Maxime se défendit honorablement contre plusieurs adversaires mais fut choqué de constater quelle hargne ils mettaient à combattre. Il avait eu l’impression qu’au moins deux d’entre eux avaient vraiment cherché à lui faire mal.
En sortant de la douche, il remonta dans sa chambre, alluma un Wilde Havana et resta songeur devant sa porte-fenêtre.
— Oui, entrez, dit-il lorsqu’on frappa.
Clara pénétra dans la pièce. Elle portait une bande au poignet.
— Je me le suis foulé… Une espèce d’imbécile l’a stupidement tordu au cours d’une prise. J’ai bien cru qu’il voulait me le casser.
— Vous aussi, fit-il, vous avez remarqué qu’ils y mettaient un peu trop de cœur.
Au repas du soir, Rosario qui pratiquait également le karaté mais avait combattu dans une autre salle leur fit part de sa surprise.
— J’ai reçu un sale coup au bas-ventre, dit-il, et j’ai failli rendre tripes et boyaux… Je crois que désormais nous allons vivre au sein d’une violence de plus en plus grande…
— Le paroxysme dont vous parliez ce matin ?
— Exactement.
Le soir il y eut encore un film mais apparemment authentique cette fois. En fait, il s’agissait de bandes de propagande réalisées par la C.I.A. dans quelques pays communistes du Sud-Est asiatique. On y voyait des scènes révoltantes de tortures de paysans par les Viêt-cong, un charnier découvert au Cambodge lors d’un repli des Khmers rouges. L’émotion était habilement graduée et fut à son comble lorsque apparut sur l’écran un monceau de cadavres d’enfants. Le film avait été soi-disant tourné en Corée lors de la guerre entre le Nord et le Sud. Maxime pensa qu’ils ne possédaient aucun point de référence pour avoir vraiment une certitude. Il y avait eu des massacres de part et d’autre et il trouvait certains détails assez suspects. L’aspect des cadavres, par exemple, ne lui paraissait pas indiquer qu’ils avaient été enterrés puis déterrés comme le prétendait le commentaire.
Et puis, soudain l’écran s’éteignit et la lumière jaillit dans la salle de cinéma avec une impitoyable cruauté. Chacun sursauta, assailli par des milliers de watts. Des projecteurs d’angle, véritables sunlights, emprisonnaient l’assistance dans une éblouissante puissance.
H.H. bondit sur la petite scène. Grave, le visage fermé, il tenait un papier à la main. Sa radicale transformation, il portait en outre un costume foncé, très strict, avec chemise blanche et cravate sombre, trancha avec sa bonhommie débraillée des autres jours.
— Mes amis !
Il agitait un papier et le silence fut tel que chacun donna l’impression de retenir sa respiration.
— Mes amis… Vous êtes tous là bien tranquillement installés… Vous avez passé une bonne journée… Vous êtes magnifiquement reçus dans ce domaine sudiste où il fait si bon vivre. Vous avez conscience de vos responsabilités futures, mais vous vous dites que pour l’instant la vie vaut vraiment la peine d’être vécue, surtout dans de telles conditions. Seulement la réalité est toujours présente, sinistre et menaçante…
Maxime pensa qu’il allait annoncer quelque événement international inquiétant qui arriverait juste à point pour échauffer encore plus les esprits.
— Le ver est dans le fruit, mes amis… Ici même…
Malgré lui, Maxime regarda Rosario assis à sa droite. L’Italien fermait à demi les yeux et lui paraissait très pâle.
— Oui, mes amis, je suis informé qu’il se trouve parmi nous des agents de l’Internationale subversive.
Il y eut des exclamations, puis des cris de colère.
— Ces gens-là s’imaginent qu’ils peuvent s’immiscer sans mal dans nos clubs, qu’ils peuvent nous pénétrer avec leurs intentions dangereuses, leur idéologie de cauchemar, mais depuis longtemps nous avons mis sur pied un service de renseignements qui marche à la perfection.
— Des noms ! cria quelqu’un.
— Oui, des noms !
— Nous voulons savoir !
Clara prit la main de Maxime et la serra dans la sienne. Et Maxime trouva ce geste réconfortant. Il n’avait rien à redouter mais se souvenait de ce que lui disait Patricia : « Dans notre société traumatisée, la vue d’un gendarme nous inquiète toujours même si nous n’avons absolument rien à nous reprocher ». Il n’osait pas regarder Rosario, certain que l’Italien ne pouvait cacher sa propre anxiété.
Les bras en croix, H.H. réussit à imposer le silence.
— J’aimerais bien vous donner des noms, mais pour l’instant je manque d’informations précises. On sait que plusieurs personnes ont réussi à s’infiltrer parmi nous… Je crois que nous n’aurons pas d’autres précisions avant demain matin…
— Nous n’allons pas quand même rester les bras croisés ! lança un homme avec un fort accent espagnol.
— Non, bien sûr, répondit l’Américain. Aussi je vous propose de faire vous-même une enquête serrée. Je suis certain qu’avant de rejoindre nos chambres nous pourrons facilement identifier ces gens-là…
— Qu’en ferons-nous ? demanda toujours le même.
H.H. haussa les épaules :
— Que voulez-vous que nous en fassions ? Nous les jetterons à la porte tout simplement.
— Non ! cria une voix de femme, l’épouse d’un délégué français. Ce serait trop facile… Ces individus se permettent de nous espionner et ils s’en tireraient sans mal ?
C’était une personne assez grosse, vêtue avec élégance et dont Maxime ne reconnaissait plus le visage. Il avait été frappé par l’expression aimable et presque maternelle de cette femme depuis le début de leur séjour aux U.S.A.
— Légalement, nous ne pouvons rien faire, disait H.H.
— Les communistes ne sont pas acceptés chez vous…
— Croyez-vous trouver des cartes du parti sur eux ? répondit H.H. avec un sourire.
Il y eut des petits rires. Mais sans trace de joie ou de mépris. Des rires sinistres.
— Ce serait quand même trop facile, lança la femme en s’asseyant.
— Que proposez-vous pour dépister ces espions-là ?
— Je pense que chacun devrait réfléchir et écrire ses propres conclusions, dit H.H.
— Mais n’est-ce pas de la délation ?
Maxime tourna la tête vers le petit homme âgé d’une soixantaine d’années, sec et étroit d’épaules qui venait d’intervenir.
— Toute société à le droit de se défendre, répondit H.H., et ici nous formons une microsociété à l’image de l’autre…
Ce ne pouvait être qu’une variété de test. On sondait avec à propos leur état d’esprit, leur conditionnement. Maxime en était tellement persuadé qu’il fut surpris que personne ne pose la question.
— C’est certainement un coup préparé, souffla-t-il à Rosario. J’ai bien envie de le dire et de démystifier toute cette histoire.
— Gardez-vous-en bien, répliqua l’Italien effrayé.
— Allons donc, vous n’allez pas marcher vous aussi ?
— Taisez-vous !
Maxime le regarda.
— Mais que vous arrive-t-il ?
Rosario transpirait. La sueur coulait de son front, des gouttes tombaient de ses sourcils fournis. Il les essuya d’une main tremblante.
— Je vous en prie, chuchota-t-il presque terrifié.