— Sinon ?
Hek haussa ses deux paires d’épaules.
— Sinon… Disons, que nous ne perdons rien à essayer.
— Vous avez raison, approuva Keith. Bon, tout ça me semble très bien. S’agit-il d’un prototype ou de la véritable capsule ?
— Au début, nous pensions faire un prototype, dit Azmi. Mais finalement, le résultat me semble assez réussi pour que nous utilisions celle-là.
Keith se tourna vers Hek.
— Qu’en pensez-vous ?
Le Waldahud répondit par un aboiement bref.
— Je suis d’accord.
— Parfait, fit alors Keith. Et comment comptez-vous la lancer ?
— Pas avec ses propres réacteurs, répondit Azmi. Elle n’a que ceux du SCP, et je crains qu’ils ne soient pas assez puissants pour résister à la gravité de toutes ces créatures de matière noire qui nous entourent. Mais j’ai trouvé une autre solution : puisque ces êtres semblent posséder une certaine mobilité, on peut prévoir qu’ils finiront par s’éloigner de cette région précise. C’est pourquoi j’ai programmé un transporteur standard qui conduira la capsule à bonne distance et reviendra la lâcher à une vingtaine de klicks du transchangeur dans une centaine d’années. Ensuite, les réacteurs SCP devraient suffire à la maintenir à proximité du transchangeur.
— Magnifique, approuva Keith. Le transporteur est prêt, lui aussi ?
Azmi approuva d’un signe de tête.
— Vous pouvez le lancer maintenant ?
— Sans problème.
— Dans ce cas, allons-y.
Ils sortirent tous trois de la baie d’amarrage et prirent un ascenseur jusqu’à la salle de contrôle des embarquements. Une rangée de fenêtres circulaire surplombait le hangar à l’arrière des baies. Azmi s’installa devant une console et commença à pianoter. Une plate-forme portant un transporteur cylindrique roula jusqu’à l’une des baies où des bras mécaniques placèrent le cube-capsule dans les pinces du transporteur.
— Dépressurisation de la baie, annonça Azmi.
Des champs de force scintillants issus des murs, du sol et du plafond commencèrent à se rapprocher, repoussant l’air de la baie dans les conduits du mur du fond. Dès que le vide régna dans la pièce, ils se désintégrèrent.
— Ouverture de la porte, dit Azmi en tapant sur sa console.
Le mur mobile qui ouvrait sur l’espace glissa contre le plafond, révélant l’immensité interstellaire. Azmi appuya sur une nouvelle touche :
— Activation du système électronique de la capsule. L’émetteur du faisceau tracteur sur le mur du fond de la baie se mit en route, et le transporteur s’éleva au-dessus de la plate-forme, glissa au-dessus du sol, survola un petit vaisseau auxiliaire en réparation et s’élança dans l’espace.
— Lancement des moteurs du transporteur, annonça Azmi.
L’extrémité du cylindre flamboya sous la lueur des réacteurs. Quelques secondes plus tard, le transporteur disparaissait dans l’obscurité.
— Et voilà, fit Azmi.
— Et maintenant ? lui demanda Keith. Il haussa les épaules.
— Nous n’avons plus qu’à prendre notre mal en patience. Soit ça marche, soit nous n’en entendons plus jamais parler… Ce qui est le plus probable.
Keith hocha la tête.
— Bon travail, les gars. Merci et…
— Rissa à Lansing ! l’interrompit une voix dans les haut-parleurs.
Il leva les yeux.
— Bonjour, Rissa.
— Bonjour, chéri. Nous sommes prêts pour notre première tentative de communication avec les créatures de matière noire.
— J’arrive.
Keith adressa un sourire complice à Hek et à Azmi.
— Vous savez, parfois il m’arrive de trouver mon personnel trop efficace.
Sur le pont central, la bulle holographique de l’espace était remplacée par une image formée de cercles rouges sur fond blanc pâle représentant les différentes positions des sphères de matière noire.
Dès que Keith se fut installé à sa station de travail, Rissa annonça :
— Nous allons essayer de communiquer avec les créatures de matière noire par signaux radio et visuels. Un vaisseau de communication à huit secondes-lumière de Starplex transmettra les signaux que je lui enverrai par laser. Pour l’instant, nous ignorons totalement si les créatures de matière noire ont détecté ou non notre présence. Mais, au cas où il s’agirait des Claqueurs, ou d’êtres aussi dangereux, je préfère attirer leur attention avec un vaisseau auxiliaire plutôt que d’exposer Starplex.
— « Créatures de matière noire », répéta Keith. C’est un peu long comme appellation, non ? On pourrait peut-être trouver mieux.
— Que pensez-vous de « noirauds » ? proposa Losange.
Keith fit la grimace.
— Je ne crois pas, non.
Il réfléchit quelques secondes avant de reprendre :
— Que diriez-vous des êtres MACHO ?
Jag leva ses deux paires d’yeux au ciel en grognant.
— Et géants noirs ? suggéra Thor.
Rissa hocha la tête.
— Géants noirs, répéta-t-elle. Ça sonne bien, mais c’est encore un peu long. En revanche Génoirs me semble parfait.
Se tournant vers tout le monde, elle enchaîna :
— Comme vous le savez déjà, Hek a répertorié les groupes de signaux émis par les Génoirs. Si l’on considère que chaque groupe représente un mot, nous avons probablement identifié le plus courant. C’est celui-là que nous allons émettre en boucle en direction des sphères. Je pense qu’il s’agit d’un mot sans signification réelle, une sorte d’article comme « un » ou « le ». Mais, grâce à la répétition, les Génoirs comprendront peut-être que quelqu’un essaie de communiquer avec eux.
Se tournant vers Keith, elle demanda :
— On peut commencer, directeur ?
Il sourit.
— Je vous en prie.
— Début de transmission.
Des lumières clignotèrent sur le filet de Losange.
— Apparemment, il se passe quelque chose. Le niveau de conversation s’est brusquement accru. Ils parlent tous en même temps maintenant.
Rissa hocha la tête.
— J’espère qu’ils vont comprendre d’où vient l’émission.
— On dirait que c’est fait, annonça Thor quelques secondes plus tard en désignant l’hologramme.
Cinq sphères se rapprochaient du petit vaisseau de communication.
— C’est maintenant que les choses se corsent, dit Rissa. Nous avons attiré leur attention, mais serons-nous capables de communiquer avec eux ?
Keith savait que si quelqu’un en était capable, c’était bien Rissa. Lors du premier contact avec les Ebis, elle faisait partie de l’équipe qui avait mis au point le langage leur permettant de communiquer. Tout avait commencé par un simple échange de noms, une série de lumières signifiant « table », une autre « sol », etc. Au début, tout semblait assez simple, puis les deux races s’étaient rapidement aperçues que de nombreux concepts n’évoquaient absolument rien pour l’autre. Il en allait ainsi des termes « être debout », « courir », « s’asseoir », « chaise », « vêtement », « mâle » ou « femelle » qui n’avaient pas plus de sens pour un Ebi que les idées de jour, de nuit, de mois, d’année ou de constellation (autant de choses inimaginables pour les habitants d’une planète constamment entourée de nuages). Quant aux hommes, ils n’appréhendaient guère mieux les notions de gestalt biologique ou de vision englobante que les multiples expressions métaphoriques servant à désigner le fait de rouler vers l’avant ou vers l’arrière.
Et pourtant, cet exercice semblait un jeu d’enfant par rapport à ce qui les attendait aujourd’hui. Communiquer avec des êtres de taille planétaire ! Au moins, les Ebis avaient-ils de nombreux points communs avec les humains ! Mais comment communiquer avec des inconnus gros comme Jupiter qui ne savaient probablement pas ce que signifiait le verbe « voir », n’avaient sans doute jamais entendu parler de physique et de mathématiques, et se révéleraient peut-être complètement stupides ?