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Configuré comme celui de Rissa, le laboratoire de Jag était décoré (si l’on pouvait employer un tel terme dans ce cas) dans le plus pur style waldahud. Trois sièges polymorphes différents faisaient face au bureau, rappelant que les Waldahuds détestaient les produits de série, et se donnaient l’illusion de posséder des objets uniques en multipliant les modèles. Rissa s’installa dans le fauteuil du milieu et regarda Jag de l’autre côté de son grand bureau trop bien rangé.

— Alors, commença-t-elle, je suppose que vous avez analysé les échantillons ramenés hier. Quel genre de matériau compose ces sphères ?

Le Waldahud haussa ses quatre épaules.

— Je l’ignore. Pour un faible pourcentage, il s’agit de carbone, d’atomes d’hydrogène et des résidus spatiaux habituels. Mais le matériau principal ne répond à aucun des tests standards. Il ne se consume ni dans l’oxygène ni dans un autre gaz, et ne possède pas de charge électrique. Malgré toutes mes tentatives, je n’ai pas réussi à éliminer les électrons pour obtenir un noyau chargé positivement. Delacorte est en train d’étudier un des échantillons dans le laboratoire de chimie.

— Et les particules prélevées dans le brouillard ?

— Je vais vous montrer, répondit Jag, une tonalité inhabituelle dans ses aboiements.

Ils sortirent du laboratoire et longèrent un couloir jusqu’à une chambre d’isolation.

— Voilà les échantillons, indiqua Jag en tendant un de ses bras du milieu vers un renfoncement cubique d’environ un mètre carré fermé par une vitre.

Rissa regarda à travers la paroi vitrée et fronça les sourcils.

— Ce caillou, là, il est plat au-dessous ?

Jag suivit son doigt.

— C’est impossible ! Que… ?

On ne voyait plus que le dôme de la pierre en œuf de poule, à demi enfoncée dans le sol de la chambre d’isolation. En observant plus attentivement, Jag s’aperçut que les cailloux plus petits s’enfonçaient eux aussi. Il compta les fragments restants. Ils n’étaient plus que six. Les autres avaient probablement disparu dans le sol du cube, ne laissant aucune trace derrière eux.

— Ça fond carrément dans le sol, dit Jag.

Il leva les yeux vers le plafond.

— Ordinateur central ?

— Oui ? répondit PHANTOM.

— Je veux g-zéro dans cette chambre d’isolation. Immédiatement.

— À vos ordres.

— Bien… Ou plutôt, non ! Je veux g-cinq, mais en provenance du plafond, pas du sol. Compris ? Il faut que la gravité attire les objets vers le haut.

— Compris, acquiesça PHANTOM.

Fascinés, Rissa et Jag regardèrent la pierre en forme d’œuf s’élever lentement vers le plafond de la chambre d’isolation. Avant qu’elle ait achevé son ascension, des cailloux plus légers sortirent du sol et parurent tomber littéralement vers le haut. Mais au lieu de ricocher sur la paroi comme on s’y serait attendu, ils s’y enfoncèrent délicatement, tels du gravier dans du goudron.

— Ordinateur, faites osciller les champs de gravité pour que les objets restent en suspension entre le haut et le bas, puis passez à g-zéro.

— À vos ordres.

— C’est incroyable ! s’exclama Rissa. Ce truc traverse la matière.

Jag grogna.

— L’accélération du retour a dû pousser les échantillons prélevés par le premier vaisseau à travers les parois.

Subissant à la fois la gravité du plafond et du sol, les cailloux flottaient au milieu de la chambre d’isolation. Soudain, la fourrure de Jag se hérissa : au lieu de s’entrechoquer comme il s’y attendait, les cailloux, à quelques millimètres de distance, se repoussaient.

— Force magnétique, commenta Rissa.

Jag haussa ses épaules inférieures.

— Non. Le phénomène ne peut pas être magnétique puisqu’il n’y a pas de charge.

Grâce aux quatre bras articulés se terminant en émetteurs de faisceaux tracteurs à l’intérieur de la chambre d’isolation, Jag bloqua deux morceaux de caillou d’environ un centimètre de diamètre et les poussa l’un vers l’autre. Tout se déroula normalement jusqu’à ce que les deux morceaux ne soient plus qu’à quelques millimètres de distance et refusent de se rapprocher malgré la pression de plus en plus forte des faisceaux.

— Incroyable ! fit Jag. Une force inconnue les repousse. Une force répulsive non magnétique. Je n’ai jamais rien vu de pareil.

— C’est sans doute cette force qui empêche les particules formant le brouillard de fusionner.

Jag haussa ses épaules supérieures.

— Probablement. Et l’effet de voile que nous observons est dû au fait que ces espèces de cailloux restent coincés entre les sphères par la gravité, mais ne se rapprocheront jamais plus les uns des autres qu’aujourd’hui.

— Ce que je ne comprends pas, c’est comment ils ont pu se former. Ils devraient exploser sous l’effet de la force répulsive.

— Ils doivent être liés chimiquement. J’imagine qu’une pression supérieure à la force de répulsion que nous observons a lié les atomes qui les constituent, et qu’elle seule pourrait les obliger à se regrouper en corps plus importants.

— Mon Dieu ! s’exclama Rissa. Vous savez à quoi cela me fait penser… ?

Les quatre yeux de Jag s’écarquillèrent.

— Les Claqueurs ! Tout ce que nous avons vu jusqu’alors, c’est le pouvoir de leurs armes sur nos vaisseaux. Mais s’ils les dirigeaient sur une planète, cela pourrait donner ce genre de chose. L’arme maléfique par excellence : non seulement, elle détruit des univers entiers, mais elle empêche ce qu’il en reste de se regrouper pour reformer d’autres planètes.

— Et maintenant, il y a un transchangeur ouvert entre ici et les planètes du Commonwealth. Si jamais ils le traversent…

Rissa fut interrompue par un signal sonore provenant du mur du laboratoire où se matérialisa bientôt le visage de Cynthia Delacorte.

— Jag, c’est… Oh, bonjour, Rissa. Écoutez, merci de m’avoir envoyé ces échantillons. Vous avez vu que ce truc traverse la matière.

Jag haussa ses épaules supérieures.

— Incroyable, non ?

Delacorte hocha la tête.

— C’est le moins qu’on puisse dire. Ce n’est ni de la matière baryonique, ni de l’antimatière, évidemment. Autrement, nous aurions déjà explosé. Mais alors que les protons et les neutrons normaux se composent de quarks down et up, ce matériau contient des quarks matt et glossy.

Une onde d’excitation fit frissonner la fourrure de Jag.

— Je n’ai jamais entendu parler de ces types de quarks, remarqua Rissa.

Le Waldahud émit un petit grognement de mépris, mais Delacorte expliqua :

— Depuis le XXe siècle, les humains ont découvert six saveurs de quarks : up, down, top, bottom, strange et charmed. Comme six était le nombre maximum de saveurs susceptibles d’être trouvées d’après le vieux modèle standard de physique, on a arrêté les recherches dans ce domaine. Ce qui était une grosse erreur.

Elle désigna Jag avant de poursuivre :

— Les Waldahuds, eux aussi, n’avaient trouvé que ces six saveurs. Mais les Ebis, eux, en connaissaient deux autres, que l’on nomme désormais matt et glossy. Il n’existe aucun moyen de les trouver en cassant la matière normale, mais les Ebis ont réalisé un travail formidable en parvenant à arracher la matière aux fluctuations quantiques. Au cours de leurs expériences, il leur est arrivé de produire des quarks matt et glossy, mais uniquement à très hautes températures. Tandis que là, nous avons devant nous les premiers quarks matt et glossy d’origine naturelle.