main, mais il s’est dérobé. « Pour l’amour du ciel, ne vous levez pas ! »

Il a malgré tout fini par réussir à se hisser sur ses pieds et est resté debout, tremblant, silhouetté par l’épave en feu. Il a baissé les yeux et semblé me reconnaître.

« Tyler… Que s’est-il passé ? »

C’est à ce moment-là que les balles l’ont trouvé.

Beaucoup de gens avaient détesté Wun Ngo Gwen. Ils ne se fiaient pas à ses motifs, comme E.D. Lawton, ou le méprisaient pour des raisons plus complexes et moins défendables : parce qu’ils le croyaient un ennemi de Dieu, parce qu’il se trouvait avoir une peau noire, parce qu’il croyait à la théorie de l’évolution, parce qu’il personnifiait la preuve physique du Spin et les vérités dérangeantes sur l’âge de l’univers extérieur.

Beaucoup parmi ceux-là avaient songé à le tuer. La Sécurité intérieure avait intercepté et archivé des dizaines de menaces.

Ce n’était toutefois pas un complot qui l’avait tué. Mais un mélange d’avidité, d’erreur sur la personne et de témérité engendrée par le Spin.

Sa mort était tellement typique de la Terre que cela en devenait embarrassant.

On a incinéré le corps de Wun (après une autopsie et d’innombrables prélèvements d’échantillons) et on lui a accordé des funérailles nationales. Des dignitaires venus du monde entier ont assisté à la commémoration dans la cathédrale nationale de Washington. Le président Lomax a prononcé un long panégyrique.

On a envisagé d’expédier ses cendres en orbite, mais cela ne s’est jamais concrétisé. D’après Jason, on a stocké l’urne au sous-sol de la Smithsonian Institution en attendant les dispositions finales.

Elle s’y trouve sans doute encore.

Rentrer avant la nuit

J’ai donc passé quelques jours dans un hôpital des environs de Miami, le temps de me remettre de blessures bénignes, de décrire les événements aux enquêteurs fédéraux et d’accepter la mort de Wun. C’est durant ce séjour que j’ai résolu de quitter Périhélie pour ouvrir un cabinet médical privé.

J’ai toutefois décidé de ne pas en parler avant le lancement des réplicateurs. Je ne voulais pas ennuyer Jason avec cela à un moment critique.

En comparaison des efforts consentis les années précédentes pour la terraformation, le lancement des réplicateurs n’avait rien d’excitant. Ses résultats seraient peut-être encore plus grandioses et plus subtils, mais son efficacité même – un petit nombre de fusées sans minutage délicat – le privait de tout côté dramatique.