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Cette fois, Rissa rit franchement.

— Si l’on devait se multiplier au point de remplir l’univers, la tâche serait ardue.

— Je croyais que se reproduire était une activité appréciée des humains.

Rissa grimaça en songeant à son mari.

— Par certains plus que d’autres.

— Pardonnez-moi si je suis indiscrète, dit Petit wagon, mais PHANTOM a précédé la traduction de votre phrase d’un signe indiquant une nuance ironique. Il s’agit certainement d’un manque de discernement de ma part, mais j’ai l’impression que je n’ai pas bien compris ce que vous vouliez dire.

Rissa regarda son interlocutrice : un fauteuil roulant sans visage de six cents kilos. Avait-elle vraiment l’intention de discuter de ses problèmes avec ça ? Qu’est-ce qu’une créature asexuée pour qui la vie humaine n’était qu’un bref intermède pouvait connaître de l’amour et du mariage ? Comment comprendrait-elle les différents stades d’une vie de couple ? Les différentes étapes que traversait un homme ?

Pourtant…

Pourtant, Rissa ne pouvait espérer parler de ces problèmes avec personne d’autre à bord. Son mari était le directeur de Starplex – le capitaine aurait-on dit autrefois. Un poste qui le rendait trop vulnérable aux médisances pour qu’elle prenne le risque de l’abaisser aux yeux de ses subordonnés.

Sabrina, l’amie de Rissa, était mariée à Gary, et Gary traversait exactement la même période. Mais Gary n’était qu’un simple météorologue, pas un homme constamment exposé aux yeux de tous.

Rissa songea qu’elle n’était pourtant qu’une biologiste, et Keith un sociologue. Par quel hasard se retrouvait-elle la femme d’un homme public dont la vie conjugale semblait intéresser tout le monde ?

Elle ouvrit la bouche dans l’intention de déclarer à Petit wagon que ce n’était rien, que PHANTOM avait pris pour de l’ironie ce qui n’était que l’expression de sa fatigue ou peut-être de sa déception face à l’échec de leur dernière expérience, puis se ravisa.

Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas discuter de cela avec un Ebi ? La médisance était un défaut des formes vivantes individuelles, pas des êtres gestalt. Et ce serait un tel soulagement de partager ce fardeau avec quelqu’un !

— Eh bien, commença-t-elle lentement, se donnant une dernière chance de reculer.

Après une pause, elle se lança :

— Keith vieillit.

Quelques lumières clignotèrent sur le filet sensoriel de Petit wagon.

— Oh, je sais, reprit Rissa en levant la main. Il est toujours très jeune suivant les standards ebis, mais pour un humain, il arrive à un palier important de sa vie. Pour les femmes, cela se traduit par des modifications hormonales qui mettent un terme à leur pouvoir de procréer. Nous nommons ce phénomène la ménopause.

De nouvelles lumières s’allumèrent sur le filet indiquant un assentiment.

— Mais pour les hommes, ce n’est pas aussi net. En fait, ils se contentent de sentir leur jeunesse s’éloigner et commencent à se poser des questions sur eux-mêmes, sur leur vie, ce qu’ils ont accompli, leur statut, leur carrière… et leur pouvoir de séduction. Par exemple, ils craignent de ne plus plaire autant aux femmes.

— Et Keith vous plaît toujours ?

La question prit Rissa au dépourvu.

— Euh… Je ne l’ai pas épousé pour son physique, répondit-elle à sa propre surprise.

Ce n’était pas exactement ce qu’elle avait eu l’intention de dire.

— Mais, oui. Oui, il me plaît toujours, ajouta-t-elle rapidement.

— Je ne devrais sans doute pas émettre cette remarquent, et je vous prie d’avance de me pardonner, mais il perd ses cheveux, déclara Petit wagon.

Rissa s’esclaffa.

— Je m’étonne que vous remarquiez ce genre de choses.

— Sans vouloir vous offenser, je dois vous avouer que différencier un humain d’un autre est très difficile pour nous, surtout lorsqu’ils sont très proches et visibles uniquement par une partie de notre filet sensoriel. Aussi, nous attachons-nous beaucoup aux caractéristiques individuelles. Nous savons à quel point les humains se vexent quand quelqu’un qui, selon eux, devrait les reconnaître, les confond avec une autre personne. J’ai remarqué que votre mari avait perdu des cheveux et changé de teinte, deux signes qui, je le sais, signifient pour vous qu’un homme devient moins séduisant.

— Sans doute, acquiesça Rissa. Pour certaines femmes.

Au fond d’elle-même, elle se trouva ridicule. À quoi cela ressemblait-il de simuler devant une créature étrangère ?

— C’est vrai que je le préférais avec plus de cheveux, reconnut-elle alors. Mais c’est un détail.

— Dans ce cas – pardonnez-moi de me montrer aussi obtuse –, mais si Keith vous plaît toujours, je ne comprends pas votre problème.

— Le problème, c’est que lui se moque de savoir s’il me plaît toujours. Au bout de plusieurs années, le fait de plaire à l’autre dans un couple est considéré comme acquis. Sans doute est-ce pour cette raison que tant d’hommes grossissent une fois mariés. Non, ce qui inquiète Keith en ce moment, j’en suis persuadée, c’est de savoir s’il est encore capable de plaire à une autre femme.

— L’est-il ?

Rissa faillit répondre affirmativement, puis elle hésita et, pour la première fois, se posa la question.

— Oui, je crois, dit-elle finalement. On dit souvent que le pouvoir est le meilleur aphrodisiaque qui soit. Et personne ne détient plus de pouvoir que Keith au sein de notre petite communauté.

— Dans ce cas, pardonnez encore mon ignorance, mais le problème devrait être résolu puisqu’il a la réponse à sa question.

— Non. Car il risque d’avoir besoin de se prouver à lui-même qu’il peut toujours plaire.

— Il n’a qu’à faire un référendum.

Rissa éclata de rire.

— C’est impossible, répondit-elle avant d’ajouter, de nouveau sérieuse : Keith ne croira qu’aux résultats de sa propre expérience.

Deux lumières clignotèrent.

— Oh ?

Rissa fixa un point sur le mur devant elle.

— Dès que nous nous retrouvons en groupe, je remarque qu’il passe beaucoup trop de temps à discuter avec les autres femmes.

— Que signifie « beaucoup trop » ?

— Plus qu’avec moi, répondit Rissa avec une petite moue. Et le plus souvent, il parle à des femmes deux fois plus jeunes que lui… et que moi.

— Cela vous inquiète ?

— Je crois.

Petit wagon considéra cette réponse un bref instant, puis déclara :

— Mais n’est-ce pas naturel ? Vous m’avez dit vous-même que tous les hommes passaient par ce stade.

— Sans doute, oui.

— Personne ne peut combattre la nature, Rissa, rappela Petit wagon en désignant d’un de ses tentacules le moniteur affichant les résultats de leur dernière expérience sur la limite de Hayflick. Je commence moi-même à m’en rendre compte.

V

— Je veux un échantillon du matériau constituant ces sphères, aboya Jag, debout devant sa station de travail.

Keith serra les dents et songea une fois encore à demander à PHANTOM d’adoucir les paroles du Waldahud en insérant dans sa traduction des formules de politesse humaines, telles que « s’il vous plaît » ou « merci ».

— Voulez-vous que nous envoyions une navette ? s’enquit-il en regardant le visage à quatre yeux de Jag, ou préférez-vous y aller vous-même ?

Dans ce dernier cas, il serait ravi de lui montrer le sas de sortie.