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— Croyez-vous que l’on puisse traverser le transchangeur sans risque ? demanda Keith.

Le Waldahud se tourna vers lui et cligna de ses deux paires de paupières.

— À première vue, je ne trouve rien d’inquiétant. Il faut que j’examine le reste des données rapportées par le vaisseau d’exploration, mais, pour l’instant, ça ressemble à n’importe quelle zone spatiale.

— C’est bon. Dans ce cas, essayons de…

— Attendez ! coupa Jag, les yeux fixés sur une partie de l’hologramme juste au-dessus de l’épaule de Keith.

Il se dirigea vers le commandant, le dépassa et continua jusqu’à la rangée de chaises polymorphes derrière sa station de travail.

— Attendez, répéta-t-il. Losange, combien de temps d’holographie en temps réel reste-t-il ?

— Je suis vraiment désolé de vous annoncer que l’holographie en temps réel est arrêtée depuis deux minutes, répondit l’Ebi depuis sa console. J’ai rebouclé le play-back.

Jag se rapprocha du mur, ce qui revenait à peu près à effectuer deux ou trois pas vers une montagne éloignée dans l’espoir d’en obtenir une meilleure vue. Il scruta l’obscurité, puis leva son bras supérieur gauche pour entourer une région particulière du champ d’étoiles.

— Ici, dit-il. Il y a quelque chose de bizarre… Losange, accélérez le play-back, dix fois la vitesse normale, et passez-le en boucle continue.

— Exécuté avec joie, répondit Losange, ses tentacules frappant à toute allure sur sa console.

— C’est impossible ! s’exclama Thor.

Les yeux fixés sur la zone désignée par le Waldahud, il s’était à moitié levé de son siège, les deux mains appuyées sur le bord de son bureau.

— Il semblerait pourtant que si, répondit simplement Jag.

— Qu’y a-t-il ? demanda Keith.

— Regardez bien.

— Je ne vois rien. Juste quelques étoiles qui clignotent. Jag haussa les épaules, signe waldahud d’assentiment.

— Exactement. Comme par une nuit claire d’hiver sur votre Terre si merveilleuse. Sauf que, poursuivit-il, vues de l’espace, les étoiles ne clignotent jamais.

Gamma Draconis

« Vous ne détenez pas seulement les clés de l’avenir, mais aussi celles du passé », avait déclaré l’homme de verre. Ses paroles revenaient sans cesse à l’esprit de Keith. Il regarda les arbres, le lac, le ciel bleu autour de lui. L’homme de verre lui avait assuré que ce n’était ni une cage ni un zoo, qu’il pouvait partir quand il le souhaitait. Mais cela ne l’empêchait pas d’avoir la tête qui tournait. Tout cela représentait sans doute trop de nouveautés à assimiler en même temps en dépit de l’atmosphère familière dans laquelle ses hôtes s’étaient efforcés de le plonger. À moins qu’il s’agisse d’un effet secondaire de la manipulation mentale dont il faisait l’objet – car il n’était toujours pas certain de n’être pas victime d’une illusion. Étourdi, il décida de s’asseoir. En s’installant, il remarqua avec étonnement une tache d’herbe verdâtre sur le genou droit de son pantalon.

L’homme de verre, assis en lotus, flottait dans l’air à environ deux mètres de lui.

— Vous vous êtes présenté sous le nom de G.K. Lansing.

Keith acquiesça d’un signe de tête.

— Que signifie le G ?

— Gilbert.

— Gilbert… répéta l’homme de verre en hochant la tête comme si cette réponse avait un sens particulier.

Keith le regarda, perplexe.

— En fait, je me fais appeler par mon deuxième prénom, expliqua-t-il avec un petit ricanement gêné. Vous en feriez sans doute autant si votre prénom était Gilbert.

— Quel âge avez-vous ?

— Quarante-six ans.

— Quarante-six ? Seulement… commenta l’homme de verre.

Son ton était étrange. Presque mélancolique. Ou surpris.

— Euh… oui. Je parle en années terrestres, bien sûr.

— Si jeune…

Keith leva un sourcil, pensa à ses cheveux clairsemés.

— Parlez-moi de votre compagne, proposa son interlocuteur.

— Ça vous intéresse vraiment ?

Rire carillon.

— Tout m’intéresse.

— Tout de même… ma compagne ? Vous avez sûrement des questions plus importantes à me poser.

— Y a-t-il quelque chose de plus important pour vous ?

Keith réfléchit un instant.

— Euh… non. Enfin, je ne crois pas.

— Dans ce cas, parlez-moi d’elle. Car c’est une femme, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Je vous écoute.

Keith haussa les épaules d’un air résigné.

— Eh bien, elle s’appelle Rissa. C’est un surnom pour Clarissa. Clarissa Maria Cervantès…

Il sourit avant de préciser :

— Son nom de famille me fait toujours penser à Don Quichotte.

— Qui ?

— Don Quichotte, l’homme de la Manche. C’est le héros d’un romancier appelé Cervantès… Vous aimeriez sûrement Cervantès. Il a écrit un roman sur un homme de verre. Quoi qu’il en soit, Don Quichotte est une sorte de chevalier errant à l’âme noble qui poursuit toujours des idéaux impossibles. Mais…

— Mais… ?

— Ce qui est drôle, c’est que Rissa me compare toujours à lui. Elle dit que je suis « donquichottesque ».

L’homme de verre se tapota bizarrement la tête d’un air dérouté. Keith comprit alors qu’il ne parvenait pas à établir de lien entre le nom de Don Quichotte et l’adjectif « donquichottesque ».

— « Donquichottesque » signifie « qui ressemble à Don Quichotte », expliqua-t-il. Visionnaire, romantique, rêveur… une sorte d’idéaliste redresseur de torts. Évidemment, je ne suis pas du genre à me contenter d’aimer Rissa d’un amour pur et chaste, mais je reconnais que j’ai tendance à livrer des batailles que d’autres estimeraient perdues d’avance. D’ailleurs, sans cela…

La tête transparente en forme d’œuf s’inclina légèrement.

— Sans cela… ?

— Eh bien, reprit Keith, ses bras ouverts désignant le paysage autour d’eux, nous avons fini par atteindre les étoiles, n’est-ce pas ?

L’air soudain embarrassé, il demeura silencieux un bref instant, puis reprit d’un ton plus posé :

— Mais, vous vouliez que je vous parle de Rissa. Eh bien, nous sommes mariés depuis presque vingt ans. Elle est biologiste. Exobiologiste, plus exactement, spécialisée dans les formes de vie terrestres.