Kovask inclina la tête :
— Arturo vous l’a dit. Mais je ne tiens pas à me faire remarquer. Puisque vous êtes l'entrepreneur attitré des constructions du domaine et en même temps le président du Dynamic Club…
— Oh ! vous savez, ici dans cette ville, il n’a pas beaucoup d’influence… Les autres clubs sont plus puissants.
— Il me suffit que vous soyez président de celui-là. Vous avez les plans détaillés du domaine ?
Cooper finit par l’admettre de mauvaise grâce.
— Nous les consulterons. Vous saurez m’indiquer les meilleurs endroits pour se cacher et observer sans être vu.
— Je ne comprends pas, fit Cooper effaré. Ce n’est qu’un centre de vacances…
— Vous n’avez pas entendu parler des accidents de chasse, monsieur Cooper ?
— Voyons, Ernst, dit Arturo, souvenez-vous…
— Oui, mais cela arrive quelquefois… Bien sûr la coïncidence est curieuse…
— Vous n’entretenez pas de relations suivies avec la direction de Bois-Jolis ?
— Si… Le régisseur s’appelle Gruder. Il n’habite pas la grande demeure, mais dans une maison à côté… Il y a des tas de gens, beaucoup de Noirs, valets et femmes de chambre…
— Pénétrez-vous dans la grande bâtisse ?
— Jamais quand il y a des congrès… Je sais qu’en ce moment il y a des visiteurs… En général je ne vais jamais là-bas, dans ces périodes-là et ma présence risque de paraître suspecte.
Il hésita, puis osa demander :
— Vous appartenez au F.B.I. ?
— Ernst, fit doucement Arturo. Moins tu en sauras, mieux ça vaudra pour toi. Mais tu n’auras rien à regretter, va… Je saurai me souvenir de ta compréhension et si jamais tu as des problèmes avec l’administration, tu pourras toujours compter sur moi.
— Et la grève ?
— Les ouvriers reprendront le travail dans moins d’une heure. Pas vrai, Mario ? C’est bien ce que tu m’as dit ?
Personne ne parut remarquer que depuis son arrivée le gendre ne s’était pas entretenu en aparté avec son beau-père. Mario approuva de la tête, toujours aussi farouche.
— Je peux prendre une fourgonnette tôlée, dit Cooper. Vous pourrez vous cacher là-dedans… La dame vous accompagnera aussi ?
— Non, dit Kovask… Pas pour le moment… Mais peut-être qu’elle me rejoindra plus tard…
— Je devrai faire un autre voyage ? s’exclama Cooper. Mais toutes ces allées et venues paraîtront suspectes.
— Vous êtes assez malin pour tout arranger, conclut Arturo. Encore un peu de grappa pour sceller notre accord.
— Y a-t-il des gardes ? demanda Kovask.
— Non seulement à l’entrée, mais dans le domaine. Ils patrouillent en Jeep, en aéroglisseur dans les marais, à cheval dans les endroits difficiles.
— Combien en tout ?
— Une vingtaine… Tous d’anciens Marines ou parachutistes. Des types pas très sympathiques.
— Lorsque vous faites des travaux, êtes-vous surveillés ?
— En principe non, mais sait-on jamais. Il y a de nombreux serviteurs qui ne cessent de rôder. Les lads, des hommes à tout faire.
Kovask se tourna vers Benesi :
— Tout à l’heure vous m’avez donné une idée… Procurez-moi une carabine qui tire des seringues hypodermiques. Il me faudra au moins deux douzaines de munitions. Est-ce possible ?
— Rien n’est impossible, dit Arturo. Il y a plusieurs parcs zoologiques dans la région avec des bêtes sauvages difficiles à approcher et je connais le type, l’armurier qui fournit ce genre d’armes.
— Essayez d’en avoir une démontable qui tienne dans un étui de petites dimensions.
Dans la Rolls de Cooper, Kovask se rendit au siège de l’entreprise où il put consulter les plans du domaine. Il en fit faire un tirage qu’il plia soigneusement. Un garçon de courses livra un petit paquet qui contenait une carabine démontable avec vingt-quatre seringues dosables grâce à une sorte d’aérosol.
— Vous devriez emporter des provisions, lui dit Cooper, si vous comptez rester là-bas plus d’une demi-journée.
— J’ai repéré des points d’eau et des vergers. Pour l’instant ça me suffira amplement. Ils ne fouillent jamais vos véhicules à l’entrée ?
— Tout de même pas, fit Cooper vexé.
Kovask s’installa dans une fourgonnette Ford derrière des sacs de ciment et une grosse vasque en plastique destinée à préparer le mortier. Avec Cooper ils avaient convenu d’un signal. Lorsque l’entrepreneur cognerait trois fois contre la tôle de séparation il sauterait du véhicule. En principe, si tout allait bien, cela se produirait dans l’un des bois touffus à moins d’un mile de l’habitation principale.
Une heure plus tard, le Commander s’enfonçait dans une sorte de jungle réduite en suivant un petit sentier à peine marqué qui paraissait se diriger vers le nord.
Il marcha pendant une dizaine de minutes avant d’arriver à l’orée du bois, découvrit une immense pelouse et une vaste demeure blanche parmi un groupe de magnolias géants aux fleurs blanches épanouies et d’érables sycomores. Il ne pouvait plus progresser sans risquer de le faire à découvert. Il s’installa commodément et surveilla l’immense bâtisse. Des tourniquets automatiques arrosaient le gazon, mais il n’apercevait personne. La Ford de Cooper seule était visible dans l’extrême gauche, à côté d’une petite maison basse où devait habiter le régisseur.
Mais après un quart d’heure d’immobilité absolue, il découvrit que la maison principale était surveillée par des hommes armés. Ils ne se déplaçaient que très peu et paraissaient se dissimuler derrière les troncs de magnolias. Ils ne portaient aucun uniforme particulier, simplement des vêtements de loisir genre sportswear.
Cooper lui avait seulement parlé des gardes qui veillaient aux limites du domaine, mais pas de ces gens-là. Etait-il vraiment dans l’ignorance ou bien lui avait-il joué un sale tour ? N’était-il pas lui-même président d’un Dynamic Club local ? Il prétendait n’avoir que très peu de rapports avec les organisateurs des séjours temporaires des membres internationaux mais pouvait-on se fier à sa loyauté ?
CHAPITRE X
A 3 heures, Maxime Carel fut réveillé par les deux hommes qui veillaient dans le couloir. Tandis que l’un le secouait rudement, l’autre, au pied du lit, paraissait le surveiller mais gardait son arme à la bretelle.
— On vous demande en bas, dit l’Italien en mauvais français.
Maxime se redressa, les idées encore floues.
— Qui me demande ?
— Le comité de vigilance. Vous devez comparaître devant pour répondre à certaines questions.
— Et si je refuse de quitter cette chambre ?
— Ne nous obligez pas à vous y contraindre.
— Allez-vous me frapper ?
— Non, mais nous appellerons des karatékas ou des ceintures noires de judo. Vous feriez mieux de vous montrer raisonnable.
Il se rendit compte qu’il avait furieusement envie de quitter cette chambre où il avait eu le tort de s’isoler dès le début de cette folie collective. Il rencontrerait d’autres personnes, aurait peut-être la joie de voir que toutes n’avaient pas basculé dans cette espèce de cauchemar. Il vérifia dans sa veste la présence de sa boîte de cigares, de son briquet et suivit les deux hommes.
Au rez-de-chaussée on le conduisit dans une petite pièce où se trouvaient rangées des chaises pliantes. L’Italien en prit une, la déplia et la lui désigna :
— Attendez là.
C’était encore pire que dans sa chambre si l’attente devait se prolonger. Au bout de dix minutes, alors qu’il allait allumer un cigare, on vint le chercher. Toujours l’Italien et le Français. Ce dernier ne parlait jamais. Maxime pensait qu’il avait honte mais une expression de l’homme modifia son jugement. Ce type paraissait le mépriser. Peut-être était-il navré qu’un de ses compatriotes se soit rendu coupable de sympathies marxistes ?