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Jag haussa ses quatre épaules.

— On disait la même chose des déplacements instantanés et de la vitesse supérieure à la lumière avant la découverte des transchangeurs et de l’hyperpropulsion. Je n’ai pas la moindre idée de la façon dont on peut se déplacer dans le temps, mais de toute évidence, c’est possible.

— Il n’y a pas d’autre explication ? demanda Keith.

— Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai envisagé d’autres possibilités, comme un univers parallèle qui rejoindrait le nôtre par les transchangeurs. Mais, hormis son âge, le matériau qui compose ces étoiles ressemble en tout point à un matériau formé dans notre univers, à partir de notre Big Bang et selon les lois physiques en action ici.

— D’accord, d’accord, fit Keith en l’arrêtant d’une main levée. Mais pourquoi envoyer des étoiles du futur vers le passé ?

— Voilà la première question sensée de notre conversation, lança Jag.

Keith serra les dents.

— Et quelle en est la réponse ?

— Je n’en ai aucune idée, fit le Waldahud en haussant ses deux paires d’épaules.

De retour dans le long couloir sombre et glacé, Keith songea avec résignation que chaque race à bord de Starplex finissait immanquablement par agacer les autres. Parmi les manies humaines particulièrement insupportables pour les Waldahuds, les Ebis et les dauphins, l’habitude de former des noms à partir des premières lettres de plusieurs mots (un phénomène désigné par tous sous le terme terrestre d’« acronyme », les autres langues n’ayant pas d’expression appropriée) venait en bonne place. Ainsi, Keith se souvint que lorsque Starplex n’était encore qu’un projet, certains humains le surnommaient BAGNE ou « Base de l’amitié galactique des nations évoluées », par dérision envers les conditions qu’auraient à partager les quatre races.

Et aujourd’hui, il n’était pas loin de penser que son vaisseau ressemblait effectivement à une cage…

Pourtant, tout avait été conçu pour répondre au maximum aux besoins de chacun. L’atmosphère se composait d’hydrogène et d’oxygène, éléments indispensables aux quatre races, avec une concentration de dioxyde très élevée correspondant au minimum requis par le fonctionnement respiratoire des Ebis ; la gravité était normale pour un Waldahud, légère pour un humain ou un dauphin, et deux fois inférieure à celle dans laquelle évoluaient normalement les Ebis ; le degré d’humidité assez élevé pour que les sinus des Waldahuds ne se dessèchent pas ; et l’éclairage des parties communes, trop rouge pour les humains, toujours indirect pour ne pas endommager les milliers de capteurs photosensibles du filet des Ebis, habitués à un ciel constamment nuageux.

Pourtant, en dépit de tous ces efforts, il y avait toujours des problèmes. Keith se rabattit sur le côté pour laisser rouler un Ebi qui le dépassa en laissant tomber deux boulettes grises très denses de l’un des deux tubes bleus sortant de sa pompe. Le cerveau des Ebis n’exerçant aucun contrôle sur leurs fonctions éliminatoires, toute éducation en ce domaine devenait biologiquement impossible. Sur Flatland, les boulettes étaient ramassées par des « nettoyeurs » qui retraitaient les éléments nutritifs non absorbés par les Ebis ; sur Starplex, de petits CRADO de la taille de chaussures humaines les remplaçaient. L’un d’eux apparut justement dans le couloir, aspira le déchet et s’éloigna en roulant.

Keith avait fini par s’habituer au fait que les Ebis défèquent n’importe où – Dieu merci, leurs selles n’avaient pas d’odeur ! En revanche, il ne pensait pas pouvoir s’habituer un jour au froid, à l’humidité, ou à aucun des désagréments qu’imposait la présence des Waldahuds à bord…

Il s’arrêta net en entendant des voix rageuses dans un couloir proche. Il y avait là un humain – un Japonais d’après la sonorité de ses cris – et un Waldahud.

— PHANTOM, traduisez, murmura-t-il.

— Vous êtes un faible, Teshima. Trop faible pour mériter une épouse, dit alors l’ordinateur avec l’accent new-yorkais.

Sans accent, il poursuivit :

— Allez vous faire voir !

Keith grimaça, certain que la traduction était largement en deçà de l’insulte du Japonais.

De nouveau, l’accent des bas quartiers de New York :

— Chez moi, vous seriez tout juste le dernier de l’entourage de la plus laide et la plus chétive des femelles !

— Identifiez les interlocuteurs, murmura Keith.

— L’humain s’appelle Hiroyuki Teshima. C’est un biochimiste, indiqua PHANTOM dans son implant auditif. Le Waldahud est Gart Daygaro em-Holf, ingénieur.

Keith se mordit la lèvre, indécis. Après tout, ils étaient adultes. Et le fait qu’il soit leur supérieur ne concernait que leur vie professionnelle.

Cependant…

« De grands enfants », songea-t-il en tournant dans le couloir avant de lancer :

— Du calme, les gars !

Le Waldahud toisait son adversaire, les quatre poings serrés. Cramoisi de colère, Teshima intima sans tourner les yeux :

— Restez en dehors de ça, Lansing !

Keith les jaugea. Que pouvait-il faire exactement ? Il n’avait aucun moyen de pression sur eux, aucune raison pour intervenir dans leurs affaires privées.

— Venez plutôt prendre un verre, Hiroyuki, dit-il. Et vous, Gart, que diriez-vous d’une pause supplémentaire pendant votre roulement ?

— Ce que je voudrais surtout, rétorqua le Waldahud, c’est voir Teshima englouti par un trou noir !

— Allez, les gars, fit Keith en se rapprochant, il faut apprendre à vivre et à travailler ensemble…

— Je vous ai dit de rester en dehors de ça, Lansing, rappela sèchement le Japonais. Mêlez-vous de vos affaires !

Keith sentit son visage s’empourprer. D’un côté, il n’avait pas l’autorité suffisante pour leur ordonner de rentrer chacun chez eux, de l’autre, il ne pouvait accepter que des gens hurlent et se battent dans les couloirs de son vaisseau. Il les regarda tour à tour : un humain petit, d’âge moyen aux cheveux noirs, et un Waldahud trapu et gras à la fourrure châtaine. Il les connaissait aussi mal l’un que l’autre et ignorait totalement comment les calmer. Le pire, c’est qu’il ne savait même pas pourquoi ils se battaient !

Il ouvrit la bouche pour déclarer… Quoi ? Quelque chose, n’importe quoi… quand une porte glissa quelques mètres plus loin devant une jeune femme (Cheryl Rosenberg, si les souvenirs de Keith étaient exacts) en pyjama.

— Nom d’un chien ! Vous avez bientôt fini ? s’exclama-t-elle. On aimerait bien dormir ici !

Teshima la regarda, baissa légèrement la tête et s’éloigna. Quant à Gart, déférent par nature envers le sexe féminin, il acquiesça d’un bref signe de tête et partit dans la direction opposée. Cheryl bâilla, puis rentra en faisant coulisser la porte derrière elle.

Seul au milieu du passage, Keith regarda le dos du Waldahud disparaître au fond du couloir, mécontent de lui-même. Il se frotta les tempes en songeant que personne n’échappait à sa nature biologique. Teshima avait été incapable de répondre à une jolie femme, et Gart incapable de désobéir aux ordres d’une femelle.

Avec un soupir, il reprit sa route le long du couloir froid et humide, regrettant de ne pas pouvoir, lui aussi, de temps en temps, se conduire en mâle primaire.

Assise à son bureau, Rissa venait de s’attaquer à ce qu’elle détestait le plus dans son travail : la partie administrative (toujours nommée « paperasserie », bien que rapports et comptes rendus ne soient plus imprimés depuis longtemps) quand la sonnette de son bureau retentit.

— Petit wagon, annonça PHANTOM.