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Le Romain serrait les poings et son visage virait au cramoisi. « C’était franchement insolent. Nous ne pouvons pas récompenser une rébellion. C’est inconcevable. »

Everard adoucit le ton. « De l’avis de… ceux dont je suis le porte-parole… tu as déjà bien châtié la rébellion en question. Si les Bataves et leurs alliés renouvellent leur allégeance et si la paix règne à nouveau sur l’autre rive du fleuve, n’auras-tu pas atteint ton objectif ? En retour, ils ne demandent pas plus que ce qu’ils doivent à leur peuple. Pas de décimation, ni de sujétion au triomphe, ni de condamnation à l’esclavage ou à l’arène. L’amnistie générale, y compris pour Civilis. La restitution des territoires tribaux dans la mesure où ils étaient peuplés. La correction des abus qui ont déclenché la révolte. En d’autres termes, un tribut raisonnable, l’autonomie au plan local, l’accès au commerce et la fin de la conscription. Ceci accompli, je suis sûr que les volontaires se bousculeront à nouveau pour s’engager dans la Légion.

— Des exigences difficiles à satisfaire, commenta Cérialis. Et qui dépassent mes compétences. »

Ah ! il ne les a pas rejetées d’emblée ! Everard sentit un frisson d’excitation le parcourir. Il se pencha en avant. « Général, tu appartiens à la maison de Vespasien, ce Vespasien que Civilis a fidèlement servi. L’Empereur t’écoutera. D’après ce qu’on dit, c’est un homme pragmatique qui se soucie de la bonne marche de l’Empire sans songer à sa gloire personnelle. Le Sénat… écoutera l’Empereur. A condition de le vouloir, et de faire un effort, tu peux aboutir à un traité de paix, général. Et laisser ainsi un souvenir digne de Germanicus plutôt que de Varus. »

Cérialis le fixa en plissant les yeux. « Tu sais de nombreuses choses pour un Barbare, commenta-t-il.

— J’ai pas mal bourlingué, moi aussi », rétorqua Everard. Oh ! que oui, j’ai parcouru le monde, et aussi les siècles. Et, tout récemment, j’ai visité la source de tous tes malheurs, Cérialis.

Comme il lui semblait lointain, ce séjour idyllique sur Öland, ou plutôt sur Eyn. Vingt-cinq années l’en séparaient selon le calendrier. Hlavagast, Viduhada, tous ces gens si hospitaliers, ils devaient être morts à présent, leurs os enfouis dans la terre et leurs noms bientôt emportés par l’oubli. Et, disparue avec eux, cette souffrance d’avoir vu partir des enfants répondant à un appel des plus étrange. Mais, pour Everard, un mois à peine s’était écoulé depuis que Floris et lui avaient fait leurs adieux à Laikian. Ce couple de voyageurs venus du Sud qui avaient débarqué un jour, avec armes, bagages et montures, et demandé la permission de monter leur tente près de ce village si accueillant… Un événement extraordinaire, enchanteur, qui avait délié les langues comme jamais auparavant. Et tous ces précieux moments d’intimité, sous la tente mais aussi sur la lande brûlée par l’été… Par la suite, les deux Patrouilleurs n’avaient pas chômé.

« Et j’ai mes sources », ajouta Everard.

Les Histoires, les archives, les superordinateurs et les experts de la Patrouille. Plus la certitude de savoir que cette configuration est la bonne pour ce plénum frappé d’une forte rétroaction négative. Nous avons identifié le facteur susceptible d’entraîner des altérations en cascade ; ne nous reste plus qu’à le neutraliser.

« Hum, fit Cérialis. J’aurai besoin de précisions supplémentaires. » Il s’éclaircit la gorge. « Mais cela peut attendre. Pour le moment, concentrons-nous sur l’essentiel. Je veux sortir mes hommes de ce bourbier. »

Ce type commence à me plaire. Il me fait penser au général Patton. Oui, on peut discuter avec lui.

Cérialis soupesa ses paroles. « Tu diras ceci à tes chefs, et tu leur demanderas de transmettre le message à Civilis. Je vois un obstacle majeur à la paix. Tu as évoqué les Germains d’outre-Rhin. Je ne peux pas retirer mes troupes de la région tant qu’ils seront prêts à l’envahir à la première occasion.

— Ce n’est pas ce que souhaite Civilis, je te l’assure. Si tu acceptes les conditions que je t’ai présentées, il aura lui aussi atteint son objectif, ou du moins il se contentera de ce compromis. Qui d’autre pourrait déclencher une nouvelle guerre ? »

Cérialis plissa les lèvres. « Veleda.

— La sibylle qui demeure chez les Bructères ?

— C’est une sorcière. Je suis allé jusqu’à envisager un raid dans cette contrée à seule fin de la capturer. Mais elle se serait évanouie dans la forêt.

— Et suppose que tu aies réussi. Autant t’emparer d’un nid de frelons. »

Cérialis opina. « Toutes les tribus auraient pris les armes, du Rhin à la mer Suévique. » C’est-à-dire la Baltique ; il ne se trompait pas. « Mais la laisser cracher son venin en toute impunité, c’est compromettre la sécurité de mes petits-enfants. »

Soupir. « Si on mettait un terme à son activité, le calme aurait tôt fait de revenir. Mais tant qu’elle sera là…

— A mon sens, dit Everard en pesant ses mots à son tour, si Civilis et ses alliés se voient proposer des conditions honorables, je pense que nous pouvons la convaincre d’appeler à la paix. »

Cérialis ouvrit des yeux étonnés. « Tu parles sérieusement ?

— Tente le coup, répliqua Everard. Négocie avec elle comme tu négocies avec les chefs. Je peux servir d’intermédiaire.

— Nous ne pouvons pas la laisser sans surveillance, répondit-il en secouant la tête. Trop dangereux. Nous devons garder l’œil sur elle.

— Garder l’œil ne signifie pas mettre la main. »

Cérialis tiqua, puis gloussa. « Ah ! je comprends. Tu as la langue bien pendue, Everardus. Certes, si nous venions à la capturer ou à l’appréhender, cela déclencherait probablement une nouvelle rébellion. Mais si c’était elle qui en provoquait une ? Comment pouvons-nous être sûrs qu’elle se tiendra tranquille ?

— C’est ce qu’elle fera, une fois réconciliée avec Rome.

— Et que vaut sa parole ? Je connais les Barbares. Volages comme des oies. » Soit le général n’avait pas pensé qu’il risquait d’insulter son interlocuteur, soit il s’en fichait. « D’après mes renseignements, c’est une déesse de la guerre qu’elle sert. Et si Veleda se mettait en tête que sa Bellone a encore soif de sang ? Nous pourrions nous retrouver avec une nouvelle Boadicée sur les bras. »

Une expérience qui t’a marqué, pas vrai ? Everard sirota son verre. Le vin doux lui réchauffa le gosier, évoquant des paysages ensoleillés bien différents de celui qui l’entourait. « Tente le coup, répéta-t-il. Qu’as-tu à perdre en échangeant des messages avec elle ? Je pense qu’il est possible de parvenir à un accord qui satisfera tout le monde. »

Soit qu’il fût superstitieux, soit qu’il parlât par métaphore, Cérialis répondit avec un calme surprenant : « Tout dépend donc de la déesse, n’est-ce pas ? »

17.