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(L’un pour les raisons habituelles, l’autre parce que son numéro était le dernier que j’avais donné à Diane. Il ne sonnait jamais pour autant. Et je n’ai pas essayé non plus de la contacter. Mais si je ne gardais pas ce numéro, elle n’aurait plus aucun moyen de me joindre, ce qui continuait à me sembler… eh bien, mal.)

J’appréciais mon travail, et dans l’ensemble j’appréciais mes patients. J’ai eu à soigner davantage de blessures par balles que je m’y serais attendu, mais nous vivions les années difficiles du Spin : en ce qui concernait les meurtres et les suicides, les courbes de tendances nationales avaient commencé à monter en flèche. Ces années-là, on aurait cru que toute personne de moins de trente ans portait un uniforme : armée, garde nationale, Sécurité intérieure, force de sécurité privée ; même les scouts et les éclaireurs, pour les enfants apeurés d’un monde au taux de natalité déclinant. Ces années-là, Hollywood s’est mis à débiter des films ultraviolents ou ultrareligieux dans lesquels, toutefois, on ne mentionnait jamais explicitement le Spin : tout comme l’acte sexuel et les mots le décrivant, le Conseil culturel de Lomax et le Conseil fédéral de l’audiovisuel l’avaient banni du « discours de divertissement ».

On a vu aussi, ces années-là, promulguer une série de nouvelles lois visant à expurger les archives martiennes. Les archives de Wun, au dire du président et de ses alliés au Congrès, renfermaient des connaissances intrinsèquement dangereuses qu’il convenait de réviser et de protéger. Les ouvrir au public serait revenu à « publier sur Internet les plans d’une bombe atomique tenant dans une valise ». Même les données anthropologiques se sont vues censurées : dans la version publiée, on définissait un Quatrième Âge comme « un aîné respecté ». Sans la moindre mention d’une longévité obtenue par voie médicale.

Qui voulait ou avait besoin de longévité, de toute manière ? La fin du monde approchait jour après jour.

Les scintillements en ont fourni une preuve à quiconque en aurait besoin.

Les scintillements ont commencé un an et demi après la réception des premiers résultats positifs du projet réplicateurs.

Jase m’avait en général tenu informé des dernières nouvelles des réplicateurs deux ou trois jours avant qu’elles n’apparaissent dans les médias. Elles n’avaient rien de spectaculaire en soi. Un satellite de surveillance NASA/Périhélie avait enregistré un signal très faible en provenance d’un corps connu du nuage d’Oort bien au-delà de l’orbite de Pluton – un bip périodique non codé qui était le bruit d’une colonie de réplicateurs approchant de la complétion (de la maturité, pour ainsi dire).

Ce qui semblait insignifiant tant qu’on n’en envisageait pas la signification.

Les cellules dormantes d’une biologie tout à fait originale et fabriquées par l’homme s’étaient posées sur un morceau de glace poussiéreuse au plus profond de l’espace. Ces cellules avaient entamé une forme de métabolisme d’une lenteur cauchemardesque au cours de laquelle elles avaient absorbé la maigre chaleur du lointain Soleil, chaleur qui leur avait permis de séparer quelques molécules d’eau et de carbone voisines et de se dupliquer avec les matériaux bruts ainsi obtenus.

Au fil de nombreuses années, cette colonie avait peut-être atteint la taille d’une bille de roulement. Un astronaute ayant accompli l’incroyablement long voyage et sachant exactement où regarder n’aurait vu qu’une fossette noire sur la régolithe roche/glace du planétésimal. Mais la colonie était un tout petit peu plus efficace que son ancêtre monocellulaire. Elle s’est mise à croître plus vite et à générer davantage de chaleur. L’écart de température entre la colonie et son milieu se limitait à une fraction de degré Kelvin (sauf lorsque de brefs accès reproductifs déversaient de l’énergie latente dans l’environnement local), mais il se maintenait.

D’autres millénaires (ou mois terrestres) se sont écoulés. Les sous-routines du substrat génétique des réplicateurs, activées par les gradients thermiques locaux, ont modifié la croissance de la colonie. Les cellules ont entrepris de se différencier. À la manière d’un embryon humain, la colonie a non seulement produit davantage de cellules, mais des cellules spécialisées, l’équivalent d’un cœur, de poumons, de bras et de jambes. Des vrilles se sont frayé un chemin dans le matériau du planétésimal afin d’en extraire des molécules carbonées.

Pour finir, des jets de vapeur microscopiques mais calculés avec soin ont commencé à ralentir (patiemment, au fil des siècles) la rotation de l’objet-hôte, jusqu’à ce que la colonie se retrouve orientée en permanence vers le Soleil. La différentiation a alors commencé pour de bon. La colonie a extrudé des raccordements carbone/carbone et carbone/silicone, puis a développé des filaments monomoléculaires pour relier ces raccordements, se hissant sur l’échelle de la complexité : lesdits raccordements ont généré des points sensibles à la lumière – des yeux – ainsi que la capacité à produire et traiter des microjets de bruit radio.

Et tandis que d’autres siècles passaient, la colonie élaborait et perfectionnait ses capacités jusqu’à pouvoir s’annoncer par un simple pépiement périodique, l’équivalent du cri d’un moineau tout juste éclos. Qu’avait détecté notre satellite.

Les médias ont exploité l’histoire deux jours durant (en ressortant des images de Wun Ngo Wen, de ses funérailles, du lancement) avant de la passer aux oubliettes. Après tout, il ne s’agissait que de la première étape de ce pour quoi les réplicateurs avaient été conçus.

Rien que ça. Aucun intérêt. À moins d’y réfléchir un peu plus de trente secondes.

C’était littéralement une technologie dotée d’une vie propre. Un génie sorti une fois pour toutes de sa bouteille.

Le scintillement s’est produit quelques mois plus tard.

Il représentait le premier signe d’une modification ou d’une perturbation de la membrane Spin… du moins, le premier à part ce qui avait suivi l’attaque des artefacts polaires par les missiles nucléaires chinois, durant les premières années du Spin. Ces deux événements ont été visibles sur tout le globe. Mais hormis cet important point commun, ils ne se ressemblaient en rien.

Après l’attaque chinoise, la membrane Spin avait semblé bégayer et se reformer, générant des images récurrentes du ciel en évolution, des lunes multiples et des étoiles tournoyantes.

Le scintillement était différent.

Je l’ai observé du balcon de mon appartement de banlieue. Par une chaude nuit de septembre. Certains de mes voisins se trouvaient déjà à l’extérieur lorsqu’il avait commencé. Tout le monde était désormais sorti. Nous nous tenions perchés sur nos balcons comme des étourneaux en train de jacasser.

Le ciel brillait.

Non d’étoiles mais de fils de feu doré d’une minceur infinitésimale, fendillant le ciel comme des éclairs sans chaleur. Ces fils bougeaient et se décalaient de manière erratique, certains vacillaient ou se fondaient dans le noir, de nouveaux se formaient parfois. C’était aussi fascinant qu’effrayant.

Il s’agissait non d’un événement local, mais global. Sur la partie éclairée de la planète, le phénomène se voyait à peine, noyé dans la lumière du jour ou masqué par des nuages ; en Amérique du Nord ou du Sud, tout comme en Europe occidentale, ce spectacle sur le ciel noir a provoqué quelques paniques sporadiques. Après tout, nous attendions la fin du monde depuis bien davantage d’années que la plupart d’entre nous n’avaient envie de compter. Cela ressemblait au minimum à son prélude.