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— Je sais, mais ceux-là sont comme votre société, multinationaux.

— Oui, si vous voulez, fit Kaffer conciliant. Le montant n’atteint pas cent mille dollars pour plus d’une centaine de sections… Mille dollars en moyenne pour chaque club local…

— Ce n’est pas terrible, en effet, dit Maroni. Ce serait même en dessous du maximum légal autorisé… Mais chose curieuse, j’ai ici la déclaration sous serment d’un président du Dynamic Club d’un Etat fédéral qui a reconnu avoir reçu de votre société une somme bien plus importante par l’intermédiaire de l’un de vos dépositaires …

— Certainement à titre personnel, sénateur.

— Non. Le dépositaire à également reconnu sous serment que cette somme avait été mise à sa disposition par la direction générale de Détroit, avec la prescription impérative d’en faire bénéficier ledit club… Mais vous avez certainement une explication ?

Kaffer ne semblait pas avoir prévu cette contre-attaque. Il resta quelques secondes immobile, puis fouilla dans son attaché-case, en retira une liasse de documents.

— Pouvez-vous me préciser de quel Etat il s’agit ?

— De celui que j’ai l’honneur et la joie de représenter : l’Etat de New York.

Un peu fébrile Kaffer feuilleta sa liasse, recommença avec plus de calme.

— Je crains de n’avoir aucune explication… Mais si la commission accepte de m’accorder un délai…

— Bien sûr… La commission accepte… Mais pour éviter de perdre du temps, veuillez avoir l’amabilité de nous apporter la comptabilité de vos filiales européennes… Toujours en ce qui concerne évidemment les subventions faites à ces clubs… Il n’est pas en mon pouvoir, pour l’instant, de mettre mon nez dans le cash-flow de votre société. Il a beau être gros il ne supporterait peut-être pas le choc.

— Ni l’odeur, murmura quelqu’un.

— Cela risque de demander du temps, répondit Kaffer.

— Allons, allons, fit Maroni patelin. Ne me dites pas que vos moyens de communications sont limités… Nous savons que votre réseau de télex, d’ordinateurs est très perfectionné. Vous disposez de satellites privés. Il ne vous faudra qu’une demi-journée pour rassembler les renseignements en question… Nous vous attendons demain, même heure.

Kaffer ne trouva rien à répondre et se leva.

John Holden alluma son havane et aspira la première bouffée avec délectation tandis que Maroni demandait qu’on introduise Gerald Fitzgreen, représentant du Dynamic Club International.

L’homme appartenait à une autre génération bien qu’il n’eût que quarante-trois ans. Costume bleu, chemise blanche, cheveux soigneusement lissés, petite moustache bien taillée, il s’efforçait de montrer un détachement hautain mais comparaissait, lui, à titre de témoin sous serment.

Maroni le lui rappela brièvement ainsi que ses qualités de trésorier général de l’organisation.

— Avant toute chose, Gerald Fitzgreen, veuillez nous parler de cette réunion internationale qui se tient au Sheraton-Russel… à New York… Vous y receviez des délégués européens, n’est-ce pas ? Le voyage et le séjour leur étaient offerts… A combien se monte la note de l’hôtel par exemple ?

— Nous n’avons pas encore réglé cette note, sénateur.

— Mais vous avez fait vos prévisions ? Vous avez demandé un devis si j’ose dire ?

Fitzgreen hésita visiblement et Maroni vint à son secours :

— La direction du Sheraton-Russel vous offrirait-elle ce séjour ?

— Oui, sénateur. C’est cela même.

— Il n’y a rien à dissimuler là-dedans… Au contraire la direction pourra l’indiquer sur sa déclaration d’impôts et ne sera pas imposée là-dessus… Mais cet établissement appartient à une filiale de multinationale, n’est-ce pas ?

— Oui, sénateur.

— C’est en quelque sorte un don que cette société fait à votre club ?

— En quelque sorte, sénateur.

— Les assemblées se tiennent toujours dans les établissements de cette chaîne hôtelière, je suppose.

— La plupart du temps, sénateur.

— Tout le temps, fit Maroni sèchement. Puis-je maintenant savoir qui a réglé à Air France la location du Concorde ? Est-ce le Dynamic Club ?

— Non, sénateur. Ce sont les sociétés auxquelles appartiennent les délégués.

Maroni se pencha sur son dossier. Sa fille lui désigna quelque chose du doigt sur une feuille. Il hocha la tête :

— Vous aviez quatre nationalités représentées. Des Français, des Italiens, des Espagnols et des Portugais… Je vois ici la liste de ces personnes et leur profession, ainsi que la raison sociale de leur entreprise. Celles-ci sont toutes des filiales d’une multinationale que l’on désigne communément sous le sigle K.U.P… C’est donc que cette société possède également sa propre chaîne hôtelière… Je suppose qu’il y a eu entente entre les deux sociétés pour organiser cette assemblée…

— Je ne sais pas, sénateur.

— Comment vous ne savez pas ? Vous êtes le coordinateur qui a réglé tous les problèmes et vous pouvez répondre plus explicitement.

L’irritation de Maroni restait encore dans les limites du raisonnable mais tout le monde savait qu’il était capable de colères superbes et impressionnantes.

— Oui, sénateur, soupira Fitzgreen. Il y a eu entente, mais ce n’est pas illégal.

— Non. Mais votre club reçoit également des dons de ces sociétés et de bien d’autres. Si nous prenions par exemple ce que vous appelez le collectif français. D’où tire-t-il son actif ?

— Les cotisations sont assez élevées, sénateur… Elles peuvent atteindre dans certains cas le vingtième du salaire annuel.

— Oui, cela serait assez élevé, mais j’ai ici la déclaration devant huissier d’un ancien Dynamicien de Paris qui affirme que sa société prenait en charge les trois quarts de la cotisation. Cet ancien membre du club, alors qu’il gagnait quinze millions… Ah ! cette histoire de francs nouveaux et anciens me trouble toujours. Ce n’est pas simple…

Sa fille écrivait quelque chose sur un calepin, lui en présentait la page après l’avoir arrachée.

— C’est-à-dire trente mille dollars. Je me sens plus à l’aise. Donc, il aurait dû payer environ quinze cents dollars ce qui est considérable, mais n’en payait que trois cents, le reste étant pris en charge par son employeur. Dans le fond, c’est une subvention détournée ? Dont le montant dépasse parfois le maximum légal… Mais comme c’est en France, il ne nous est pas possible de réagir… Alors, d’après-vous, quel est le montant général du collectif français ?

Point de mire de tous les regards, Fitzgreen s’efforçait de rester impassible. L’atmosphère de ces commissions pouvait soudain devenir très lourde. Ces gens qui une minute avant plaisantaient, paraissaient indifférents, se révélaient soudain aussi menaçants que des inquisiteurs.

— Entre cinq et dix millions de dollars.

— Vous n’avez pas un chiffre plus précis ?

— Dix millions de dollars, je pense.

— Vous pensez ou vous êtes sûr ?

Fitzgreen soupira :

— J’en suis sûr.

— C’est une somme considérable. Combien le collectif français compte-t-il de membres ?

— Vingt mille.

— Cela fait cinq cents dollars par membre affilié… Il n’y a pas que des P.-D.G. à gros salaire dans votre collectif… Il y a de petits entrepreneurs qui ne pourraient payer une telle somme… Et vous n’êtes pas le seul club élitiste… Vous n’êtes pas non plus le plus important… Je ne veux pas me laisser aller à une extrapolation dangereuse, mais croyez-vous qu’il soit possible que, pour ce seul pays, on puisse parler pour l’ensemble des clubs de cinquante millions de dollars ?