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— Vous l’aimez ?

— Énormément.

— Vous avez des enfants ?

Bien que le ton de son interlocuteur ne soit pas monté en fin de phrase, Keith supposa qu’il s’agissait d’une question.

— Un, répondit-il. Il s’appelle Saul.

— Sol ? Comme l’étoile de votre système ?

— Non, Saul. S-A-U-L. C’était le prénom de mon meilleur ami. Saul Ben-Abraham.

— Donc le nom complet de votre fils est Saul Lansing-Cervantès. C’est ça ?

— C’est ça, acquiesça Keith, surpris de la vitesse à laquelle son compagnon avait compris le protocole humain des noms et prénoms.

— Saul Lansing-Cervantès… répéta lentement l’homme de verre, la tête inclinée, comme s’il réfléchissait.

Il se redressa brusquement.

— Excusez-moi. C’est que… ce nom est tellement musical.

— Voilà une remarque amusante quand on le connaît, fit Keith. J’adore mon fils, mais je crois n’avoir jamais rencontré quelqu’un avec l’oreille aussi peu musicienne. Il a dix-neuf ans et étudie la physique. Il est extrêmement doué, et je ne serais pas surpris qu’il se fasse un nom dans ce domaine, un jour.

— Saul Lansing-Cervantès… votre fils, articula l’homme de verre, pensif. C’est fascinant. Enfin, revenons à Rissa.

Keith le contempla un moment, de plus en plus perplexe. Finalement, il haussa les épaules et déclara :

— C’est une femme merveilleuse. Intelligente, chaleureuse, drôle, belle…

— Vous m’avez dit être marié avec elle, n’est-ce pas ?

— C’est exact.

— Ce qui signifie… la monogamie ? Votre couple et personne d’autre ?

— Oui.

— Sans exception ?

— Sans exception.

Après une pause, Keith ajouta :

— Jusqu’à présent.

— Que voulez-vous dire ? Vous avez l’intention de changer votre type de relation ?

Keith détourna les yeux, gêné. C’était ridicule. Que pouvait bien connaître cet étranger du mariage ?

— Autre chose, dit-il.

— Pardon ?

— Passons à autre chose.

— Pourquoi ? Vous vous sentez coupable ?

Keith fronça les sourcils.

— Qui êtes-vous exactement ? Ma fichue conscience ?

— Juste quelqu’un qui s’intéresse à votre vie. Rien de plus.

— Intéressez-vous à un autre sujet, alors.

— Pardonnez-moi, s’excusa l’homme de verre. Où avez-vous rencontré Rissa ?

— À La Belle Aurore. Les Allemands étaient en gris ; elle était en bleu.

— Pardon ?

— Désolé. C’était une citation d’un autre de mes héros favoris. Nous nous sommes rencontrés à une soirée à New Beijing, la colonie terrestre sur Tau Ceti IV. Elle travaillait dans le même labo qu’un ancien copain de lycée.

— Ça a été… Comment dites-vous déjà… ? Le coup de foudre ?

— Non… Enfin, si… Je ne sais plus.

— Et vous êtes mariés depuis vingt ans ?

— Quasiment. Nous devons fêter notre anniversaire la semaine prochaine.

— Vingt ans… murmura l’homme de verre. Autant dire rien.

Keith plissa le front.

— Sur Terre, c’est plutôt un exploit de rester ensemble si longtemps, fit-il.

— Pardonnez ma remarque. Je vous félicite… Qu’est-ce qui vous plaît le plus en Rissa ?

— Je ne sais pas, fit Keith avec un haussement d’épaules. Beaucoup de choses. Surtout le fait qu’elle soit bien dans sa peau. Moi, j’ai toujours besoin de me cacher derrière des attitudes, de montrer que je suis intelligent ou cultivé… Je suis victime du « syndrome de l’imposteur ». C’est assez fréquent chez les humains qui ont acquis un certain niveau social : ils ont toujours peur que les autres découvrent un jour qu’ils ne méritent pas leur place. Je reconnais que je tombe parfois dans le panneau, moi aussi. Mais pas Rissa. Jamais je ne l’ai vue essayer de paraître différente de ce qu’elle est.

L’homme de verre hocha la tête.

— J’aime également son calme, sa constance. J’ai une fâcheuse tendance à m’énerver lorsque les choses ne marchent pas comme je le veux. Je jure, je crie. Rissa, elle, se contente de sourire en faisant son possible pour que tout s’arrange. Et si ça ne suffit pas, elle se raisonne et l’accepte… En fait, elle est bien mieux que moi.

Cette remarque laissa l’homme de verre songeur quelques instants.

— Elle semble être quelqu’un de bien, Keith, dit-il. Vous devriez tout faire pour la garder.

Son compagnon le regarda, déconcerté.

III

Lorsqu’il avait assisté au montage de Starplex, deux ans plus tôt, sur la base spatiale de Rehbollo, Keith n’avait pu s’empêcher de songer à un jeu de Lego. Le vaisseau géant ne se composait que de neuf pièces, dont huit parfaitement identiques.

La pièce principale, le module disque/arbre central, était également la plus imposante. Avec un disque de 290 mètres de diamètre sur 30 mètres d’épaisseur traversé par un axe central de section carrée qui dépassait de 90 mètres de part et d’autre, elle s’élevait sur une hauteur totale de 210 mètres. À chaque extrémité de l’arbre vertical, une capsule abritait une antenne parabolique servant à la fois de radar et de télescope hyperspatial.

Le disque autour de l’arbre central était lui-même constitué de trois anneaux : le premier, d’un rayon de 95 mètres, constituait le fond des 686 000 mètres cubes d’eau salée qui formaient l’océan du vaisseau ; le second, de vingt mètres de large sur une hauteur de dix ponts, abritait la salle des machines ; tandis que huit immenses cales et vingt zones d’amarrage alignées sur le bord vertical du disque composaient le troisième.

Huit modules d’habitation représentaient les autres composants. Tous identiques, ils se présentaient sous la forme d’un prisme triangulaire à angle droit de quatre-vingt-dix mètres de hauteur et de base sur trente mètres d’épaisseur. Chaque module était attaché à l’un des quatre côtés de l’arbre central de part et d’autre du disque. De profil, le vaisseau ressemblait à un losange traversé par un axe ; du dessus, à un cercle orné d’une croix centrale (les modules d’habitation).

Divisés en trente ponts chacun, les modules d’habitation étaient prévus pour s’adapter à de nouvelles races ou de nouveaux équipements, leur amovibilité permettant également de s’en servir comme base de longues missions d’exploration.

Depuis son lancement, Starplex n’avait connu que des missions sans histoires. Mais, aujourd’hui, enfin, une situation de premier contact se présentait. Aujourd’hui, enfin, ce fabuleux vaisseau allait montrer ce dont il était capable.