Выбрать главу

Everard proposa de les aider à accomplir leurs tâches. Veillant à rester poli, car un hôte était sacré, le capitaine lui rétorqua qu’un marin d’eau douce ne ferait que les gêner. Everard s’éloigna donc, suivant la direction prise par Edh et Heidhin.

Il vit qu’ils s’étaient arrêtés un peu plus loin. Selon toute évidence, ils discutaient ferme. Elle eut un geste étrangement impérieux pour une femme aussi jeune. Heidhin tourna les talons et rebroussa chemin d’un pas vif. Edh poursuivit sa route.

« C’est peut-être une chance à saisir, dit Everard en mode subvocal. Je vais essayer d’engager la conversation avec lui.

— Soyez prudent, conseilla Floris. Il semble assez énervé…

— Ouais. Mais il faut bien tenter le coup, non ? »

C’était pour cela qu’ils étaient ici, ayant choisi d’entrer en contact avec le navire plutôt que de localiser son point de départ en remontant dans le temps. Ils n’osaient pas aborder de front la source de l’instabilité, cet événement inconnu et fragile d’où pouvait surgir tout un nouvel avenir. Ici, du moins l’espéraient-ils, ils avaient une chance d’en apprendre davantage en courant le minimum de risques.

Heidhin pila devant l’étranger, qu’il gratifia d’un regard furibond. Encore adolescent lui aussi, il n’avait qu’un ou deux ans de plus qu’Edh. Dans ce milieu, cela faisait de lui un adulte, mais il était encore dégingandé, pas tout à fait formé, et seul un fin duvet poussait sur ses joues. Il était vêtu d’une tunique et d’une culotte de laine, qui dégageaient une forte odeur dans l’atmosphère humide, et chaussé de bottes blanchies par le sel. Une épée pendait à sa ceinture.

« Salut ! » lança Everard. En surface, il était tout sourires. Mais une sueur glacée coulait sur son cuir chevelu.

« Salut », grommela Heidhin. Dans l’Amérique du XXe siècle, son attitude n’aurait rien eu de choquant chez un adolescent. Ici et maintenant, elle frisait l’insulte. « Que veux-tu ? » Il marqua une pause avant d’ajouter, toujours aussi peu amène : « Ne suis pas cette femme. Elle souhaite rester seule.

— N’est-ce pas dangereux ? demanda Everard – une question des plus naturelle.

— Elle n’ira pas très loin et sera de retour avant la tombée de la nuit. En outre…» Heidhin laissa sa phrase inachevée. Il semblait en proie à une lutte intérieure. Le désir de paraître important et mystérieux contre l’obligation de discrétion, devina Everard. Mais, lorsqu’il reprit la parole, ce fut avec une terrifiante sincérité. « Quiconque osera l’offenser subira un sort pire que la mort. Elle est l’élue d’une déesse. »

Le gémissement du vent gagna-t-il en intensité ? « Tu la connais bien, donc.

— Je… je voyage à ses côtés.

— Et quelle est votre destination ?

— Pourquoi veux-tu le savoir ? s’emporta Heidhin. Laisse-moi tranquille !

— Du calme, mon ami, du calme », dit Everard. Son âge et sa carrure lui donnaient un avantage. « Simple curiosité de la part d’un étranger. J’aimerais en savoir davantage sur… Edh, c’est ainsi que le capitaine l’a appelée, je crois. Toi tu es Heidhin, c’est cela ? »

La curiosité sembla l’emporter chez le jeune homme, qui se détendit quelque peu. « Et toi ? Nous nous sommes posé bien des questions en te voyant sur le rivage.

— Je suis un voyageur, Maring le Marcoman – un peuple dont tu n’as sans doute jamais entendu parler. Vous connaîtrez mon récit ce soir, à la veillée.

— Quelle est ta destination ?

— Je vais là où ma chance me conduit. »

Heidhin resta muet quelques instants. Les vagues murmuraient doucement. Un goéland piailla dans le ciel. « Et si tu nous étais envoyé ? » souffla-t-il.

Everard sentit son pouls s’accélérer. Il s’obligea à répondre d’une voix posée : « Qui pourrait m’envoyer à vous, et pour quelle raison ?

— Écoute, bafouilla Hiedhin, Edh va là où Niaerdh lui ordonne d’aller, au moyen de rêves et de signes. Elle pense que c’est ici que nous devons débarquer pour gagner l’intérieur des terres. J’ai essayé de lui expliquer que cette contrée était misérable, avec de rares villages et de nombreux brigands. Mais elle…» Il déglutit. La déesse était censée la protéger. La foi et le bon sens s’affrontèrent en lui, puis conclurent un armistice. « Si un second guerrier l’accompagnait…

— Oh ! c’est fantastique, intervint la voix de Floris.

— Je ne sais pas si je pourrais entrer dans la peau d’un jouet du destin, l’avertit Everard en mode subvocal.

— Vous pouvez au moins prolonger la conversation.

— Je vais essayer. »

S’adressant à Heidhin : « Voilà qui est nouveau pour moi, comprends-le. Mais nous pouvons en discuter. Je n’ai rien d’autre à faire pour le moment, et toi ? Marchons un peu sur cette plage, et tu m’en apprendras davantage sur Edh et sur toi. »

Le jeune homme baissa les yeux. Il se mordit les lèvres, rougit, blêmit, rougit à nouveau. « C’est plus difficile que tu ne le crois, souffla-t-il.

— Mais je dois en savoir plus avant de m’engager, non ? » Everard posa sa grosse main sur la frêle épaule voûtée. « Prends ton temps, mais raconte-moi tout.

— Edh… C’est elle qui… Elle devrait décider…

— Quel pouvoir possède-t-elle pour qu’un homme comme toi obéisse à sa moindre parole ? »  Fais preuve du respect qui s’impose. « Une si jeune fille peut-elle être prêtresse ? Voilà qui serait inouï. »

Heidhin leva les yeux. Il tremblait de tous ses membres. « Oui, c’est une prêtresse, et bien plus encore. La déesse est venue à elle et, à présent, elle appartient à Niaerdh et va répandre sa colère de par le monde.

— Quoi ? Et contre qui la déesse est-elle en colère ?

— Contre le peuple de Romaburh !

— Mais quel mal a-t-il pu faire ? » En ces terres si éloignées de Rome.

« Ils… ils… Non, ceci est trop sacré pour que j’en parle. Attends d’avoir rencontré Edh. Elle t’en apprendra autant qu’elle le jugera nécessaire.

— C’est bien trop demander », répliqua Everard, protestation raisonnable dans la bouche du voyageur qu’il feignait d’être. « Tu me laisses dans l’ignorance de votre histoire et de votre destination, et tu voudrais que je veille sur une fille susceptible d’exciter la concupiscence des pillards et la convoitise des esclavagistes…»

Heidhin poussa un cri. Son épée jaillit du fourreau. « Tu oses ! » La lame s’abattit en vrombissant.

Everard ne dut son salut qu’à ses réflexes. Il abaissa sa pique juste à temps pour parer le coup. Le fer s’enfonça dans le frêne. Celui-ci ne rompit point. Heidhin dégagea son arme et la leva une nouvelle fois. Everard empoigna la sienne des deux mains, comme si c’était un bâton. Je ne dois pas le tuer, il sera vivant dans l’avenir, et puis ce n’est qu’un gamin… Un coup en plein front. Un coup qui aurait envoyé Heidhin dans les pommes, si la hampe ne s’était pas cette fois brisée en deux. Il vacilla sur ses jambes.

« Calme-toi, petite brute ! » rugit Everard. La rage et l’inquiétude se disputaient ses pensées. Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? « Tu veux des hommes pour ta fille, oui ou non ? »

Poussant un nouveau hurlement, Heidhin lui sauta dessus. Il était si faible que le Patrouilleur n’eut aucun mal à esquiver son épée. Lâchant sa pique, il chercha le corps-à-corps, agrippa la tunique de laine, fit pivoter le jeune homme sur sa hanche et l’envoya s’effondrer à deux mètres de là.

Heidhin se releva tant bien que mal et saisit le couteau passé à sa ceinture. J’ai intérêt à en finir vite. Everard lui décocha une manchette dans le plexus solaire. Sans trop forcer. Heidhin se plia en deux, le souffle coupé. Everard se pencha sur lui pour s’assurer qu’il ne lui avait pas cassé une côte et qu’il ne risquait pas de s’étouffer dans ses vomissures.