Il essaya de leur crier d’arrêter, qu’ils allaient le tuer. Mais aucune parole ne sortit de sa bouche. Il essaya de se relever mais un deuxième coup l’atteignit à la base du cou et le tétanisa de nouveau.
Cependant, il entendit H.H.
— Nous le ferons piétiner par les buffles… Lorsqu’on le récupérera, il ne sera qu’une bouillie… Maintenant il faut qu’il nous dise ce qu’il fait ici et qui l’a envoyé.
Comme dans un rêve, il vit Pochet saisir Rosario à bras-le-corps, l’asseoir sur une chaise. Quelqu’un rapporta un seau d’eau qu’on lui jeta au visage. Rosario devait être maintenu sur son siège et sa tête ballottait dans tous les sens. H.H. lui tira les cheveux et il ouvrit les yeux. L’Américain approcha son visage du sien :
— Qui vous envoie ?
Maxime vit les lèvres de Rosario remuer mais n’entendit aucun son. De fureur H.H. le souleva du siège par les cheveux et il gémit faiblement de douleur. Carel vit des larmes couler de ses yeux.
— Qui ?
Josette Montel se mit à hurler nerveusement :
— Il faut le faire parler, il faut le faire parler…
H.H. eut un petit sourire satisfait et se recula légèrement comme pour lui laisser la place. Maxime vit cette femme se pencher vers Rosario et pointer l’ongle laqué de rouge de son index vers son œil droit :
— Si vous ne parlez pas je vous le crève.
Montel posa la main sur l’épaule de sa femme mais elle se dégagea avec impatience.
— Allons, monsieur Montel, gouailla Pochet, pourquoi voulez-vous l’en empêcher ?
— Vous n’allez pas lui laisser faire ça…
— Si monsieur Rosario veut bien se montrer raisonnable, nous l’en empêcherons, dit H.H.
Mme Montel se redressa et Maxime lui trouva un air égaré. Jamais, s’il en réchappait, Patricia ne voudrait le croire lorsqu’il lui décrirait cette scène hallucinante.
— Rosario, nous allons vous frapper de nouveau avec ces bas rempli de sable. Vous savez fort bien que nous pouvons détériorer certaines fonctions vitales définitivement. Votre secret mérite-t-il que vous soyez estropié pour la vie ?
Rosario bougea ses lèvres. Elles paraissaient à la fois sèches et gluantes. Elles se détachaient difficilement et Maxime apercevait des filets de glaire jaune.
— Pourquoi dites-vous que nous vous tuerons. Si vous parlez nous vous accorderons peut-être la vie…
Parmi les six, seul Montel réagissait à ses paroles. Du moins nerveusement. Il avait un tic qui retroussait le coin droit de sa bouche vers son oreille et découvrait un vide dans sa mâchoire du haut. Maxime se demanda stupidement comment un homme pareil pouvait accepter l’absence de plusieurs dents.
— Vous êtes un agent communiste ? Gauchiste ?
H.H. parut réfléchir et attendit quelques secondes :
— On dit que vous avez eu des contacts secrets avec les syndicalistes de votre entreprise… Je n’avais pas tellement attaché d’importance à cette information… C’est tout à fait normal pour un patron… Mais y a-t-il autre chose ?
Josette Montel passa devant lui et Rosario poussa un hurlement. Maxime trouva l’énergie de se redresser mais un coup léger le renvoya à terre. Marcel Pochet veillait sur lui.
Lorsque la femme s’écarta il vit qu’elle lui avait labouré la joue droite de ses ongles carminés. Quatre griffures profondes d’où le sang sourdait.
— Ne soyez pas têtu, Rosario. Nous irons jusqu’au bout s’il le faut et vous le savez bien.
Montel reculait vers la porte, mais Perney de Viel lui barra le passage, courtois, souriant mais ferme. Montel resta mi-tourné, les yeux obstinément baissés.
— Que dites-vous ?
H.H. venait de s’incliner violemment.
— Maroni ? Maroni le sénateur ? La commission Maroni qui enquête sur le financement des Clubs ? C’est bien ça ? Un ami à vous… Je comprends tout maintenant… Le rapport Marlow…
H.H. se redressa et son visage se ferma.
— Que dit-il ? demanda Josette Montel. Qui est ce Marlow ?
— Un homme qui nous avait cherché des ennuis… Un agent communiste.
Maxime se rendait compte qu’il mentait, qu’il était gêné par la présence des autres.
— La commission Maroni… s’inquiéta Montel. Mais dans ce cas…
— Dans ce cas, monsieur Montel ? fit H.H. en le regardant sévèrement.
— Rien, rien du tout, fit le Français en secouant la tête.
Et puis, soudain H.H. les poussa tous au-dehors, les suivit. Maxime fut surpris par ce départ précipité.
— Hé attention !
Rosario basculait sur le côté. Il se traîna aussi rapidement que possible mais ne put l’empêcher de tomber lourdement sur le sol. De ses pieds il écarta la chaise qui les gênait, toujours incapable de se mettre debout. Il ramassa le mouchoir de Rosario roulé en boule, lui essuya maladroitement le visage.
— Nous sommes seuls… Vous n’avez plus rien à craindre.
Il y avait des chaises partout, celles qu’il avait lancées sur les six personnes.
— Comment vous sentez-vous ? murmura-t-il inquiet.
CHAPITRE XIII
Tout en courant protégé par la Jeep qui continuait de tourner inlassablement Kovask tira en direction de l’homme à l’affût. Mais il manqua son but de près d’un mètre et la seringue se perdit dans les herbes. Par chance l’inconnu ne se douta de rien. Le moteur faisait beaucoup de bruit et il croyait toujours Kovask tapi en face de lui. Le Commander souhaita que le chauffeur évanoui continue encore un peu d’appuyer de son pied sur l’accélérateur. Il suivit la Jeep jusqu’à ce qu’elle se trouve complètement à l’opposé de l’autre individu et l’abandonna. Il fonça accroupi dans les hautes herbes.
Lorsque la Jeep passa près du tireur embusqué ce dernier lui jeta un coup d’œil puis haussa les épaules. Kovask n’était plus qu’à une cinquantaine de mètres de lui. Il espérait que l’homme allait rester sur place et ne put laisser échapper un juron lorsqu’il vit qu’il progressait sur les coudes avec lenteur.
Profitant d’un autre passage de la Jeep il se leva carrément et parcourut une trentaine de mètres d’un seul coup. Juste à ce moment-là l’homme devina sa présence et tourna la tête. Comme Kovask épaulait sa carabine pneumatique il fit un saut de carpe, mais la seringue l’atteignit à la hanche gauche. Lâchant son arme il l’arracha. L’ennui avec cette carabine était que seuls les animaux ne se doutaient de rien. Un homme averti pouvait empêcher l’action du soporifique en arrachant tout de suite la seringue mais néanmoins il restait assez de liquide dans son organisme pour agir à la longue.
Kovask se jeta sur le côté et s’éloigna en rampant, tandis que l’homme arrosait d’un tir systématique ses abris successifs, renseigné par le mouvement des hautes herbes. Jusqu’à l’épuisement du chargeur. Alors le Commander en profita pour recharger son arme et pour ramper droit devant lui. Une grosse balle magnum s’enfonça dans le sol à vingt centimètres de son visage et projeta sur lui une motte de terre. A moitié aveuglé, il s’essuya de sa manche mais ne bougea plus. Maintenant le manège de la Jeep devenait harcelant, le bruit du moteur couvrant tous les autres bruits, il ne pouvait plus situer son adversaire. Il ne pensait en tirer qu’un seul avantage, c’est qu’il étouffe les bruits des détonations de la carabine pour gros gibier.