Sans plus attendre, il s’enfonça dans le bois, essaya de suivre une piste qui se dirigeait sensiblement vers le nord. Il courait durant deux minutes, marchait un temps égal, sachant qu’il parcourait environ cinq ou six miles à l’heure. Depuis qu’il travaillait pour le sénateur Holden, il manquait d’entraînement. Du temps de l’O.N.I., les services secrets de l’U.S. Navy, il suivait régulièrement des stages d’entretien. Il lui faudrait sérieusement songer à trouver un endroit de remplacement.
Lorsqu’il atteignit l’orée de la savane il était en nage et dut se reposer quelques instants. Désormais il allait marcher à découvert. Il n’y avait que de l’herbe, encore verte et haute, mais aussi de grands espaces dénudés, quelques groupes d’arbres, souvent des magnolias. Quelques baobabs qu’on avait essayé de transplanter mais qui n’atteignaient pas le développement des espèces africaines.
Il avait repris sa progression depuis une demi-heure, lorsqu’il dérangea un troupeau de gazelles couchées dans l’herbe. Le vent lui soufflait au visage et les animaux ne l’avaient pas flairé. Au dernier moment elles se dressèrent toutes en même temps. Il crut pendant quelques secondes qu’il s’agissait d’hommes. Dans une série de bonds fantastiques elles s’éloignèrent de lui. On devait les apercevoir de très loin en train de fuir le point déterminé où il se trouvait. Rapidement il fonça sur la droite vers un groupe d’arbres derrière lequel il pouvait se dissimuler.
Sa méfiance naturelle se trouva confirmée, lorsqu’il entendit le bruit d’un moteur. Il ne pouvait voir le véhicule, mais pensait qu’il s’agissait d’une Jeep. Il se mit à courir, se retournant pour regarder avec inquiétude la traînée qu’il laissait dans les hautes herbes. Certes, elles se redressaient assez vite, encore gorgées de sève mais pas assez pour que ces gardes qui arrivaient ne découvrent trace de son passage. Renonçant à son groupe d’arbres il se jeta sur le côté et se tapit tant bien que mal à l’affût.
Le vent lui apporta une odeur de gaz d’échappement. La Jeep se trouvait donc au vent, devant lui, mais peu après il entendit le moteur dans son dos, comprit que le conducteur effectuait de grands cercles concentriques avec, pour centre, l’endroit où il avait effrayé les gazelles. Le soleil était au zénith et les gardes du domaine savaient fort bien qu’à cette heure de grande chaleur les animaux ne se dérangent pas sans raison lorsqu’ils sommeillent. Peut-être penserait-il qu’il s’agissait d’un simple braconnier. Il devait y en avoir dans ce domaine gorgé de gibier de toute sorte. Mais fatalement ils découvriraient sa piste et le traqueraient.
Une nouvelle fois la Jeep fut devant lui, à un demi-mile seulement et dans cette nature non polluée cette odeur de gaz d’échappement lui parut une sorte de vandalisme. Le véhicule continuait de tourner et allait fatalement tomber sur la traînée dans les hautes herbes.
Cela arriva quelques secondes plus tard. Le moteur cessa de gronder. Le chauffeur avait stoppé et son compagnon avait dû mettre pied à terre pour examiner ses traces. Ils allaient bientôt savoir qu’il s’agissait d’un humain et venir dans sa direction.
Normalement le pare-brise de la Jeep serait baissé et il pourrait viser et toucher sans difficulté. Sinon, il devrait attendre que le véhicule passe devant lui pour toucher l’homme assis à côté du chauffeur. Il commencerait par ce dernier. Il ignorait combien de temps mettait la drogue pour endormir sa victime, mais la piqûre, surprenante, sinon douloureuse, serait suffisante pour faire perdre à n’importe qui le contrôle de la direction.
La Jeep venait, à petite allure et il dut se rendre entièrement maître de ses nerfs pour ne pas se dresser trop tôt. Il estimait qu’à dix mètres il avait toutes les chances pour lui. Il endormirait le chauffeur, rechargerait l’arme en cinq secondes et pourrait avoir l’autre type si tout allait bien.
Les coups d’accélérateur rageurs pouvaient l’induire en erreur. Les roues patinaient dans des zones de sable, sur des monticules où l’herbe encore grasse devenait glissante. Il se força à compter jusqu’à sept et se dressa. Le pare-brise était baissé et le chauffeur torse nu. Il visa à l’épaule, tira, se baissa sans s’occuper des suites de son geste, rechargea, voulut se dresser mais une balle siffla à ses oreilles. Il n’avait pas affaire à des débutants et dès que le chauffeur avait été touché, son compagnon avait sauté du véhicule en détresse pour se jeter à plat ventre.
Kovask en fit autant. Tout devenait incertain, affolant car la Jeep continuait de marcher. Elle jaillit soudain à deux mètres de lui et il faillit perdre son sang-froid, vit à temps que le chauffeur effondré, endormi par le puissant somnifère, continuait d’appuyer sur l’accélérateur tandis que les roues braquées à moitié entraînaient la Jeep dans un cercle perpétuel de deux cents mètres de rayon.
En deux bonds il la rejoignit et se mit à courir à la même vitesse où elle roulait, courbé en deux. Elle ne dépassait pas les cinq miles à l’heure et c’était un effort qu’il pouvait supporter durant quelques minutes. Ainsi il espérait prendre l’autre garde à revers et l’endormir sans essuyer son feu. Lorsqu’il eut fait un quart de cercle, il releva la tête et vit l’homme un genou à terre, carabine à l’épaule, regardant dans l’autre direction.
CHAPITRE XII
Rosario s’était procuré du café, des corn flakes, de la confiture et des toasts. Il déposa le plateau sur une chaise pliante. Maxime Carel, assis sur une autre le regardait faire sans rien dire.
— Vous sucrez beaucoup votre café ? Combien de cuillerées ? demanda l’Italien.
Maxime le regarda dans les yeux :
— Allez vous faire foutre !
— Vous avez tort de vous en prendre à moi… Je sais que l’attitude de Clara Mussan vous révolte, mais est-ce une raison pour m’en vouloir ?
Il désigna le plateau.
— Venez prendre quelque chose, manger un morceau… Au moins une tasse de café.
Le Français prit la tasse et but le liquide chaud. Cela lui fit du bien.
— Vous êtes un beau salaud, dit-il. Dès le début vous m’avez mené en bateau n’est-ce pas ?
Soudain très inquiet, Rosario sortit son calepin et se mit à griffonner quelque chose. Il arracha la feuille et la tendit à Maxime en mettant son doigt sur la bouche. Maxime sortit son briquet et sans même lire le message le brûla sous le regard surpris de l’Italien.
— Arrêtez cette ignoble comédie… Hier au soir dans ma chambre vous avez essayé de me duper. Qu’espériez-vous ? Que je vous ferais des révélations sensationnelles ? Avocat ? Mon œil ! Ils vous ont chargé de m’inspirer confiance pour mieux m’enfoncer.
Benito Rosario se leva et regarda autour de lui avec inquiétude.
— C’est ça, faites semblant de chercher les micros. Ah ! je peux dire que vous m’avez bien fait marcher… J’aurais dû me méfier dès notre rencontre dans le bar du Sheraton… Vous êtes venu vers moi, vous avez fait les premiers pas et dès lors vous ne m’avez plus quitté… Agissiez-vous de votre propre initiative ou bien aviez-vous reçu des ordres précis ? Je me demande si tout n’a pas commencé à Paris… Si je n’ai pas été sélectionné comme victime au sein de mon entreprise même. Dans le fond le grand patron s’est toujours plus ou moins douté que je n’étais pas le cadre supérieur idéal… J’avais beau éviter les pièges qu’il me tendait… Et puis il y a ma femme. Vous ne connaissez pas Patricia ? Vous devez quand même vous douter qu’elle n’est pas comme tout le monde hein ? Il n’y avait qu’à écouter cette vieille chipie de Josette Montel pour le percevoir. Même Clara Mussan en savait long sur elle… Oui, oui, oui, tout a dû se préparer à Paris… Du même coup on se débarrassait d’un type emmerdant et qui pouvait devenir inquiétant dans l’avenir… Et vous saviez que je devais devenir la « victime ». A mes côtés vous n’avez cessé de vous indigner, de vous révolter. Vous en rajoutiez même… Vous jouiez les inquiets, les angoissés… Vous deviez vous amuser follement à tisser autour de moi une toile d’araignée d’anxiété…