Выбрать главу

Au moment où il entrait dans le transchangeur, Keith ressentit un drôle de chatouillement à l’arrière de son crâne. Il pensait à quelque chose une seconde auparavant… Mais quoi ? Impossible de s’en souvenir.

L’anneau violet glissa de la proue à la poupe et Tau Ceti apparut, la station de Grand Central baignée par la lumière de la naine rouge récemment émergée.

Comme chaque fois qu’il se rendait là, Keith commença par chercher Boötes, puis Sol. Il sourit en reconnaissant son bon vieux soleil. C’était toujours un soulagement de s’apercevoir qu’il n’était pas devenu une supernova…

XXIII

Chaque fois qu’il découvrait la station de Grand Central, Keith songeait à quatre assiettes disposées en carré, mais, bizarrement, ce jour-là, la construction lui évoqua un trèfle à quatre feuilles. Avec chacune de ces feuilles ou assiettes mesurant un kilomètre de diamètre sur quatre-vingts mètres d’épaisseur, Grand Central était la plus grande structure de l’espace du Commonwealth. Comme le plus modeste disque central de Starplex, les assiettes contenaient plusieurs baies d’amarrage sur leur bordure externe, dont la plupart affichaient des sigles de compagnies commerciales terrestres. Après avoir reçu les instructions du poste de contrôle, Keith se dirigea vers une baie proche d’une grande porte en matériau ondulé portant le logo de la Compagnie Hudson, l’une des plus anciennes puisque son activité remontait à plus de cinq cents ans.

Keith regarda le paysage environnant à travers la coque transparente de son vaisseau. Des engins abîmés flottaient dans l’espace ; des remorqueurs ramenaient des épaves vers les baies d’amarrage. L’une des quatre assiettes de la station était plongée dans le noir, probablement endommagée par un laser pendant la bataille.

Sa navette amarrée, Keith pénétra dans la station. Contrairement à Starplex, Grand Central n’appartenait pas au Commonwealth, mais à la Terre, ce qui expliquait les standards terrestres de son atmosphère.

Le fonctionnaire gouvernemental qui l’accueillit avait un bras bandé… Probablement une conséquence de la récente attaque waldahud. Il le conduisit jusqu’à l’imposant bureau de Petra Kenyatta, le Premier ministre de la province de Tau Ceti.

Dès qu’elle le vit, Kenyatta se leva pour l’accueillir. D’origine africaine, elle avait une cinquantaine d’années et une poigne que Keith trouva presque douloureuse.

— Bonjour, docteur Lansing. Asseyez-vous, je vous en prie.

— Merci.

Keith venait à peine de prendre place dans la chaise qu’elle lui désignait – une chaise terrestre, non polymorphe – que la porte s’ouvrait de nouveau devant une femme d’origine nordique, légèrement plus jeune que le Premier ministre. Il se releva.

— Vous connaissez la commissaire Amundsen ? fit Kenyatta. Elle dirige les forces de police de Tau Ceti.

— Commissaire, salua Keith en serrant la main de la nouvelle venue.

— Évidemment, précisa immédiatement celle-ci en s’asseyant, « forces de police » est un euphémisme. Nos services sont ainsi nommés pour les oreilles étrangères.

Keith sentit son estomac se tordre.

— Des renforts sont déjà en route depuis Sol et Epsilon Indi, poursuivit son interlocutrice. Nous n’attendons plus qu’eux pour écraser Rehbollo.

— Écraser Rehbollo ?

— Exactement. Nous allons montrer à ces espèces de porcs combien il en coûte de nous attaquer.

Keith secoua la tête.

— Pourquoi ? De toute évidence, leur attaque a échoué. Ils n’ont aucune raison de recommencer.

— Mieux vaut nous en assurer en leur en ôtant la possibilité, répliqua Kenyatta.

Keith leva les yeux vers elle.

— Ce serait une erreur, dit-il. Les Waldahuds savent comment détruire un transchangeur.

Amundsen écarquilla ses yeux saphir.

— Pardon ?

— Ils pourraient nous couper du reste de la galaxie, s’ils le voulaient. Il leur suffirait pour ça d’envoyer un seul vaisseau à Tau Ceti.

— Comment s’y prennent-ils ?

— Je l’ignore. Mais je sais que ça marche.

— Raison de plus pour les détruire, dit Kenyatta.

— Comment ont-ils réussi à vous surprendre ? demanda la commissaire. Ici, à Tau Ceti, ils ont envoyé un vaisseau mère d’où sont sortis des dizaines d’engins de guerre. D’après ce que nous a dit le Dr Cervantès, ils ont attaqué Starplex avec des vaisseaux unipersonnels. Comment se fait-il que vous ne les ayez pas vus arriver ?

— L’étoile récemment émergée nous cachait le transchangeur.

— Qui avait placé le vaisseau derrière elle ?

Keith fit une pause.

— Moi, répondit-il enfin. C’est moi qui donne les ordres sur Starplex. Nos observations astronomiques exigeaient que je déplace le vaisseau derrière l’étoile. J’en prends l’entière responsabilité.

— Ne vous inquiétez pas, fit Amundsen avec un sourire macabre. Nous ferons payer ces porcs.

— Ne les appelez pas ainsi, remarqua Keith à sa propre surprise.

— Pardon ?

— Ne les appelez pas « porcs ». Ce sont des Waldahuds.

Il avait aboyé le mot presque sans accent.

Amundsen le regarda avec étonnement.

— Vous savez comment ils nous appellent ? demanda-t-elle.

Keith secoua la tête.

— Gargtelkin, indiqua son interlocutrice. « Ceux qui copulent hors saison ».

Keith réprima un sourire. Puis, de nouveau conscient du sérieux de la conversation, il déclara :

— Nous ne pouvons pas entrer en guerre ouverte avec eux.

— C’est eux qui ont commencé.

Il songea à sa sœur aînée et à son frère cadet ; à un vieux film en noir et blanc où s’affrontaient des hymnes patriotiques, La Marseillaise contre le Wacht am Rhein ; et surtout à la Voie lactée posée sur sa main ouverte.

— Non, dit-il simplement.

— Que voulez-vous dire ? aboya Amundsen. Ils ont bel et bien commencé.

— Qu’est-ce que ça change ? Nous avons découvert des êtres de matière noire, des transchangeurs ouvrant sur l’espace intergalactique, des étoiles venues du passé… Et vous, vous demandez qui a commencé. Mettez un terme à cette histoire. Ici et maintenant.

— C’est justement notre intention, intervint le Premier ministre. Y mettre un terme une bonne fois pour toutes. Mettre ces fichus porcs à terre et qu’ils ne se relèvent jamais.

Keith secoua lentement la tête.

— Laissez-moi aller parler à la reine Pelsh à Rehbollo. Je suis censé être diplomate. Laissez-moi essayer d’obtenir une paix durable entre les humains et les Waldahuds.

— Et les morts ? contra Amundsen. Qu’en faites-vous ? Vous n’en avez peut-être pas eu sur Starplex, mais nous si.

Keith pensa à Saul Ben-Abraham. Mais, cette fois, ce ne fut pas l’horrible image de sa mort qui vint à son esprit, le crâne de Saul s’ouvrant comme une fleur rouge devant ses yeux, mais son ami vivant, un sourire éclatant de blancheur dans sa barbe fournie, une pinte de bière à la main. Il avait marché vers le vaisseau étranger dans l’intention de parler de paix, d’amitié.

Et l’autre Saul ? Saul Lansing Cervantès, incapable de chanter deux notes justes de suite, fier de sa petite barbichette à la mode, bloqueur de son équipe de base-ball, drogué au chocolat… et major de sa classe de physique… Le genre de gars qu’ils recruteraient comme pilote d’engin hyperspatial en cas de guerre.