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Selon son habitude, Thorald Magnor était adossé à son fauteuil, les deux mains croisées derrière sa tête rousse, ses énormes pieds sur sa console.

— Je croyais que nous savions déjà ce qu’est la matière noire, remarqua-t-il.

— Seulement en partie, répliqua Jag en levant deux de ses quatre mains. Nous savons depuis longtemps que la matière baryonique – la matière constituée de protons et de neutrons – représente moins de 10 % de la masse de l’univers. En 2037, on s’est aperçu que la masse de l’inévitable neutrino tau-ique était extrêmement légère, à peu près l’équivalent de sept électron-volts, et celle du neutrino muon-ique encore plus ridicule, avec environ trois millièmes d’électronvolt. Étant donné l’abondance de ces deux types de neutrinos, leur masse totale est tout de même près de trois ou quatre fois supérieure à celle des baryons. Mais il nous reste – ou du moins, nous restait – encore à découvrir ce qui est à l’origine des deux tiers de la masse totale de l’univers.

— Qu’est-ce qui vous fait penser que ce que nous avons trouvé là est bien de la matière noire ? interrogea Keith.

— Tout d’abord, commença Jag, il ne s’agit pas de matière ordinaire. C’est indubitable.

Il essayait de cacher la main avec laquelle il se retenait à la console de Thor pour ne pas tomber sur ses quatre pattes postérieures. Le rythme quotidien des Waldahuds était beaucoup plus court que celui des autres races, et Starplex s’y était adapté en fonctionnant selon un système de quatre roulements journaliers. Mais, aujourd’hui, Jag avait largement dépassé son quota de travail.

— Au début des recherches sur la matière noire, les astronomes humains supposèrent qu’elle était formée de deux matériaux, qu’ils nommèrent WIMP et MACHO. Finalement, les WIMP, ou particules massives à interactions faibles, s’avérèrent être les neutrinos tau-iques et muon-iques.

— Et les MACHO ? demanda Keith.

— Objets Massifs Compacts à Halo. Le halo étant supposé être la sphère de matière noire située au centre des galaxies, et les objets massifs compacts, des milliards de corps de la taille de Jupiter liés à aucune étoile. Le résultat serait une sorte de brouillard de mondes gazeux au sein duquel évolueraient les matériaux lumineux de la galaxie.

Penchée en avant, le menton dans la main, Lianne intervint :

— Si l’univers est réellement rempli de ces objets, j’ai du mal à croire que nous ne les ayons pas encore repérés à ce jour.

Jag se tourna vers elle.

— Qu’est-ce que des objets de la taille de Jupiter à l’échelle cosmique ? répliqua-t-il. En outre, comme il s’agit de matière non lumineuse, nous ne pouvons les voir que si l’un d’entre eux passe devant une étoile que nous observons à ce moment précis. Et encore, le résultat sera si léger – un surcroît d’éclat momentané de l’étoile dû à la légère déviation gravitationnelle de sa lumière – que nous avons toutes les chances de ne rien remarquer. De tels phénomènes ont déjà été répertoriés, la plus ancienne observation de ce type ayant été effectuée par des astronomes humains en 1993. Mais, même si l’espace était rempli de MACHO – suffisamment pour qu’ils représentent les deux tiers de la masse totale de l’univers –, seule une étoile sur les cinq millions que nous pouvons observer à un moment donné serait susceptible de présenter une telle déviation.

Il montra du doigt la zone clignotante du champ d’étoiles.

— Les effets que nous voyons ici sont dus à la proximité du champ de matière noire et à la transparence de cette matière. En fait, nous n’avons devant nous que de la poussière interstellaire ordinaire en suspension dans des corps de matière noire.

Keith adressa un regard interrogateur à Rissa. Voyant qu’elle n’émettait pas d’objection, il déclara :

— Eh bien, ça ressemble effectivement à une découverte importante qui mérite plus de…

— Pardonnez cette interruption, coupa Losange, mais je détecte une pulsation de tachyons.

Il fit pivoter l’hologramme du champ d’étoiles autour du pont de façon à placer le transchangeur à l’avant-centre. Jag se laissa aussitôt tomber dans son fauteuil à la gauche de Keith. Le transchangeur ressemblait à une pointe d’aiguille verte (la couleur de l’objet en train de le traverser) entourée de l’habituel anneau violet de radiations Soderstrom.

— C’est un vaisseau du Commonwealth ? demanda Keith.

— Non, répondit Losange. Je ne reçois aucun signal.

Le point vert continuait à grossir.

— C’est incroyablement brillant.

Losange avait raison. Le transchangeur était maintenant le point le plus brillant de l’espace, plus brillant même que l’étoile classe A désignée par Jag un peu plus tôt.

— Quoi que ce soit, mieux vaut lui laisser de la place, intervint Keith. Thor, éloignez le vaisseau.

— À vos ordres.

Keith se tourna vers la gauche.

— Jag, analyse spectrale.

Le Waldahud parcourut l’un de ses écrans.

— Hydrogène, hélium, carbone, nitrogène, oxygène, néon, magnésium, silicone, fer…

— On dirait du vert pur. Il pourrait s’agir d’un rayon laser ?

Jag tourna ses deux yeux droits vers Keith, les deux autres toujours fixés sur son écran.

— Non. Il n’y a rien de cohérent dans cette lumière.

La pointe d’aiguille verte était devenue un cercle brillant de plusieurs mètres de diamètre.

— Et des gaz de combustion ? proposa Lianne. Émis par un vaisseau qui sortirait par l’arrière ?

Jag lut de nouvelles données.

— Dans ce cas, il s’agirait de moteurs d’une puissance peu commune.

Keith quitta sa console et vint s’installer derrière Losange pour demander :

— Y a-t-il un moyen de contacter ce vaisseau ?

L’un des tentacules de l’Ebi frappa une touche de son clavier.

— Je suis désolé, mais je ne détecte aucun système de communication conventionnel. Ils émettent une quantité énorme d’IME. Je pourrais essayer une liaison radio hyperspatiale, mais j’ignore à quel niveau quantique ils communiquent.

— Progressez du plus bas vers le plus élevé par séquences standards de nombres premiers.

Un autre coup de tentacule.

— Transmission en cours. Mais il nous faudra l’éternité pour tester chaque niveau.

Keith regarda Rissa.

— Finalement, on dirait que tu vas l’avoir, ton premier contact… Nom de Dieu ! Ce truc est incroyablement lumineux !

Une lumière verte baignait maintenant tous les objets du pont n’appartenant pas à l’hologramme. Les ombres des membres de l’équipage se découpaient sur la zone réservée aux visiteurs derrière les stations de travail.

— Sans le filtre de la caméra, ce serait encore beaucoup plus brillant, indiqua Jag.

— Qu’est-ce que ça peut bien être ? demanda Keith en le regardant.

— En tout cas, ce truc dégage une quantité phénoménale de particules chargées. Peut-être s’agit-il d’un canon à particules.

Le cercle continuait à s’agrandir.

— On en est à cent dix mètres de diamètre pour l’instant… Cent cinquante ! reprit Jag dans un aboiement incrédule. Deux cent cinquante… Cinq cents… Un kilomètre… Deux kilomètres !

Keith fit volte-face vers l’image flamboyante de l’hologramme… et rabattit vivement un bras sur ses yeux en criant.

— Aïe !

L’un des tentacules de Losange claqua bruyamment près de lui – le cri de douleur des Ebis.

— Je vous prie de me pardonner, s’excusa celui-ci après avoir légèrement assombri l’hologramme un instant plus tard. Les compensateurs automatiques ne sont pas prévus pour un objet aussi brillant. J’ai dû passer en contrôle manuel d’image.