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— Je comprends mieux votre insistance, dit Kovask. Mais il n’y a rien d’illégal dans la possession d’un centre de vacances ?

— Non… C’est un domaine immense de plusieurs milliers d’acres. Rivières, marais, bois, champs, et même une savane au centre où l’on peut chasser des antilopes, des buffles…

— Des buffles ? fit la Mamma.

— Importés d’Afrique. Mais le plus étonnant c’est qu’il se produit fréquemment, très fréquemment des accidents. Marlow avait une certitude pour au moins trois personnes mortes au cours d’une chasse. Les corps ont été rapatriés discrètement, les veuves, les familles fortement indemnisées…

— Par le club ?

— Ce dernier possède une assurance tous risques illimités… Et la compagnie en question n’est autre…

— Qu’une filiale de multinationale ? fit la Mamma.

— Exactement.

— Bon, dit Kovask, il y a une répétition malheureuse, une coïncidence assez extraordinaire, mais je ne vois pas ce qui pouvait inquiéter Marlow, l’agent secret du Trésor.

— Marlow s’était rendu en Europe. Parmi les victimes il y avait un Italien, un Espagnol et un Portugais. Ces gens-là appartenaient au Dynamic Club depuis peu, un an en moyenne. Leur candidature avait reçu l’appui de leur direction au niveau le plus élevé.

— Ils travaillaient tous dans des sociétés finançant le Club, je suppose ? demanda Kovask.

— Bien entendu. Marlow a enquêté auprès des familles non sans difficulté. Les veuves avaient perçu de très grosses indemnités et n’avaient aucune envie de parler du défunt. On avait dû leur demander de se montrer discrètes. Marlow a alors centré toute son obstination sur la veuve espagnole. Très rapidement il a constaté que leurs rencontres étaient surveillées et que lui-même était filé. Mais il a fini par ébranler cette jeune femme qui a bien voulu lui faire confiance. Dans sa jeunesse, son mari avait appartenu aux syndicats clandestins espagnols. Puis il avait fait de brillantes études d’ingénieur, avait réussi socialement. Mais jamais il n’avait perdu le contact avec ses amis d’autrefois. Elle pensait être la seule à savoir cela, mais Marlow est allé trouver ces syndicalistes et a acquis la conviction que les employeurs du disparu étaient parfaitement au courant. Ils n’avaient eu qu’à consulter le fichier de la C.I.A. en Espagne pour apprendre la vérité.

— Un instant, dit Kovask. Vous avez l’air de croire que le but de ces Congrès dynamiciens n’était qu’une élimination de gens dangereux pour leur société commerciale ou industrielle… Mais à raison de deux ou trois morts par an, il leur aurait fallu des siècles pour venir à bout de tous les gens qui dans leur jeunesse ont eu de telles convictions.

Les serveurs napolitains apportaient des lasagnes et Maroni ne parut avoir d’autre souci présent que de recevoir une pleine assiette de nourriture. Mais dès qu’ils furent tranquilles, il répondit :

— Ce n’est pas le but recherché. En fait, il leur faut une victime et autant choisir un type suspect à leurs yeux. Ce qui se passe là-bas, à Bois-Jolis, ressemble fort à une murder-party d’un genre spécial. L’intérêt de l’affaire n’est pas de liquider un bonhomme qui n’est pas en fait tellement dangereux, mais d’amener les autres participants à le liquider. Dès l’arrivée dans le domaine, il y a une mise en condition rapide. Par des films, des conférences, des scènes de chasse. Le ton monte très vite et la violence s’installe dans le groupe de façon irrésistible. En même temps on persuade ces Dynamiciens qu’ils sont les gardiens d’une certaine forme de moralité et de dolce vita… Le cadre est judicieusement choisi pour leur donner l’impression que l’on peut vivre comme autrefois dans un luxe raffiné avec serviteurs noirs bien entendu, nourriture de choix, distractions stimulantes, mais que de méchants comploteurs menacent cette vie-là. Marlow n’a pu évidemment pénétrer dans le domaine et se faire une idée exacte de ce qui s’y passait. Mais la tension devient telle que ces invités ont soudain besoin d’un bouc émissaire qui cristallisera leurs haines. Possible qu’une drogue soit mêlée à la nourriture ou aux boissons. Tout ce que nous savons, c’est qu’il y a d’abord une suspicion générale, une enquête collective, chacun cherche fiévreusement. La délation est présentée comme un comportement absolument légal…

Tout en parlant il agitait beaucoup ses mains, oubliant le contenu de son assiette.

— Imaginez une micro-société où tous les phantasmes, tous les refoulements peuvent soudain se libérer. Qui n’a rêvé de dénoncer son voisin et n’a été retenu que par la honte sociale qui s’attache au mouchard ? Rien de tel à Bois-Jolis… Et c’est un certain Hugues Harlington qui mène le jeu. Un grand spécialiste.

— Je le connais, dit Kovask. Il était au Chili à la chute d’Allende pour que les différentes sociétés spoliées par l’ancien gouvernement retrouvent leurs prérogatives.

— Oui, depuis il essaye de passer inaperçu, mais s’est reconverti dans cette drôle d’histoire. En fait, il a reconstitué à Bois-Jolis un petit enclos social où le MacCarthysme peut se déchaîner sans heurter les consciences. Vous savez que cette saloperie est toujours à l’état endémique non seulement chez nous, mais dans le monde entier. Donc une folie collective s’empare du groupe de visiteurs et les voilà sur le sentier de la guerre… Je n’ai pas l’intention de plaisanter en disant cela. Les soupçons commencent à se resserrer, on regarde certaines personnes d’une drôle de façon… Et dans le tas il y a notre Espagnol, ancien syndicaliste clandestin. Je parle de lui, car j’ignore pourquoi l’Italien et le Portugais avaient été sélectionnés. Notre Espagnol, il s’appelait Matanas, s’affole. Lui il sait qu’il peut être soupçonné de sympathie marxiste eu égard à son passé… Bien sûr il essaye de se raisonner. Tout ça c’est oublié, une erreur de jeunesse… On ne va quand même pas lui reprocher cette conduite ancienne. Mais si, justement. Il devient le traître, l’élément subversif, l’espion qui n’a fait ce voyage que pour obtenir des renseignements sur le Club et sur les participants à ces congrès.

— J’ai du mal à y croire, dit la Mamma qui n’arrêtait de manier sa fourchette tout en écoutant le sénateur. Il faut vraiment que ces gens-là arrivent à une hystérie générale pour se comporter ainsi.

— C’est le mot. Hystérie générale… N’oubliez pas qu’ils ont chassé le buffle, un animal particulièrement dangereux. Le plus dangereux peut-être au monde. Ils ont des carabines puissantes à leur disposition. Matanas, sans aller jusqu’à penser que sa vie est en danger, songe à filer de là au plus vite. Donc sans y penser il se met lui-même au ban de cette société en réduction. La chasse peut commencer. Et le cadavre de Matanas sera rapatrié dans son pays natal avec quelques balles de 375 HH Magnum dans le corps… Du moins les traces, car le club dispose de la complicité certaine de chirurgiens qui se sont chargés des extractions…