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Un peu plus loin, il aperçut une sorte de sente. S’il pouvait l’atteindre, il se faufilerait dans les hautes herbes sans les faire frémir, mais il devait encore parcourir cinq mètres parmi elles. Fouillant dans ses poches il y prit une seringue et la jeta sur le côté. La carabine claqua deux fois dans cette direction et il put franchir ses cinq mètres.

Bien entendu la sente l’éloignait de son objectif mais en oblique. Plus loin, il pourrait se redresser pour essayer de repérer le garde et peut-être réussir à l’endormir. Combien de chargeurs pouvait-il bien posséder ? Se baladait-il avec tout un arsenal ou simplement avec deux chargeurs de quatre balles ?

Et puis soudain la Jeep cessa de ronronner et cala. Un silence extraordinaire s’abattit sur cette petite savane ensoleillée où même les insectes se terraient. Kovask venait d’arriver au bout de la sente, après de nouveau s’étendaient les herbes. Il s’arrêta, se retourna pour évaluer le chemin parcouru, puis se redressa lentement, certain que l’homme allait essayer de rejoindre le véhicule arrêté. Il vit la Jeep au sud-est et perçut une ondulation continue non loin de là. L’homme négligeait sa surveillance pour atteindre au plus vite la mécanique. Dès lors, sans hésiter il en fit autant. Par de rapides coups d’œil il se rendit compte que le chauffeur avait à moitié basculé en-dehors du véhicule et que pour monter le garde devrait achever de le sortir de son siège. Il lui faudrait profiter de cet instant-là et viser au milieu du dos de façon que l’homme ait quelques difficultés à retirer la seringue.

Alors qu’il n’était plus qu’à une trentaine de mètres de la Jeep, il vit l’homme qui se redressait et marchait en titubant, ne put s’empêcher d’exulter. La première seringue avait eu largement le temps d’injecter dans son corps quelques milligrammes de drogue qui l’affaiblissaient. Le garde faisait visiblement un effort surhumain pour atteindre le véhicule. Ainsi s’expliquait son changement de tactique. Ne pouvant plus lutter contre la mainmise du sommeil sur son organisme, il voulait fuir pour aller donner l’alerte.

Dès lors Kovask n’eut qu’à se précipiter derrière lui. Il le vit qui essayait de retirer le corps du chauffeur et visa avec soin entre les deux omoplates.

Il fit mouche. Le garde tordit son bras pour essayer d’arracher le dard fatal mais jamais sa main ne put l’atteindre. Il coula le long de la carrosserie et resta ainsi à genoux, inerte.

Kovask approcha avec prudence, commença par saisir la carabine, ôta le chargeur et le jeta. Il fouilla dans les poches de l’homme, trouva un autre chargeur et le lança aussi dans les herbes. Il y avait une autre carabine à l’arrière. Mais aussi une gourde pansue. Il en flaira le contenu. Un mélange d’eau et de café sucré dont il avala une grosse quantité.

Tout en surveillant la savane, il chargea les deux corps à l’arrière avant de remettre la Jeep en route. Lentement et toujours sur ses gardes il roula vers le bois qu’il avait quitté tout à l’heure. Il pensait que les deux hommes endormis ne seraient jamais retrouvés dans cette mini-jungle. Toujours méfiants il les attacha avec des sangles trouvées dans le véhicule et les abandonna sous un chêne énorme croulant sous des draperies de mousse espagnole.

Revenu à l’orée du bois, dissimulé dans l’ombre végétale, il se mit debout sur le capot, une paire de jumelles à la main. Il commença par repérer un troupeau de gazelles qui broutaient près d’un groupe d’arbres, peut-être celui-là même qu’il avait surpris et qui dans sa fuite avait signalé sa présence aux deux hommes de patrouille. Il ne regrettait rien. Désormais il disposait d’un véhicule tout-terrain, de boisson et de jumelles. Il pouvait se déplacer rapidement d’un point à l’autre de cette savane inattendue et intervenir en cas de besoin. Mais d’un autre côté l’absence des deux gardes finirait par alerter leurs camarades qui partiraient bientôt à leur recherche. A moins que la mission de ces deux-là ne couvre toute la journée.

Toujours sur son capot, il repéra un autre troupeau de gazelles, endormies celles-là. Puis des masses rouges qu’il prit d’abord pour des amas de roches, lorsqu’il découvrit un mufle épais de buffle. La couleur l’avait trompé. Il se demandait comment il pouvait se trouver des animaux de cette teinte. Il n’avait jamais entendu parler de buffles rouges, presque vermillon, que ce soit en Afrique ou en Asie et lorsqu’on disait rouge il s’agissait plutôt d’une teinte tirant sur le marron. Rien de tel dans le cas présent.

Il décompta une vingtaine d’animaux, mais savait qu’il y avait d’autres troupeaux alentour. Ceux-là, malgré leur attitude de grand farniente, étaient formidables. Une bête pareille chargeant à grande vitesse devait paralyser sur place à moins d’avoir une grande expérience des safaris.

Interrompant un instant sa surveillance il passa l’inspection de son véhicule. Le réservoir était encore à moitié plein et il ne manquait ni d’eau ni d’huile. Dans la boîte à outils il découvrit un petit automatique qu’il laissa parmi les clés anglaises. Il avait de quoi parcourir une assez grande distance en cas de besoin mais la configuration du terrain devait obliger à avoir recours au crabotage, ce qui entraînait une forte consommation de carburant.

Et soudain une pensée l’inquiéta. Ces deux hommes avaient prévu des réserves d’eau mais il n’avait pas trouvé un seul aliment, pas un sandwich, rien. Il devait en conclure que ces hommes qui ne restaient pas toute une journée sans manger devaient revenir en un lieu donné pour prendre un repas, et que si l’on ne les y voyait pas, l’alerte serait déclenchée. Raison de plus pour rester à l’abri du sous-bois. Il sauta à terre, alluma une cigarette et fit quelques pas en songeant à la Mamma à laquelle il avait demandé plusieurs vérifications. Il sourit en l’imaginant dans la famille Benesi, parfaitement à l’aise dans cette ambiance particulière que relevait un parfum prononcé d’ail.

* * *

A midi Arturo Benesi entraîna Cesca Pepini dans son bureau. Il avait beaucoup de respect pour elle. C’était une dame âgée, à la silhouette solide, bien intégrée dans la société américaine, mais qui n’avait rien perdu de ses origines napolitaines.

— Le domaine est loué au Dynamic Club par un groupe immobilier de Miami qui compte y installer plus tard un complexe de vacances, mais pour l’instant les projets sont quelque peu oubliés. Ce groupe, d’après les renseignements que j’ai, est financé par un holding international…

— Merci, dit la Mamma.

— La location est vraiment un cadeau… Mille dollars par an, je crois… La personne que j’ai eue au téléphone estime que le groupe fait une subvention d’au moins cent mille dollars par an au Dynamic Club… Une jolie somme, hé ?

— Le sénateur Maroni sera très heureux de l’apprendre… Cette information va venir gonfler un peu plus son dossier. Lorsque ses conclusions seront publiées, il y aura de belles surprises dans l’opinion publique…

— Mon ami Cooper ne sera pas ennuyé, lui ? s’enquit Benesi. C’est pas un mauvais type, hé ? Il n’a rien à voir avec toutes ces histoires louches. Il construit des maisons méditerranéennes et c’est tout.

— Ne vous inquiétez pas pour lui… Vous avez également le nom du nouveau médecin de Bois-Jolis ?

— Si, signora, si… Pourtant c’est un homme que personne ne connaît bien à la Nouvelle-Orléans… Je veux dire que sa clientèle n’était pas très importante. Il faut vous dire qu’il s’appelle Grant et que dans le Sud ce n’est pas très bien vu à cause du général de la guerre de Sécession. Déjà il venait du Nord. Il avait racheté une clientèle dans un petit pays, mais il n’a pas pu y rester… Et dans la ville ça ne marchait pas tellement pour lui. Mais depuis quelque temps il a pu changer d’appartement, de voiture et a versé des arrhes pour acheter un cabin-cuiser à double moteur Z drive de deux cents chevaux chacun. Il faut croire que le Dynamic Club paye bien…