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— D’autres humains sont morts sans que nous cherchions à nous venger, fit Keith.

Losange avait raison. « Oubliez », avait-il conseillé. Keith sentit le poids qu’il portait en lui depuis dix-huit ans s’alléger, disparaître… Il regarda les deux femmes devant lui.

— En mémoire de ceux qui sont morts – et pour que d’autres restent en vie – nous devons éteindre le feu avant qu’il soit trop tard.

De retour dans son vaisseau, Keith se dirigea vers le transchangeur.

Il avait discuté des heures avec la commissaire Amundsen et le Premier ministre Kenyatta, et il savait qu’il discuterait encore beaucoup plus longtemps s’il le fallait. Il avait trouvé un moulin contre lequel se battre, un moulin qui en valait la peine : la paix.

Rêve impossible ?

Il songea à son arrière-arrière-grand-père et à sa vie remplie de merveilles. Voitures, avions, lasers, premiers pas sur la lune…

À sa propre vie remplie de merveilles.

À toutes les merveilles à venir.

Rien n’était impossible – pas même la paix. Toute technologie suffisamment avancée devient de la magie.

Suffisamment avancée, là était le point. Comme les êtres et les civilisations, les races croissaient, mûrissaient. Lui, était prêt pour ça.

Les autres devaient l’être aussi.

Borman, Lovell et Anders avaient tenu la Terre dans leurs mains. Juste un quart de siècle plus tard, le monde se désarmait de lui-même. Einstein n’avait pas vécu assez longtemps pour y assister, mais finalement son impossible rêve de remettre son génie nucléaire dans la bouteille s’était réalisé.

Et maintenant, humains et Waldahuds avaient tenu la galaxie dans leurs mains. Une galaxie que Keith et beaucoup d’autres verraient tourner autour de son axe plus d’une fois.

La paix régnerait entre les différentes races. Il y veillerait. D’ailleurs, qu’y avait-il de mieux à faire pour un bâtisseur de ponts destiné à vivre des milliards d’années ?

Le vaisseau toucha le transchangeur. Le temps que le halo violet glisse le long de sa coque arrondie, et il émergeait de nouveau près de l’étoile verte.

Gigantesque losange argenté et cuivré, Starplex attendait dans l’obscurité étoilée. La porte spatiale de la baie numéro sept était ouverte. À l’intérieur, Keith reconnut la silhouette bronze du Rum Runner : Jag et Longuebouteille étaient rentrés de leur expédition. Le cœur battant, Keith effectua ses manœuvres d’amarrage.

Il se rendit immédiatement sur le pont central où Rissa travaillait avec l’équipe Delta. Malgré la brièveté de son absence, il ressentait le besoin de l’embrasser, et la serra tendrement contre lui pendant un long moment. Verre à pied s’éloigna poliment de sa console au cas où le directeur souhaiterait prendre sa place, mais Keith lui fit signe de rester et s’installa sur une chaise dans la partie réservée aux visiteurs.

Il venait juste de s’asseoir quand la porte principale s’ouvrit devant Jag.

— Le bébé est prisonnier, annonça-t-il en se dirigeant vers le poste de physique, momentanément inoccupé. Une étoile émergée du même transchangeur que lui le retient dans son champ de gravité.

— Vous avez émis l’appel radio ? demanda Rissa.

— Sans succès. Mais l’étoile est très bruyante. Il se peut qu’elle ait brouillé notre message ou sa réponse.

— Un soupir dans un ouragan, fit Keith. Ce serait un miracle s’il l’avait entendu.

— Surtout, intervint Longuebouteille qui venait d’entrer dans le bassin à droite du pont, s’il est mort.

Keith se tourna vers lui, puis hocha la tête.

— Évidemment. À votre avis, quelles sont ses chances de survie ?

Rissa grimaça.

— Nous ne résisterions pas plus de cinq secondes sans nos écrans de force au maximum, dit-elle. Et le Génoir est complètement nu.

— Pire, renchérit Jag, il est noir. Et même si la matière luster-quark laisse passer les radiations électromagnétiques, la poussière de matière normale qu’elle contient ne reflète ni la lumière ni la chaleur de l’étoile. Le Génoir doit tout absorber… Autant dire se cuire lui-même.

— Vous avez des propositions ? demanda Keith.

— Première chose, répondit Jag, lui faire de l’ombre en interposant un parasol en aluminium entre l’étoile et lui.

— Notre laboratoire pourrait s’en charger ? interrogea Keith. Ordinairement, je m’adresse à New Beijing pour fabriquer ce genre de choses et leur demande de me l’envoyer par transchangeur. Mais, d’après ce que j’ai vu, ils ont assez à faire après la bataille pour que je les ennuie avec ça.

Le jeune Noir américain assis aux Opérations internes répondit :

— Je demanderai confirmation à Lianne, mais je pense que nous devrions nous en sortir nous-mêmes. En revanche, ce ne sera pas simple. Le parasol devra mesurer plus de cent mille klicks de large, ce qui, même avec une épaisseur d’une seule molécule, représente une sacrée quantité de matériel.

— Il faudra combien de temps, à votre avis ?

— Six heures dans le meilleur des cas. Douze dans le pire.

— Même si nous arrivons à abriter l’enfant génoir, que se passera-t-il ensuite ? Il sera toujours prisonnier.

Keith se tourna vers Jag.

— Est-ce que nous pourrions nous servir du parasol comme d’une voile et laisser le vent solaire l’éloigner de l’étoile ?

Le Waldahud grogna.

— C’est sans espoir.

— D’accord. Alors, nous pourrions peut-être abriter le Génoir avec une sorte de bouclier de force, faire exploser l’étoile afin qu’elle se transforme en nova, et…

Un staccato d’aboiements – le rire waldahud – interrompit Keith.

— Vous avez une imagination débordante, Lansing. Bien sûr, on a effectué quelques travaux théoriques sur le sujet, et je m’y suis moi-même vaguement intéressé à une époque, mais, même si nous passions de la théorie à la pratique, je ne vois pas quel bouclier serait assez puissant pour protéger le Génoir de ce genre d’explosion à seulement quarante millions de kilomètres de distance.

Il en fallait plus pour décourager Keith qui proposa :

— Dans ce cas, pourquoi ne pas essayer de repousser l’étoile dans le transchangeur ? Son attraction s’annulerait pendant la traversée et le bébé génoir serait libéré.

— L’étoile ne se rapproche pas du transchangeur, elle s’en éloigne, rappela Jag. Nous n’avons aucun moyen de déplacer le transchangeur, et si nous savions comment détourner une étoile de sa trajectoire, nous serions certainement capables d’arracher un objet de la taille de Jupiter à son attraction. Malheureusement, nous n’en sommes pas encore là.

Jag balaya la salle du regard avant de demander :

— Une autre idée brillante ?

— Oui, répondit Keith en fixant le Waldahud dans les yeux. Certainement.

Quand Keith se tut, Jag le fixait de ses quatre yeux, sa bouche ouverte laissant apparaître ses deux dentiers blanc bleuté à l’intérieur.

— Je sais que je vous ai dit que c’était possible, dit-il finalement dans un aboiement étouffé, mais à une telle échelle… ?

Keith hocha la tête.

— À moins que vous ayez une meilleure suggestion…

— Eh bien, nous pourrions laisser le Génoir en orbite autour de l’étoile. S’il est encore vivant lorsque nous installerons le parasol, rien ne devrait l’empêcher par la suite de poursuivre son cycle de vie normal en orbite. Tandis que si votre plan échoue, il mourra.

D’une voix plus douce, Jag ajouta :

— C’est vrai, Lansing, que je recherche la gloire. Et je devrais me réjouir de l’occasion que vous m’offrez de jouer un rôle fondamental dans le sauvetage du Génoir. Si votre plan réussit, la considération de mes congénères à mon égard s’accroîtra grandement. Mais, au fond de moi-même, je ne pense pas que cette décision nous revienne. En temps normal, je conseillerais de demander l’avis du patient. Puisque c’est impossible dans ce cas, je suggère de nous adresser à ses proches.