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— Correct, répondit Rissa en le voyant s’approcher du vaisseau.

À la fin du roulement de l’équipe Alpha, Keith rentra se doucher et dîner à son appartement. Rissa continua à converser avec Œil de chat qui ne montra pas un seul signe d’impatience ou de fatigue. Exténuée, elle n’abandonna qu’avec l’arrivée de l’équipe Gamma, passant le relais à Hek.

Ils travaillèrent quatre jours – seize roulements – sans qu’Œil de chat éprouve le besoin de se faire remplacer. Finalement, leur vocabulaire génoir fut assez riche pour qu’ils tentent une conversation plus élaborée.

— Demande-lui depuis combien de temps ils sont là, dit Keith.

Rissa se pencha vers le micro de sa console.

— Depuis combien de temps êtes-vous là ?

La réponse fut immédiate.

— Depuis que nous avons commencé à parler, multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent.

— Ça représente environ quatre milliards de milliards de jours, ou approximativement, dix milliards d’années, précisa immédiatement la voix de PHANTOM.

— Peut-être n’est-ce qu’une image pour suggérer une très longue durée, remarqua Rissa.

— Dix milliards d’années, intervint Jag. C’est à peu près l’âge que l’on attribue à l’univers.

— Eh bien, avec dix milliards d’années, je comprends qu’ils soient si patients, ricana Thor.

— On pourrait peut-être poser la question différemment, suggéra Lianne.

— S’agit-il du temps depuis lequel vous êtes tous là ? demanda Rissa dans le micro.

— Ce groupe, cette durée, répondit la voix du traducteur. Celui-là, durée depuis que nous parlons multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent.

— Environ cinq cent mille ans, indiqua PHANTOM.

— Il veut peut-être dire que ce groupe de Génoirs est vieux de dix milliards d’années, mais que lui-même n’en a que cinq cent mille, fit Rissa.

— Seulement ! ironisa Lianne.

— Maintenant, indique-lui notre âge, dit Keith.

— Celui de Starplex, du Commonwealth ou de notre espèce ?

— Si nous sommes vraiment en train de comparer des civilisations, mieux vaut choisir la plus ancienne des races du Commonwealth.

Levant les yeux vers le petit hologramme de Losange, Keith demanda :

— Les Ebis existent bien sous leur forme actuelle depuis près d’un million d’années ?

L’Ebi acquiesça d’un frémissement coloré.

Rissa hocha la tête et déclara dans son micro :

— Nous sommes là depuis le temps que nous parlons multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent multiplié par cent plus cent.

Se tournant vers Keith, elle précisa :

— Je lui ai répondu qu’en tant que civilisation nous existons depuis un million d’années, mais que Starplex lui-même n’a que deux ans.

En réponse, Œil de chat indiqua du nouveau son âge suivi du mot génoir pour « moins », puis il répéta l’équation donnée par Rissa pour l’âge de Starplex suivie du terme « égal » avant de terminer par la phrase déjà utilisée pour exprimer son âge.

— À sa façon, je crois qu’il est en train de nous dire qu’à côté de son âge le nôtre n’est qu’une bagatelle.

— Remarque, il n’a pas tort, fit Keith en riant. Je me demande quel effet ça fait d’être aussi vieux.

XV

Généralement, Keith évitait la zone ebi du vaisseau où la gravité 1,41 fois plus élevée que celle de la Terre (et 1,72 fois plus que celle des parties communes de Starplex) lui donnait l’impression de peser 115 kg au lieu de ses 82 habituels, sensation rapidement désagréable.

Plus larges que dans le reste du vaisseau, les couloirs étaient également moins hauts en raison de l’épaisseur renforcée des séparations entre les ponts. Et, bien qu’il ne risquât pas de se cogner, Keith baissa instinctivement en avançant. L’air était tiède et sec.

Il s’arrêta devant une porte sur laquelle de petites lumières jaunes formaient un rectangle posé sur deux cercles. Même s’il n’avait vu des trains que dans les musées, il reconnut immédiatement un wagon dans ce pictogramme lumineux.

— PHANTOM, prévenez-la de ma visite, lança-t-il devant lui.

PHANTOM acquiesça avant d’ouvrir la porte quelques secondes plus tard, probablement après que Petit wagon lui en eut donné l’autorisation.

Les appartements des Ebis étaient très différents de ceux des humains. Comme tous ceux de Starplex, ils mesuraient quatre-vingts mètres carrés, mais l’absence de cloisons les faisait paraître beaucoup plus grands. Car, chez les Ebis, on ne trouvait ni salon, ni chambre, ni cuisine, ni salle de bains. Juste une grande pièce vide au sol recouvert de caoutchouc dur. Une seule exception à cette absence de meuble : le petit monticule de terre sur lequel ils reposaient parfois leur cadre et autres composants quand ils ôtaient leurs roues.

Keith regarda avec étonnement les décorations murales : en forme de cacahuète, elles se composaient d’une superposition des différents angles, le plus souvent distordus, d’un même objet. La série d’images du mur le plus proche représentait des fœtus humains et waldahuds aux membres courts et aux têtes translucides. Bien que la fascination d’une biologiste pour la vie des autres espèces fût compréhensible, Keith ne put s’empêcher de ressentir un léger malaise devant de si curieux goûts artistiques.

Petit wagon vint à sa rencontre depuis le fond de la pièce, c’est-à-dire qu’elle accéléra à fond sur toute la distance, ne pilant brusquement qu’à un ou deux mètres de lui. La tranquillité avec laquelle les Ebis fonçaient sur leur interlocuteur restait un mystère pour Keith – mystère qui mettait chaque fois ses nerfs à rude épreuve… Évidemment, il n’avait jamais entendu parler d’un humain renversé par un Ebi, mais rien ne lui garantissait qu’il ne serait pas le premier !

Des lumières dansèrent sur le filet sensoriel de Petit wagon.

— Docteur Lansing ! Quel plaisir de vous voir. Entrez, je vous en prie. Je n’ai malheureusement pas de siège à vous offrir, mais je sais que la gravité est trop forte pour vous. Aussi, n’hésitez pas à vous installer sur mon monticule.

Elle désigna d’un de ses tentacules le petit tas de terre en forme d’angle au fond de la pièce.

Soulagé de ne pas devoir rester debout sous une gravité aussi forte, Keith marcha dans la direction indiquée et s’assit du bout des fesses sur l’inconfortable mont.

— Merci, dit-il avant d’enchaîner, conscient qu’il offenserait son interlocutrice en perdant du temps : Rissa m’a demandé de venir vous parler. Elle m’a dit que vous deviez être bientôt déconstituée.

— Très chère Rissa ! fit Petit wagon. Je suis très touchée de son intérêt.

Keith regarda autour de lui, pensif.

— Je voulais vous rappeler, déclara-t-il enfin, que tant que vous restez à bord de Starplex, rien ne vous oblige à accepter cette déconstitution. Le vaisseau est considéré comme une ambassade, et tout son personnel bénéficie de l’immunité diplomatique.

Il contempla son interlocutrice, regrettant qu’elle n’ait pas de visage, pas de regard qu’il puisse déchiffrer.

— Vous avez toujours été une employée exemplaire. Je ne vois aucune raison pour que vous ne continuiez pas à travailler à bord jusqu’au bout de votre vie.

— C’est très gentil de votre part, docteur Lansing. Vraiment très gentil. Mais je dois rester en accord avec moi-même. Comprenez que, même si je n’ai jamais parlé à personne de ma déconstitution, je m’y prépare physiquement et mentalement depuis des siècles. J’ai calculé tous les détails de ma vie dans l’idée qu’elle s’arrêterait à ce moment précis. Si je devais brusquement me retrouver avec cinquante années supplémentaires, je ne saurais qu’en faire.