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— Non.

— C’est totalement incroyable.

— Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire. Juste du temps. Beaucoup de temps.

— Et que sont devenus les humains ? Font-ils toujours des enfants ou ont-ils arrêté de se reproduire ?

— L’humanité continue à évoluer et à s’adapter. Les nouveaux humains – ceux nés depuis moins de dix milliards d’années – fréquentent peu les anciens comme moi. Ils sont… différents.

— Mais si vous êtes moi, d’où vous vient cet aspect ?

L’homme de verre haussa les épaules.

— Simple technologie. La chair et le sang ont tendance à s’user, ce matériau est plus fiable. Mais je peux modifier ma configuration quand je le souhaite. En ce moment, la mode est à la transparence, mais j’aime bien cette nuance aigue-marine. Je lui trouve une certaine classe. Pas vous ?

XVI

À mesure que Rissa, Hek et le reste de l’équipe de communication poursuivaient leur conversation avec Œil de chat, le vocabulaire génoir de PHANTOM s’enrichissait. Bientôt, il fut possible de passer à des sujets plus complexes, et lorsque Keith regagna le pont central après une phase de repos, il s’étonna à peine de trouver Rissa en plein débat philosophique avec le géant de matière noire. L’équipe alpha venait de prendre son roulement, hormis Losange que les Opérations externes appelaient ailleurs. Un dauphin le remplaçait depuis son bassin à tribord du pont central.

— Nous n’avions pas la moindre idée de votre existence, expliquait Rissa dans le micro de sa console. Nous avions deviné la présence d’une grosse quantité de matière noire à cause de ses effets gravitationnels, mais nous n’imaginions pas qu’elle était vivante.

— Deux genres de substance, répondit le Génoir avec cet accent français que lui avait attribué PHANTOM.

— Oui, fit Rissa.

Elle leva les yeux et adressa un signe de bienvenue à Keith qui s’assit auprès d’elle.

— Seule la gravité est semblable, continua Œil de chat.

— C’est exact, approuva Rissa.

Son interlocuteur occupait presque la totalité de la bulle holographique du pont.

— La majorité comme nous, dit le Génoir.

— La grande majorité de la matière est comme vous, oui, approuva Rissa.

— Ignorer vous.

— Vous ignoriez notre existence ?

— Insignifiante.

— Saviez-vous que notre type de substance était vivante ?

— Non. Pas penser à chercher la vie dans des planètes. Si petits vous êtes.

— Nous aimerions avoir des relations avec vous, dit Rissa.

— Relations ?

— Pour notre intérêt mutuel. Un plus un égal deux. Vous plus nous supérieur à deux.

— Compris. La somme plus importante que les parties.

Rissa sourit.

— Exact.

— Relations bonne idée.

— Avez-vous un mot pour désigner ceux avec qui vous avez des relations pour le bénéfice de tous ?

— Amis, traduisit PHANTOM sans hésiter. Nous les appelons amis.

— Nous sommes amis, fit Rissa.

— Oui.

— Le genre de matériau dont vous êtes formés – celui que nous appelons matière noire – est-il entièrement vivant ?

— Non. Juste une minuscule partie.

— Mais vous nous avez dit que la matière noire vivante existait depuis très longtemps ?

— Depuis le début.

— Le début de quoi ?

— De… toutes les étoiles ensemble.

— La totalité de tout ? Nous appelons ça l’univers.

— Depuis le début de l’univers.

— Voilà un point intéressant, intervint Jag, assis à la gauche de Keith. L’idée que l’univers a un début… Il en a un, bien sûr, mais comment peut-il en être si certain ? Posez-lui la question.

— À quoi ressemblait l’univers au début ? demanda alors Rissa dans son micro.

— Comprimé, répondit le Génoir. Petit au-delà du petit. Une place, pas de temps.

— L’atome primordial, fit Jag. Fascinant ! Il a raison, mais je me demande comment ces créatures ont pu découvrir ça.

Lianne se tourna vers lui.

— Elles communiquent par ondes radio, rappela-t-elle. Je suppose qu’elles ont déduit tout cela de la même manière que nous : à partir des micro-ondes du rayonnement du fond du ciel et du déplacement vers le rouge du spectre des galaxies lointaines.

Le Waldahud grogna.

Rissa poursuivait son dialogue :

— Vous nous avez dit que ni vous, Œil de chat, ni votre groupe de Génoirs n’êtes aussi vieux. Alors, comment savez-vous que la vie génoire existe depuis le début ?

— Parce qu’elle doit.

— De la philosophie ! lança Jag dans un aboiement méprisant. Il n’y a rien de scientifique là-dedans. Il s’agit juste de ce qu’ils ont envie de croire.

— Nous sommes loin d’exister depuis aussi longtemps, poursuivit Rissa dans le micro. La plus ancienne trace que nous ayons trouvée d’un être vivant constitué de notre type de matière remonte à quatre milliards d’années.

PHANTOM fournit un équivalent de ce nombre dans un équivalent compréhensible par les Génoirs.

— Comme dit avant, vous êtes insignifiants.

Jag aboya rageusement à l’adresse de l’ordinateur central :

— Question : Sur quelle base vous appuyez-vous pour traduire le terme génoir par « insignifiant » ?

— Une base mathématique, répondit PHANTOM. Nous décidons qu’il existe une différence significative entre 3,7 et 4, mais insignifiante entre 3,99 et 4.

Jag se tourna vers Rissa.

— Dans ce contexte, ce terme peut avoir un sens différent. Il peut être métaphorique et simplement signifier que nous sommes arrivés plus tard.

Thor regarda le Waldahud par-dessus son épaule, un sourire moqueur aux lèvres.

— Ça ne vous plaît pas de compter pour rien, hein ?

— Ne soyez pas bêtement caustique, humain ! Je trouve juste que nous devrions nous méfier avant de généraliser l’usage d’un terme inconnu. D’ailleurs, il est possible qu’il se réfère à notre vaisseau auxiliaire. Avec ses cinq mètres de long, rien d’étonnant à ce qu’il le trouve insignifiant.

Rissa hocha la tête et reprit son micro :

— Quand vous nous qualifiez d’insignifiants, parlez-vous de notre taille ?

— Pas la taille de la partie qui parle. Pas la taille de la partie éjectée de Starplex.

— C’est ce qui s’appelle se faire avoir, ironisa Thor. Visiblement, ils ont compris que le vaisseau de communication n’est qu’une partie de Starplex.

Rissa suspendit brièvement la transmission en refermant une main autour du micro.

— Je suppose que ça ne change pas grand-chose pour eux, remarqua-t-elle.

Ôtant sa main, elle reprit à l’intention d’Œil de chat :

— Sommes-nous insignifiants parce que nous n’existons pas depuis aussi longtemps que vous ?

— La durée sans importance, le temps absolu est important. Nous sommes ici depuis le début, pas vous. Donc, nous sommes importants, pas vous. C’est ainsi.

— C’est à voir, remarqua Keith avec humour. Ce qui compte, ce n’est pas d’être le premier, mais le meilleur.

Rissa couvrit de nouveau son micro pour se tourner vers lui :

— Je crois qu’il serait plus prudent de laisser tomber la philosophie jusqu’à ce que nous nous connaissions mieux. Je n’ai pas envie qu’il se braque parce que je l’aurai offensé sans le savoir.