— Si c’est le cas, il est parfait, intervint Azmi en désignant le scanner. D’après les éléments radioactifs à demi-durée de vie longue que nous avons introduits dans le corps du cube, celui-ci a désormais dix milliards d’années terrestres plus ou moins neuf cents millions. Contrefaire ce genre de résultat impliquerait d’avoir construit un autre cube en y introduisant le pourcentage exact d’isotopes correspondant à cet âge. Et celui-là ressemble au nôtre dans les moindres détails si l’on excepte l’altération radioactive et l’état de sa surface.
— Mais comment le message pourrait-il être signé de mon nom ? Il y a obligatoirement une erreur quelque part.
— Peut-être votre nom a-t-il fini par se confondre avec celui de Starplex, suggéra Hek. Après tout, vous en êtes le premier directeur, et ce n’est pas un hasard si les Waldahuds ont toujours pensé qu’on faisait trop de bruit autour de votre personne. Si ça se trouve, il ne s’agit pas de votre signature. Juste d’une adresse, d’une salutation, ou…
— Non, coupa Rissa, la voix vibrante d’excitation. Ce message vient de toi.
— Mais, c’est impossible ! Il faudrait que je vive encore dix milliards d’années !
— À moins d’un effet inconnu de la relativité, fit Hek.
— Ou… commença Rissa.
Keith se tourna vers elle.
— Oui ?
Elle s’élança hors de la baie.
— Où allez-vous ? aboya Hek.
— Chercher Petit wagon. Je dois la prévenir que les résultats de nos recherches vont dépasser nos espérances.
Zeta Draconis
L’homme de verre se leva du sol recouvert de trèfle.
— Vous souhaitez peut-être vous reposer, dit-il. Je reviens dans un moment.
— Attendez ! l’arrêta Keith. J’aimerais savoir qui vous êtes. Je veux dire, qui vous êtes vraiment.
L’homme de verre resta silencieux, la tête inclinée sur le côté.
Keith se leva à son tour.
— J’ai le droit de savoir. J’ai répondu à toutes vos questions. S’il vous plaît, répondez à la mienne.
— D’accord, Keith, acquiesça son interlocuteur avec un mouvement de bras résigné. Je suis vous, Gilbert Keith Lansing. Mais, vous dans le futur. Vous ne vous imaginez pas combien je me suis torturé l’esprit à essayer de retrouver ce que voulait dire ce fichu « G ».
Keith blêmit.
— C’est… impossible. Vous ne pouvez pas être moi.
— Pourtant, je le suis, répondit l’homme de verre. En un peu plus vieux, évidemment.
Il toucha le côté de son crâne lisse et transparent en émettant un de ses rires carillons.
— Vous avez vu ? J’ai perdu tous mes cheveux.
Keith plissa les yeux.
— De quel futur partez-vous exactement ? Je veux dire, combien d’années plus tard ?
— C’est dans l’autre sens qu’il faut compter, corrigea gentiment l’homme de verre. Vous êtes dans mon présent.
Keith sentit ses jambes flageoler.
— Vous voulez dire que… nous ne sommes pas en 2094 ?
— Deux mille quatre-vingt-quatorze quoi ?
— L’année terrestre 2094. 2094 après la naissance de Jésus-Christ.
— De qui ? Oh, attendez, j’ai ça dans ma matrice à leptons. Voyons… Nous comptons désormais en années depuis la création de l’univers, mais… Ah, voilà ! Dans votre système, cela correspond à l’année dix milliards, six cent quarante-six millions, trois cent quatre-vingt-dix-sept mille deux cent quatre-vingt-un.
Keith chancela légèrement.
— C’est vous qui avez renvoyé notre capsule ?
— Oui.
— Et… Comment suis-je arrivé jusqu’ici ?
— Je vous ai maintenu en état de stase pendant que vous traversiez le transchangeur. Le temps passe pour l’univers, mais pas pour vous.
Après une pause, l’homme de verre reprit :
— Vous souvenez-vous de la nébuleuse rose que vous avez vue en sortant du transchangeur ? C’est tout ce qu’il reste de notre vieux Sol.
Keith écarquilla les yeux.
— Rassurez-vous, sa transformation en supernova n’a tué personne. Tout était soigneusement arrangé. Comme vous le savez, ce genre d’étoiles ne se transforme pas en supernova naturellement ; elles se contentent de dégénérer en naine blanche. Mais notre passion du recyclage nous a poussés à la faire exploser pour que ses métaux enrichissent le milieu interstellaire.
La tête de Keith lui tournait.
— Et comment allez-vous me renvoyer dans mon époque ?
— Par le transchangeur, évidemment. Les voyages dans le passé ne posent aucun problème. En revanche, nous n’avons rien trouvé pour le futur. C’est pourquoi nous vous avons fait traverser dix milliards d’années en état de stase. Nous vous renverrons au moment précis où vous êtes parti. Et ne vous faites pas de souci pour vos amis, quel que soit le temps que vous aurez la bonté de passer avec nous, ils vous retrouveront exactement au moment attendu.
— C’est incroyable.
L’homme de verre haussa les épaules.
— Juste scientifique.
— Magique, rectifia Keith.
Son compagnon haussa une nouvelle fois les épaules.
— Quelle différence ?
— Mais… Si vous êtes vraiment moi, et si vous venez de la Terre, comment se fait-il qu’il y ait des erreurs dans la simulation ?
— Pardon ?
— Votre simulation de la Terre. Elle contient des erreurs. Les champs remplis de trèfles mutants, par exemple. Ou encore ces oiseaux que je n’ai jamais vus auparavant.
— Oh.
Rire carillon.
— C’est ma faute. J’ai tiré cette simulation d’un vieil enregistrement, mais peut-être ai-je mal choisi. Attendez que je vérifie dans ma matrice à leptons… Ah, vous avez raison. En fait, la simulation est exacte, mais elle date d’environ 1,2 million d’années après votre naissance. Toutes ces choses qui vous étonnent résultent de l’évolution d’espèces antérieures. Vous n’auriez même pas reconnu les constellations si j’avais choisi une simulation nocturne.
— C’est drôle, fit Keith, je n’avais jamais songé au phénomène de l’évolution dans l’avenir. Si vous avez dix milliards d’années de plus que moi, cela signifie que vous êtes encore plus vieux que toutes les formes de vie terrestres de mon époque.
L’homme de verre hocha la tête.
— La vie n’avait alors que quatre milliards d’années, tandis que les formes vivantes actuelles sont le résultat de quatorze milliards d’années d’évolution. Vous n’imaginez probablement pas ce que sont devenues les marguerites ou les anémones de mer. Hier, j’ai même dîné avec un être issu de la bactérie de la coqueluche.
— Vous vous moquez de moi.