Vienne cette heure renversée, la Douzième: son moment, qu'il me sera doux!
A l'envers de ma nature les désirs alors agiront:
Peut-être alors me sentirai-je bon parmi les principes à l'envers?
Joyau mémorial
Pour mon service et ma fidélité voici du Prince, le joyau de Mémoire, perle magique où s'enferme le passé.
Un regard jeté sur elle et tout renaît, tout s'éclaire et se ravive, luisant comme un reflet du jour présent.
Puis-je contenir ma joie! rallumer les soleils studieux, ressentir les succès timides: compliments du maître, attente comblée des nominations.
Voici donc: – mais cela n'est plus mon passé à moi! Avais-je oublié cela? Regardons mieux, fixement, au fond, tout au fond du joyau magique:
Je vois: – je vois un homme épouvanté qui me ressemble et qui me fuit.
Au Démon secret
Le peuple, sans perplexité, vénère. Il encense, invoque ou répudie. Il donne trois, ou six ou neuf prosternements. Il mesure son respect à la compétence, aux attributs, aux grâces qu'il escompte juste.
Car il sait précisément les goûts du génie de l'âtre; les dix-huit noms du singe qui donne la pluie; la cuisson de l'or comestible et du bonheur.
De quelles cérémonies l'honorer ce démon que je loge en moi, qui m'entoure et me pénètre? De quelles cérémonies bienfaisantes ou maléfiques?
Vais-je agiter mes manches en respect ou brûler des odeurs infectes pour qu'il fuie?
De quels mots d'injures ou glorieux le traiter dans ma vénération quotidienne: est-il le Conseiller, le Devin, le Persécuteur, le Mauvais?
Ou bien Père et grand Ami fidèle?
J'ai tenté tout cela et il demeure, le même en sa diversité. – Puisqu’il le faut, ô Sans-figure, ne t'en va point de moi que tu habites:
Puisque je n'ai pu te chasser ni te haïr, reçois mes honneurs secrets.
Libération
On souffre, on s'agite, on se plaint dans mon Empire. Des rumeurs montent à la tête. Le sang, comme un peuple irrité, bat le palais de mes enchantements.
La famine est dans mon cœur. La famine dévore mon cœur: des êtres naissent à demi, sans âmes, sans forces, issus d'un trouble sans nom.
Puis on se tait. On attend. Que par un bon vouloir s'abreuvent de nouveau vie et plénitude.
Comme le Fils du Ciel visitant ses domaines, et jusqu'au fond des prisons de sécheresse portant lumière et liberté,
Libère en moi-même, ô Prince qui es moi, tous les beaux prisonniers-désirs aux geôles arbitraires, et qu'en grâce et retour,
Tombent sur mon Empire les gouttes larges de la satisfaction.
Juges souterrains
Il y a des juges souterrains. L'assemblée siège dans la nuit pleine; il faut traverser des roches que les satellites fendent et tomber plus creux que les puits.
Là, toute vie se double et retentit. Que l'Empereur, guerrier malheureux ou mauvais prince, n'y aventure point sa personne:
Le peuple des morts par sa faute militaire l'étranglerait aussitôt.
*
Moi-même, régent maladroit, vivant timide, ne dois sans risque y jeter mon souvenir:
Mes beaux désirs tués pour quelle trop juste cause, – soldats rancuniers et fantômes, – m'assailliraient aussitôt.
Retombée
Je frappe les dalles. J’en éprouve la solidité. J'en écoute la sonorité. Je me sens ferme et satisfait.
J'embrasse les colonnes. Je mesure leur jet, la portée, le nombre et la plantation. Je me sens clos et satisfait.
Me renversant, cou tendu, nuque douloureuse, je marche du regard sur le parvis inverse et je sens mes épaules riches d'un lourd habit cérémonieux, aux plis carrés, à la forte charpente.
Coulant du faîte, paisible horizon terrestre, aux bords du toit mûri comme un manteau des moissons, – voici les Angles, acérés, griffus et cornus.
Ces quatre cornes, qui menacent-elles dans le ciel? Que découvrent ces quatre doigts aux ongles longs? Font-ils signe qu'il y a là-haut quelqu'un qui regarde?
Ce sont les quatre coins de la Tente originale, noués aux quatre liens qui les relèvent, et, livrant avenue, déploient l'ample hospitalité.
Liens invisible, que prolonge l'au-delà des nues, où vont-ils se lier eux-mêmes? A quels piliers du Ciel, à quels poteaux du monde, à quelles hampes dix mille fois élevées?
Cet espace, crevé par les pointes, pénétré des neuf firmaments qui l'entoure et le contient? Plus loin que les confins il y a l’Extrême, et puis le Grand-Vide, et puis quoi?
Est-ce là l'inquiétude désignée par ces doigts courbés aux ongles longs? – Mais voici, pas de réponse, et pas de signes, et point de haut mystère, et pas même de liens, même invisibles.
Puisque sous chacun des chevrons volants, accusant sa corne, résolvant sa cambrure, j'aperçois le grossier Piquet terrestre qui le soutient et qui l'explique.
Prince des joies défendues
Prince, ô Prince des joies défendues entendez-vous pas ce qu'on chante autour de vous? «Les quatre coursiers trottent, les rênes flottent: quitter le mal pour le bien serait un nouveau délice!»
Prince, ô Prince, votre perte est dénoncée. Songez à l'Empire! Songez à vous!
Le Prince dit: Assez. Mauvais augures! Je suis à l'Empire ce que le Soleil est au Ciel. Et qui donc s'en irait le dépendre? Quand il tombera, moi aussi.