— Vous a-t-il fait part de ses intentions une fois rentré en Europe ?
— Pas précisément, mais je suis certaine qu’il aurait cherché par tous les moyens à nuire au Dynamic Club.
— De quelles façons ?
— Par des racontars, peut-être par des articles de journaux. Il ne les aurait pas écrits lui-même, mais aurait fourni la matière à des journalistes de l’opposition.
— Pensez-vous qu’il appartienne à l’Internationale terroriste ?
Clara Mussan hésita. Mais au point où elle en était, pourquoi se serait-elle arrêtée en si bon chemin ?
— Pas directement, dit-elle.
— Que voulez-vous dire ?
— Je sais que sa femme appartient à une formation d’extrême gauche et j’ai rapidement eu la conviction qu’elle influençait grandement son comportement dans la vie.
Il ne se souvenait pas de lui avoir parlé de Patricia. Peut-être avait-il fait quelques allusions à son sujet, mais il admettait qu’une femme aussi intuitive que Clara Mussan ait pu en retirer beaucoup plus qu’il n’en avait dit.
— Donc, en fait il travaille pour cette formation d’extrême gauche ?
— Que ce soit conscient ou non, oui certainement.
Depuis le début, il attendait en vain un signe, un clin d’œil, une intonation qui le rassurât. Pouvait-il interpréter la réserve qu’elle formulait comme une tentative de cette sorte ? Il ne le pensait pas.
— Vous avez pleinement conscience vous-même de la gravité de vos propos ? demanda Benito Rosario qui jusqu’alors n’avait pas ouvert la bouche Votre témoignage est d’une très grande gravité, vous vous en rendez compte, j’espère.
— Me prenez-vous pour une menteuse ?
— Non, mais je trouve surprenant qu’ayant été la maîtresse du suspect vous mettiez tant de hargne à l’accabler.
Clara Mussan resta impassible, déterminée.
— Je suis chargé de la défense de Maxime Carel et vous n’avez rien fait pour me faciliter la tâche.
— Tout ce que j’ai dit est la stricte vérité, répliqua Clara Mussan.
Pour Maxime tout se détraquait et maintenant il se méfiait de Rosario. Ce dernier ne lui avait-il pas tendu un piège avec ses petits messages griffonnés qu’il brûlait tout de suite après ? Pourquoi le prévenir qu’il était là pour l’aider alors que dans le même temps il participait pleinement à cette mascarade terrifiante ?
— Eh bien, madame Mussan, je vous remercie, dit Pierre Montel. Vos déclarations ont été enregistrées et vous n’aurez pas besoin de comparaître devant le comité de vigilance. Vous voilà lavée de tout soupçon et je pense que dans quelques instants vous serez libre d’aller et venir à votre guise.
— Puis-je aller dans ma chambre ? Je n’ai pas pu prendre le moindre repos depuis hier au soir.
Etait-ce l’explication que Maxime attendait ? L’avait-on interrogée, harcelée durant des heures, l’empêchant de prendre une minute de sommeil ? Mais comment dans ce cas pouvait-elle être aussi fraîche, maquillée, porteuse d’une robe que la veille elle n’avait pas revêtue ? Clara Mussan mentait cette fois.
— Je pense que vous le pouvez.
Elle quitta la pièce et Maxime fut soulagé de la voir partir. Il était certain que si Montel l’avait poussée dans ses retranchements, elle aurait pu encore parler contre lui durant des heures. Il se sentait vidé, amer, dans l’impossibilité de réagir.
— Avez-vous quelque chose à ajouter, Carel ? demanda Montel.
Il secoua lentement la tête.
— Vous reconnaissez les faits ?
Mais il continua de secouer la tête.
— Je demande la permission de m’entretenir avec mon client, dit Benito Rosario d’une voix ferme.
Lui aussi prenait goût à son rôle d’avocat. Le salaud, dire qu’il avait failli marcher dans ses combines. Désormais, il ne pouvait plus se fier à personne. Il se retrouvait seul face à une machination incroyable qui se préparait à le broyer. Il n’avait même plus l’humour de traiter cette horreur de mascarade.
— Venez, lui dit Rosario, nous allons discuter ensemble dans un autre endroit.
Il se leva machinalement et le suivit.
CHAPITRE XI
Tranquillement, Kovask avait rempli une douzaine de seringues hypodermiques d’une dose suffisante pour endormir pendant plusieurs heures un être vivant de quatre-vingts kilos. Même s’il ne faisait que soixante kilos, la dose ne serait pas dangereuse et l’animal dormirait quelques heures de plus simplement, mais le Commander ne pensait pas qu’il aurait à tirer sur un animal.
Ernst Cooper avait quitté le domaine à bord de sa fourgonnette Ford. Il l’avait vu passer non loin de lui et jeter des regards furtifs vers le bois où il se cachait sans se douter qu’il n’était qu’à quelques mètres de lui.
La matinée s’avançait et il n’était pas loin de 11 heures. Tout restait calme dans la vaste demeure comme si les hôtes et le personnel prolongeaient leur grasse matinée. Il n’avait aperçu que deux valets noirs en costume à la Française et une grosse femme noire qui ressemblait fort à une nounou du temps de l’esclavage. Tout respirait le calme et la sérénité, un certain luxe même dans lequel la nature exubérante et odorante apportait une grande part.
A tout hasard il avait glissé une seringue dans la culasse de la carabine à air comprimé qu’il avait pu monter sans la moindre peine. Plusieurs personnes apparurent alors sous le péristyle et descendirent les marches. Elles se dirigèrent vers la droite et il n’aperçut que des femmes, en compta quatre. Visiblement elles se dirigeaient vers une roseraie. Un jardinier, noir, les y attendait et coupa des fleurs avec un sécateur, les remettant l’une après l’autre, avec des gestes harmonieux et respectueux, aux visiteuses.
Puis elles allèrent se promener dans des sortes de bosquets où le jasmin s’accrochait à des treillages de bois. Elles en cueillirent également, Kovask pouvait les entendre rire et bavarder en Français et en Italien.
Au bout d’un moment elles finirent par rentrer avec leurs bras chargés de fleurs. Pour un témoin ignorant des faits, il n’y avait là que beauté et calme. Le Commander se sentit d’autant plus mal à l’aise à la pensée qu’un homme pouvait se trouver en danger de mort dans cette belle demeure.
Le sénateur Maroni lui avait communiqué les rapports de Marlow, l’agent secret du Trésor mort dans un mystérieux accident de la route, non loin de Bois-Jolis. Ce qu’écrivait Marlow était incroyable, mais Kovask avait connu d’autres situations tout aussi extraordinaires.
Un peu avant midi, des Land-Rover commencèrent de s’aligner devant la maison. Il en compta une douzaine, toutes conduites par des hommes de couleur blanche revêtus d’une tenue léopard. Il regrettait de ne pas avoir de jumelles pour détailler leur visage et en retenir les traits. Mais l’un d’eux descendit et il aperçut la carabine qu’il portait à l’épaule, une arme pour gros gibier.
Rapidement il prit les plans de Bois-Jolis et les déplia. Si une chasse devait avoir lieu, elle aurait certainement pour cadre la savane qui occupait le centre du domaine. C’était une grande surface coloriée en jaune sur le plan d’origine. Un véritable désert au cœur de l’immense propriété. Elle devait mesurer quinze kilomètres sur douze environ et était bordée au nord par un bois touffu, une véritable jungle, à l’est par des marécages, genre bayous avec des palétuviers, des roseaux et des arbres immergés. Un endroit dangereux où les alligators n’étaient pas les plus à craindre. Il songeait aux serpents et aux terribles tortues carnassières. A l’ouest s’étendaient à perte de vue des champs de coton et de maïs. Lui se trouvait au sud. Pour atteindre la savane, il lui faudrait marcher pendant au moins une heure. Il lui fallait prendre une décision. Sur place son action se trouvait limitée. Il ne pouvait affronter des dizaines de chasseurs et de gardes.