Le syndicaliste arrivait, une cigarette aux lèvres, jovial, décontracté, mais ses yeux bleus sans cils trahissaient sa nature soupçonneuse.
— Ça marche, les amis ?
Il se tenait debout derrière eux, comme un pion qui surveille une table de réfectoire.
— Vous parliez du film ? Un sacré machin, n’est-ce pas ?
— Oui, dit Clara, un chef-d’œuvre.
— Vous savez que nous allons faire une partie de chasse ce matin ?
Brusquement, Maxime se souvint que l’une des trente-quatre questions du fameux test demandait si l’on aimait la chasse. Il avait répondu oui. Il accompagnait son grand patron en Sologne, s’attirant évidemment les sarcasmes de Patricia sa femme.
— Vous chassez ? demanda-t-il surpris à Clara.
— Oui, cela m’arrive… Moi aussi je suis invitée en Sologne.
Comment savait-elle pour lui ? se demanda Maxime.
— Mais que chasse-t-on par ici ? demanda Rosario. On dit qu’il y a de grosses grenouilles…
— Amusant, fit Marcel Pochet qui n’appréciait pas. Mais le domaine est grand… On trouve des marais remplis d’alligators.
— J’ai horreur de ces bêtes, fit Clara en frissonnant.
— Il y a des tortues dangereuses, mais aussi des sangliers… Mais le domaine à une spécialité… Le buffle africain. Il y en a une centaine en liberté.
Maxime Carel se souvint qu’il serait un jour admis à accompagner son grand patron à un safari… Son grand patron aimait particulièrement la chasse aux buffles, au Kenya. L’animal le plus dangereux du monde, disait-il.
Tout de suite après le petit déjeuner eut lieu la distribution des carabines calibre 375 HH Magnum, à quatre coups.
On les embarqua dans des Land-Rover. Ils se retrouvèrent tous les trois avec un Espagnol et un Français. On les abandonna dans une sorte de savane immense où ne poussaient que quelques arbres, à l’affût derrière un énorme magnolia.
Ils attendirent dans une atmosphère tendue, essayant d’échanger des plaisanteries mais sans être dupes de leur nervosité. Ce fut l’Espagnol qui le premier aperçut le nuage de poussière. Il avait déjà effectué des séjours en Afrique et ne cacha plus son inquiétude.
— D’après mes souvenirs, ils sont au moins cinq qui foncent vers nous.
— Nous sommes cinq précisément, constata Rosario très pâle.
— Le buffle furieux ne renonce jamais à sa victime, dit encore l’Espagnol. Si nous en manquons un seul nous sommes perdus… Je ne comprends pas qu’ils ne nous aient pas laissé la Land-Rover.
Bientôt ils aperçurent les formidables animaux. Enormes, puissants, mais le plus étonnant était leur couleur.
— Je n’ai jamais vu de buffle rouge en Afrique, haletait l’Espagnol. Choisissez vite vos bêtes !…
Maxime leva les yeux vers la première branche du magnolia située à cinq mètres. Aucun espoir de ce côté-là si l’un des buffles en réchappait.
— Pas possible, on les a barbouillés de peinture, hurlait l’Espagnol. Je prends celui du milieu…
Il s’agenouilla, visa longuement avant de tirer. La bête parut basculer sur ses pattes avant soudain repliées sous elle, son arrière-train se souleva et dans un nuage de poussière le buffle disparut. L’autre Français avait également tiré, mais sa victime, blessée à une patte, galopait encore. Il tira une nouvelle fois. Rosario tira trois fois, réarmant à chaque coup, finit par atteindre son but. Il restait deux buffles à moins de dix mètres, lorsque Clara tira.
Mais le recul de l’arme la surprit et elle faillit tomber. Maxime, voulant la soutenir, tira un peu au hasard.
— Attention ! cria Rosario.
L’un des buffles venait de dépasser le magnolia, pivotait sur ses pattes arrière avec une légèreté inouïe. Il s’immobilisa, racla deux secondes l’herbe sèche et repartit à l’attaque.
A quelques mètres du groupe, il s’abattit soudain d’un bloc. Une Land-Rover venait de surgir avec H.H. debout à l’arrière, l’arme encore à l’épaule et qui riait comme un fou. L’Espagnol put abattre la dernière bête, tandis que Maxime achevait le buffle blessé.
— Pas commode, hein ? disait H.H.
Il leur tapait sur l’épaule, s’esclaffait. Lorsque Maxime s’assit dans le véhicule, il constata que ses jambes tremblaient. Clara se mit soudain à pleurer dans ses mains.
— Nourriture spéciale, expliquait le chauffeur, pour leur donner coloration rouge.
De retour dans la belle demeure, ils apprirent que le groupe principal des fauves s’était dirigés vers eux. Comme un fait exprès, pensa Maxime qui ne parvenait guère à croire au hasard.
Juste avant le repas, Rosario réussit à le prendre à part :
— Nous avons failli y passer… J’ai comme l’impression qu’on a voulu nous flanquer la frousse.
L’après-midi, ils assistèrent à une conférence faite par H.H. lui-même qui, avec son humour habituel, raconta ce qu’avait été l’affaire chilienne. Il ne cachait pas le rôle qu’il y avait pris, expliquait complaisamment comment « ils » avaient eu la peau d’Allende.
Maxime avait déjà lu des articles, des livres sur la question, mais il était quand même fasciné. Il n’avait jamais vu un homme aussi satisfait de lui qu’Harlington. Il s’esclaffait sur certains détails dramatiques, n’avait même aucun respect pour les gens qui avaient trouvé la mort dans les événements.
Il ne choquait pas. On riait avec lui, on applaudissait.
— Le conditionnement est d’une rapidité déconcertante, constata Rosario. Maintenant que sont éliminés des types comme Charvin, votre compatriote, tout va aller très vite.
Après cette conférence, on les invita à se défouler dans des salles de sports. Maxime qui aimait bien le karaté se retrouva avec une dizaine de personnes face à deux moniteurs dont un du type asiatique. Ce fut ce dernier qui leur parla :
— Il est nécessaire que dans vos villes, vos villages, vous apparteniez à un club de combat. Pour vous ce sera le karaté, pour d’autres le judo ou le close-combat. Vous devez tenir compte de la psychologie de ceux qui désirent apprendre un moyen de self-défense. Dans la plupart des cas c’est la peur qui les dirige vers les clubs. Les statistiques sont formelles. Il y a ensuite le besoin de s’affirmer et enfin en dernier lieu le goût de l’exercice physique. Si vous devenez l’un des dirigeants de ces clubs, vous entrerez en contact avec une partie fort intéressante de la population, celle qui répondra le mieux à vos sollicitations en cas de besoin. Vous pourrez même en engager certains dans vos entreprises et leur confier des fonctions parallèles de surveillance et de maintien de l’ordre.
— Cela n’est valable que dans une période antérieure, fit remarquer quelqu’un. Mais si par la suite les Rouges sont les maîtres, croyez-vous qu’ils nous laisseront faire ?
— Vous avez douze mois pour mettre ces projets à exécution. N’oubliez pas une chose : vous aurez besoin de gens favorables en cas d’élection au sein même des entreprises et l’apport de ces sportifs ne sera pas négligeable.
L’autre professeur de karaté prit la suite et étendit le sujet à tous les sports en général.
— Si je m’en tiens aux statistiques, il existe dans vos pays respectifs une majorité de sportifs favorables au statu quo politique. Si je prends le cas de la France, athlètes, coureurs cyclistes, rugbymen et footballeurs ont été choyés par le pouvoir en place. On les a décorés, invités comme des grands personnages, on leur a fourni des places confortables. Il faut cultiver cela et faire encore plus. Le temps vous presse, mais vous pouvez parvenir à des résultats intéressants. Une planification populaire du sport risquerait d’amener dans les équipes un nombre élevé de bons éléments qui, faute actuellement de promotion, ne se seraient pas révélés. Or, l’élite actuelle, sportive malgré ses déclarations, verrait peut-être d’un mauvais œil cet afflux de bons espoirs… Il faudrait ramener leur salaire à de plus équitables proportions. Le sport professionnel serait peut-être sérieusement atteint… Au bénéfice d’un semi-amateurisme… Faites donc réfléchir vos amis sportifs sur ces questions-là… Maintenant, messieurs, nous allons faire quelques échanges.