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On avait profité de l’arrêt à Rehbollo pour embarquer cinq nouveaux chercheurs : un Ebi et deux Waldahuds spécialistes de la matière noire, un dauphin et un humain travaillant sur l’évolution stellaire. Ils avaient tous abandonné leurs recherches en cours pour rejoindre Starplex par le transchangeur le plus proche et se retrouver sur la zone d’embarquement de Flatland à l’heure du départ.

En accord avec les prévisions de Lianne, les réparations durèrent exactement dix-huit heures. Thor reprit alors le contrôle du vaisseau qu’il pilota jusqu’au transchangeur vers son point de départ, à proximité du champ de matière noire et de la mystérieuse étoile verte.

XI

À l’origine, les concepteurs de Starplex avaient prévu de placer le bureau du directeur à côté du pont central. Mais Keith, qui estimait qu’un directeur devait être vu un peu partout dans le vaisseau, refusa de s’installer dans cette zone isolée. On lui aménagea alors une grande pièce de seize mètres carrés sur le pont quatorze, à peu près au milieu d’un des côtés du triangle du module d’habitation numéro deux. De la baie vitrée qui formait l’un des murs, il voyait, perpendiculaire au sien, le module numéro trois, et, à quatre-vingt-dix degrés, seize étages plus bas, une partie du toit cuivré circulaire du disque central qu’ornait, dans l’anguleuse calligraphie des Waldahuds, le nom du vaisseau.

Keith s’assit derrière son long bureau rectangulaire en acajou véritable. Sur le plateau le dévisageaient les hologrammes encadrés de sa femme Rissa, très exotique dans sa longue robe traditionnelle de flamenco, et de son fils Saul, vêtu d’un sweat-shirt Harvard et arborant l’amusante barbiche actuellement en vogue chez les jeunes hommes. Près des hologrammes trônait une maquette au 1/600 de Starplex. Les globes de la Terre, de Rehbollo et de Flatland s’alignaient sur une table derrière le bureau, aux côtés d’un plateau de go surmonté de pièces en ardoise et en coquillage blanc polis. Au-dessus de la table, une reproduction encadrée d’une peinture d’Emily Carr représentait un totem Haida dans une forêt des îles de la Reine Charlotte. Deux plantes en pots, un grand canapé, trois sièges polymorphes et une table basse décoraient le reste de la pièce.

Keith avait ôté ses chaussures et posé ses pieds sur son bureau (une position que, contrairement à Thor, il s’interdisait sur le pont central, mais pratiquait fréquemment dès qu’il se retrouvait seul). Confortablement adossé à son fauteuil, il parcourait le dernier rapport de Hek sur les émissions radio interceptées près du champ de matière noire quand la sonnette de sa porte retentit.

— Jag Kandaro em-Pelsh, annonça PHANTOM.

Avec un soupir, Keith se redressa et fit signe à l’ordinateur de laisser entrer son visiteur. La porte glissa devant Jag qui s’avança, les narines frémissantes. Keith songea avec agacement que le Waldahud sentait probablement l’odeur de ses pieds.

— Que puis-je pour vous, Jag ? demanda-t-il.

Son visiteur toucha le dossier d’un des sièges polymorphes qui se configura immédiatement à ses dimensions, puis s’assit avant d’aboyer :

— Peu de héros de votre littérature m’intéressent, mais Sherlock Holmes fait partie de ceux-là.

Keith haussa un sourcil. Direct, arrogant – il n’avait pas de mal à comprendre pourquoi Jag aimait ce personnage.

— J’apprécie surtout sa façon de présenter de longues démarches mentales sous forme de maximes, poursuivit son interlocuteur. L’une de mes préférées dit que « la vérité est le résidu, si improbable qu’il paraisse, qui demeure quand les choses qui ne peuvent pas être sont éliminées ».

Pour une fois, les propos du Waldahud firent sourire Keith. Ce qu’avait écrit Conan Doyle était en fait : « Éliminez l’impossible, et ce qui reste, bien qu’improbable, doit être la vérité. » Si l’on considérait que cette phrase avait été traduite une première fois en waldahud, puis de nouveau en anglais, le résultat n’était pas si mauvais…

— Et alors ? fit Keith.

— Eh bien, ma première suggestion selon laquelle cette étoile de quatrième génération était une sorte d’anomalie est infirmée par l’apparition d’une étoile identique à Rehbollo 376A. En revanche, si j’applique la maxime de Holmes, je crois que je connais maintenant l’origine de ces deux étoiles, et probablement de toutes celles sorties des autres transchangeurs.

Jag s’arrêta, attendant visiblement que Keith le prie de poursuivre.

— C’est-à-dire ? fit alors ce dernier avec agacement.

— Le futur.

Keith ne put retenir un éclat de rire. Un éclat de rire bref qui ressemblait tellement à un aboiement que le Waldahud n’en perçut peut-être pas la nuance ironique.

— C’est l’explication la plus logique. De toute façon, ces étoiles vertes n’ont pas pu se former dans un univers aussi jeune que le nôtre. Un exemplaire unique pouvait encore être considéré comme une sorte de monstre, mais pas deux ou plus.

Keith secoua la tête.

— Peut-être viennent-elles de… Je ne sais pas, moi… Une région particulière de l’espace ? Elles ont peut-être évolué à proximité d’un trou noir dont la pression gravitationnelle aurait accéléré les processus de fusion.

— J’y ai pensé, dit Jag. Ou plutôt, j’ai pensé à d’autres scénarios du même genre, plus probables. Mais aucun d’eux ne colle vraiment avec les données récoltées. Grâce aux proportions d’isotopes, j’ai pu réaliser une datation isométrique du matériau que Longuebouteille et moi avons ramassé dans l’atmosphère de l’étoile verte. Les atomes de métal lourd de cette étoile ont vingt-deux milliards d’années. Cela ne signifie pas que l’étoile elle-même est aussi vieille, bien sûr, mais qu’un grand nombre des éléments qui la composent le sont.

— Je croyais que toute la matière de l’univers avait le même âge, dit Keith.

Jag haussa ses épaules inférieures.

— C’est exact, hormis pour la petite quantité de matière qui se crée constamment à partir de l’énergie, et le fait qu’au cours de certaines réactions des neutrons peuvent se transformer en paires de protons-électrons, et vice versa. Sinon, toutes les particules fondamentales de l’univers sont apparues peu de temps après le Big Bang. En revanche, les atomes qu’elles forment peuvent être créés ou détruits par fission ou fusion à n’importe quel moment.

— Euh… oui, acquiesça Keith, mal à l’aise. Donc, d’après vous, notre étoile verte est formée d’atomes de métal lourd bien plus anciens que notre univers.

— Exact. Et je ne vois qu’une seule explication à cela : cette étoile vient du futur.

— Mais… vous venez de dire que les étoiles vertes sont des milliards d’années plus vieilles que nos étoiles habituelles. Vous croyez vraiment qu’elles auraient pu voyager des milliards d’années en arrière ! C’est impossible.

Jag renifla avec mépris avant de répondre :

— À partir du moment où l’on accepte la notion de voyage dans le temps, le nombre d’années en avant ou en arrière me semble d’une importance très secondaire. Si ce type de déplacement existe vraiment, le reste n’est plus qu’une question d’avance technologique et d’énergie disponible. Ce qui, à mon avis, ne doit pas manquer à une race capable de déplacer des étoiles.

— Je croyais les voyages à travers le temps impossibles.