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— D’après ce que nous savons, l’attaque de Starplex n’était pas un événement isolé. New Beijing est peut-être assiégée en ce moment. Je préfère choisir un lieu politiquement neutre… Alors, reprit Keith après une pause, nous avons une chance d’échapper aux Génoirs en suivant cette trajectoire ?

Thor hocha la tête.

— À moins qu’ils nous attendent juste à la sortie du transchangeur, nous serons trop rapides pour qu’ils nous rattrapent, répondit-il.

— Losange, ordonna alors Keith, envoyez une navette vers l’étoile verte dès que Lianne aura rétabli le système électrique. Équipez-la d’un radar hyperspatial capable de localiser les Génoirs grâce à leur empreinte dans l’espace-temps. Ajoutez aussi un détecteur radio à large spectre au cas où de nouveaux renforts waldahuds seraient dans la région, et… pour détecter un éventuel signal du Rum Runner, ajouta-t-il d’un ton faussement neutre.

— On ne pourra rien faire avant au moins une demi-heure, prévint Lianne.

Keith se mordit la lèvre inférieure. Si Rissa était morte, des milliards d’années ne lui suffiraient pas pour l’oublier. Il fixa les traînées blanches au loin. Il ne savait même pas dans quelle direction regarder, vers quel but s’orienter. Il se sentait incroyablement petit, insignifiant et seul. Il n’y avait rien de net, rien de défini dans la bulle holographique qui l’entourait. Juste des abysses sans fin, un vide écrasant.

Un son étrange, comme un jappement de chien, le sortit de ses pensées. PHANTOM le traduisit comme « expression de surprise totale ». Keith se tourna vers Jag… et demeura bouche bée d’étonnement à son tour : jamais il n’avait vu la fourrure d’un Waldahud se hérisser ainsi.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

— Je… Je sais où nous sommes, répondit son interlocuteur.

— Oui ?

— Vous savez qu’une quarantaine de galaxies plus petites sont liées à la Voie lactée et à Andromède par la gravité ?

— Évidemment.

— Eh bien, reprit Jag, j’ai commencé par rechercher des éléments caractéristiques de ce groupe de galaxies, comme S Doradus, particulièrement brillante dans le Nuage de Magellan. Mais ça n’a rien donné. Alors, j’ai procédé différemment en classant les pulsars extragalactiques connus en fonction de leur distance – c’est-à-dire de leur âge – puis en me servant de leurs impulsions radio pour m’orienter.

— D’accord, d’accord, fit Keith. Et alors ?

— Alors, voici la galaxie la plus proche de nous actuellement, indiqua Jag en désignant un point indistinct sur l’hologramme. Elle est à environ cinq cent mille années-lumière. Il s’agit de CGC 1008.

— Donc, nous sommes à un demi-million d’années-lumière de CGC 1008, résuma Keith sèchement. Et quelle distance sépare CGC 1008 de la Voie lactée ?

Le Waldahud répondit par un aboiement étrangement sourd, presque doux :

— Six milliards d’années-lumière.

— Six… milliards ! répéta Thor, abasourdi.

Jag haussa ses épaules supérieures.

— Exact.

— C’est impossible, fit Keith.

Jag haussa de nouveau sa paire d’épaules.

— Six milliards d’années-lumière. Soixante mille fois le diamètre de la Voie lactée. Deux mille sept cents fois la distance entre la Voie lactée et Andromède, expliqua-t-il avant de conclure en fixant Keith : Ou, comme vous, non-astrophysiciens, le diriez : une sacrée distance.

— Est-ce qu’on aperçoit la Voie lactée d’ici ? demanda Keith.

— Oh oui, répondit Jag avec un drôle de mouvement de bras. Oui, bien sûr. Ordinateur central, grossissez la zone 112.

Un cadre entoura une partie de la bulle holographique. Le Waldahud quitta sa station de travail pour se diriger dans cette direction.

— Là, dit-il en pointant le doigt vers une zone du cadre. Là, juste à côté, c’est Andromède. Et ici, M33, la troisième plus grosse galaxie du Groupe local.

Les lumières du filet de Losange clignotèrent de confusion.

— Pardonnez-moi mille fois, mon bon Jag, mais c’est impossible. Ce que vous nous désignez ne ressemble pas à des galaxies en spirale, mais plutôt à des disques.

— Je sais. Mais, je vous assure que je ne me trompe pas. Il s’agit bien de la Voie lactée. Simplement, comme nous en sommes à six milliards d’années-lumière, nous la voyons telle qu’elle était il y a six milliards d’années.

— Vous en êtes certain ? intervint Keith.

— Totalement. Dès que les pulsars m’ont permis de savoir dans quelle direction regarder, je n’ai eu aucun mal à reconnaître quelle galaxie était la Voie lactée, laquelle était Andromède, etc. Les Nuages de Magellan sont trop jeunes pour que leur lumière soit déjà parvenue jusqu’ici, mais les amas globulaires sont presque uniquement formés d’anciennes étoiles de la première génération, et j’en ai identifié quelques-uns très spécifiques associés à la fois à la Voie lactée et à Andromède. Je vous assure que ce simple disque d’étoiles correspond bien à notre galaxie.

— Mais la Voie lactée a des bras spiraux, insista Lianne.

Jag se tourna vers elle.

— C’est exact. Aujourd’hui, la Voie lactée a des bras spiraux. Et je peux vous affirmer avec la même certitude que, six milliards d’années plus tôt, elle n’en avait pas.

— Com… Comment est-ce possible ? demanda Thor.

— Ça, répondit le Waldahud, ça reste un mystère. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à découvrir une Voie lactée sans bras, même deux fois plus jeune.

— Bien, fit Keith. Donc, la Voie lactée aurait développé des bras au cours de ces six derniers milliards d’années.

— Non, ce n’est pas « bien », corrigea Jag avec sa sécheresse habituelle. En fait, tout ça n’a jamais eu de sens. Nous n’avons jamais trouvé de modèle correct expliquant la formation de galaxies spirales. La plupart sont basés sur la notion de rotation différentielle – le fait que le parcours orbital des étoiles les plus proches du centre galactique soit plus court que celui des plus éloignées et donc plus rapide. Mais les bras spiraux résultant de ce type de phénomène devraient être temporaires, or ils durent des milliards d’années… Évidemment, il n’y aurait rien d’extraordinaire à l’existence de quelques galaxies en spirale, mais que trois sur quatre – ce qui est la proportion actuellement observée – des plus grosses le soient, ce n’est pas logique. Les ellipses devraient être bien plus nombreuses.

— De toute évidence, la théorie contient une erreur quelque part, remarqua Keith.

Son interlocuteur haussa ses épaules supérieures.

— C’est certain. Il existe bien une autre théorie appelée le « modèle de l’onde de densité », selon laquelle l’abondance des galaxies en spirale s’expliquerait par une onde en spirale qui traverserait le milieu galactique en emprisonnant ou en formant elle-même des étoiles au cours de son déplacement. Mais cette explication n’est pas totalement satisfaisante. Tout d’abord, elle ne prend pas en compte les différents types de spirales, et surtout elle ne fournit aucune réponse concernant l’origine de ces éventuelles ondes de densité. On a bien pensé à l’explosion de supernovae, mais, selon l’état des recherches actuelles, rien ne nous permet de savoir si les effets de ces explosions s’annulent les uns les autres ou, à l’inverse, créent des ondes à longue durée de vie.

Après une pause, Jag poursuivit :

— Nos modèles de formation des galaxies posent également d’autres problèmes. En 1995, des astronomes humains ont découvert que certaines galaxies lointaines observées alors qu’elles n’avaient qu’un vingtième de l’âge de l’univers tournaient à une vitesse comparable à celle de la Voie lactée à notre époque – c’est-à-dire deux fois plus vite que les prévisions théoriques.