— Raison sentimentale ?
— Je ne crois pas.
— Vous feriez mieux de répondre affirmativement. Je pourrais baser toute ma défense là-dessus.
— Et mettre en cause une jeune femme ?
Il se leva, alla chercher sa boîte métallique de Wilde Havana. Rosario refusa et il en alluma un.
— Je boirais bien quelque chose, dit-il.
— Je vais voir ce que je peux trouver.
Après avoir parlé avec un des hommes du couloir, il revint s’asseoir. Maxime avait écrit quelques mots sur une feuille de papier :
« Pour qui travaillez-vous ? »
— Vous refusez de mettre en cause cette personne ?
— Absolument !
— Alors quelles raisons donnerez-vous de votre désir de venir ici ?
— Je ne savais même pas ce qui suivrait si je répondais correctement à ce formulaire. Pourquoi voulez-vous que mon geste ait été prémédité ?
Rosario fit brûler le papier sans répondre. Sans répondre par écrit.
— Vous désiriez que votre femme vous accompagne ?
— Oui, mais on lui a refusé son visa. A cause de cette histoire de passé gauchiste très certainement.
— Vous le regrettez ?
— Oui, car je ne serais pas ici certainement.
— Vous n’auriez pas tout fait pour être admis à poursuivre le voyage ?
— Je n’ai pas tout fait…
On frappa et un des hommes du couloir, l’Italien, entra avec un plateau qui supportait deux verres et des bouteilles de bière et de jus de fruit.
Lorsque Maxime saisit une bouteille de jus d’orange, Rosario lui prit le poignet, se leva et le conduisit à la salle de bains. Il lui montra le lavabo, insista pour qu’il vide la bouteille dedans. Ensuite, il ouvrit le robinet d’eau froide. Maxime fronça les sourcils, but un peu d’eau.
Profitant du bruit que faisait le robinet Rosario lui glissa rapidement à l’oreille :
— Possible qu’on nous drogue.
Ils retournèrent dans la chambre.
— Votre femme n’aurait-elle pas souhaité venir ici ?
— Pourquoi ? Puisqu’elle ignore jusqu’à l’existence de cet endroit.
— Vous en êtes persuadé ?
— Absolument.
— Donc, vous ne seriez pas venu ici… C’est une chose que je puis utiliser à votre avantage.
— Je ne vous y autorise pas. Je ne veux pas être défendu, je ne veux pas comparaître devant ces gens qui se prennent pour des policiers et des juges. Je désire que l’on me permette d’aller et venir à ma guise, sinon je suis décidé à porter plainte pour séquestration abusive. Il y a des lois dans ce pays et elles sont sévères.
En même temps, il écrivait une nouvelle fois : « Pour qui travaillez-vous ? » Il avait la certitude que Rosario menait une enquête personnelle. Pour un pays ? Le sien ? Pour un parti ? Une organisation internationale ? Il voulait savoir à tout prix.
— Même si vous ne comparaissez pas, vous serez jugé. Votre attitude sera interprété comme un aveu.
— Un aveu de quoi ?
— D’une certaine culpabilité.
— Nous tournons en rond, dit Maxime, parce qu’au départ tout est faussé, truqué. Ce pseudo-tribunal est illégal. Vous le savez bien.
Rosario, une fois de plus, brûla la question écrite sans prendre la peine de répondre. Maxime fut pris d’une telle rage qu’il se leva et se dirigea vers le balcon.
— Aviez-vous l’intention de faire des révélations à votre retour sur ce que vous aviez vu ici ?
Maxime regardait la nuit, essayait de se dire que ces parfums de fleurs existaient bien, que ce n’était pas un rêve.
— Vous refusez de répondre ?
— Vous n’obtiendrez plus rien de moi.
L’Italien se tut et Maxime pouvait le voir dans la vitre ouverte qui faisait miroir en train de rédiger quelque chose. Puis il se leva et s’approcha.
— Ce pays est merveilleux, n’est-ce pas ?
Baissant les yeux, Carel put lire : « Ne mélangez pas tout. Je ne puis vous répondre pour des raisons de sécurité. »
— Devons-nous prolonger cette conversation ?
Il souhaitait ardemment que Rosario reste auprès de lui. Il appréhendait le moment où il serait seul dans cette chambre, mais la logique voulait qu’il refuse en effet de discuter plus longuement.
— C’est inutile, dit-il. Je récuse tout en bloc.
— Bien, dit Rosario.
Une dernière fois il brûla le papier et Maxime remarqua alors qu’il recueillait les cendres dans la paume de sa main gauche et qu’il les vidait ensuite dans la poche de son veston. Il ne put s’empêcher de sourire. On était en plein mélodrame d’espionnage.
— Bien, je vous quitte.
— Va-t-on encore m’importuner ?
— Je l’ignore, mais essayez de dormir.
— Les autres suspects ont-ils accepté leur « avocat » ?
— Je l’ignore… Je me suis présenté spontanément, car nous avions sympathisé, mais il est possible que les autres n’aient pas suscité de gestes similaires. Bonsoir, mon vieux, et essayez de réfléchir. Il ne sert à rien de vous buter. Vous vous trouvez dans une situation extraordinaire, certes, mais vous ne pouvez rien contre elle.
— Vous me conseillez de jouer le jeu ?
Rosario cligna de l’œil en secouant la tête.
— Pas exactement. Mais je vous demande de vous intégrer pour ne pas accroître la suspicion qui vous entoure.
— Merci.
Lorsqu’il vit Rosario disparaître, il fut pris d’une véritable crise de désespoir et se jeta sur son lit.
CHAPITRE IX
Même à New Orléans, on trouvait une colonie italienne. Le sénateur Maroni, bien qu’élu dans un Etat du Nord, y avait des amis. Kovask et la Mamma débarquèrent au petit matin d’un avion spécial, ne furent qu’à demi surpris d’être attendus par un petit homme rond, volubile et nommé Benesi, Arturo Benesi.
— Les amis des amis sont les amis, répétait-il sans cesse en les précédant jusqu’au parking.
Il désigna un petit car Fiat, expliqua qu’il l’utilisait pour le ramassage de son personnel.
— Concentré de tomate Benesi, vous connaissez ?
Le Commander identifia l’odeur qui flottait constamment autour du bonhomme. Celle de l’ail.
— Vieille spécialité familiale… Je ravitaille toutes les Petites Italies américaines… Les pizzerias… Mais il a fallu que j’obtienne des tomates comme au pays… Pas celles des Américains, énormes et sans goût… Et l’ail… Au début j’ai planté moi-même un champ à cinquante kilomètres d’ici, mais on me volait… Maintenant j’ai des fermiers… Au début ils étaient méfiants…
— Vous avez pu nous trouver quelque chose ? demanda Kovask qui n’avait pas envie d’en savoir plus sur la culture de l’ail.
— Ecco ! [2]
Benesi devait se retourner pour leur parler, car il n’y avait pas de siège à sa droite. Juste quatre banquettes à l’arrière. Chaque fois la Mamma serrait frénétiquement les poignées de son grand sac à main.
— On a fait du bon travail cette nuit. Le sénateur a téléphoné hier au soir seulement… Mais on a des amis… C’est grâce au sénateur que j’ai obtenu la licence pour tous les Etats… Le Food Control me cherchait des ennuis à cause de l’ail…
Benesi ne vivait que pour l’ail. Il sentait l’ail, parlait d’ail, rêvait d’ail. Kovask échangea un regard avec Cesca Pepini.
— On a travaillé toute la nuit… On connaît tout le monde dans le coin. Et puis, la solidarité italienne, hein ?
Kovask se demandait si Benesi ne touchait pas un peu à la Maffia, plutôt Cosa Nostra. A voir même si le sénateur lui-même… Mais dans des limites raisonnables.