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— Je vous demande pardon, dit-il.

Il attendit avant de faire glisser son regard vers l’Italien. Ce dernier les yeux grands ouverts fixait le plafond.

— Vous avez entendu ?

— Oui… Mais ne vous torturez pas… Ils vous ont habilement influencé, jusqu’à cette crise totale… Vous avez perdu la notion du monde extérieur. Vous… vous êtes devenu… sans le vouloir… corps défendant… Mais par esprit grégaire… membre de cette société en réduction… Vous la rejetiez… parce que cruelle et inhumaine mais… pour vous rassurer… Besoin d’en faire partie… De vous y intégrer.

— De hurler avec les loups, oui, fit Maxime effondré.

— Ne dites pas ça…

Soudain il prit un air désolé :

— Je crois… pissé sur moi…

— Ne vous inquiétez pas, dit Maxime… Je vais vous changer de place… C’est le coup de genoux de H.H. au début… Voulez-vous que je vous enlève votre pantalon pour essayer de le faire sécher ?…

En même temps il essayait de le soulever pour lui éviter de rester dans humidité mais n’y parvint pas. Lorsqu’il ramena ses mains de sous le corps de Rosario il les fixa avec incrédulité. Elles étaient pleines de sang.

— Je sens… continue… peux pas me retenir…

Pour qu’il ne voie pas l’horreur dans son regard Maxime détourna la tête. Hémorragie interne. La rate peut-être, ou le foie… Rosario allait mourir s’il ne faisait pas quelque chose. Il se dressa, toujours assez faible sur ses jambes, se précipita vers la porte et se mit à frapper de toutes ses forces.

— Il faut que l’on vienne ! hurla-t-il. Rosario est très mal… Si vous m’entendez, vous de l’autre côté, prévenez quelqu’un… Il faudrait même un médecin.

Lorsqu’il comprit que personne ne viendrait, il retourna près de son compagnon, remarqua que son regard s’adoucissait, se faisait même assez flou.

— Navré… Humiliant pour moi… Ça continue… Des litres… Comment une vessie peut-elle contenir autant… liquide…

Les vêtements ne buvaient plus, saturés et le sang apparaissait sur le côté de son corps, ourlait ce dernier d’une ligne noire des genoux à la taille. Une ligne qui se gonflait de façon ignoble, qui crevait en plusieurs points gagnant ainsi quelques centimètres, lançant des sortes de racines molles et d’un rouge très sombre.

— Non, dit Rosario, non…

Lentement sa main glissa le long de son corps, baigna dans le liquide tiède. Maxime lui vit faire un effort colossal pour remonter cette main jusqu’à hauteur de son regard, pria pour qu’il n’y parvienne pas, qu’il ne sache pas.

— Sang… soupira Rosario… Me doutais… Hémorragie interne… La rate ?

— Je vais appeler… Il faut qu’ils viennent.

Une nouvelle fois, il se rua vers la porte et cogna avec les poings, puis les pieds. Lorsqu’il fut épuisé il saisit une chaise et en frappa le battant à la volée.

— Venez, mais venez donc… Il faut un docteur… Rosario a une hémorragie et si vous attendez encore un peu il n’aura plus une goutte de sang sur lui, plus une goutte…

Puis le siège lui échappa des mains et il recula en titubant, s’empêtra dans une chaise pliée, tomba. Il ne se dégagea que difficilement, marcha à quatre pattes vers son compagnon.

— Benito.

Cette douceur laiteuse dans ce regard fixe, un flou qui ne cessait de s’étendre. Il appuya son front sur le torse de l’Italien.

— Benito je t’en prie, ne meure pas.

Combien resta-t-il ainsi ? Il l’ignora toujours mais soudain il sut que Benito Rosario avait cessé de vivre et que ses genoux à lui baignaient dans son sang. Il essuya ses mains contre son pantalon pour fermer les yeux du mort.

Il alla s’asseoir sur une chaise et le contempla. Comment croire que cette bouche ouverte, exsangue, lui avait parlé quelques instants auparavant, que ces yeux l’avaient fixé ?

Un bruit lui fit tourner la tête vers la fenêtre. Il voyait une ombre passer et repasser. Pas plus grosse qu’un oiseau. Oui, certainement un oiseau qui s’agitait entre les barreaux et le verre martelé. Et puis, soudain l’oiseau frappa contre la vitre.

Ne croyant pas à l’inouï, il s’approcha. L’oiseau s’immobilisa et ouvrit ses ailes. Alors il découvrit que c’était une main dont l’ombre se projetait sur la vitre. Saisissant une chaise pliée il fracassa la vitre d’un seul coup, acheva de faire sauter les morceaux de verre et reconnut la main à cause du bandage du poignet.

— Clara ? fit-il incrédule.

Il put avancer la tête et la découvrit en dessous, juste son visage.

— Je n’ai pas pu monter plus haut, dit-elle, je suis sur une caisse… Il faut que vous sortiez, tous les deux… Essayez d’attraper ça…

— C’est quoi ?

Un instrument bizarre et peint en vert montait vers lui. Lorsqu’il le saisit il reconnut un cric de voiture.

— Pour écarter les barreaux… Faites vite…

— Les gardes ?

— Personne de ce côté… Je vais aller chercher un véhicule… Une vieille camionnette que j’ai repérée dans un coin… Je reviens…

— Attendez… Rosario…

Mais elle n’était plus là et il crut l’entendre courir sur du gravier. Il cala le cric contre le mur vertical et commença d’en tourner la petite manivelle. La partie mobile s’approchait du barreau, le repoussait comme dans un rêve, comme s’il était fait en pâte de guimauve. Il le repoussa si bien qu’il se dégagea de son logement et tomba dans un bruit épouvantable qui n’attira personne malgré son attente haletante. Il en fit autant pour le second barreau qui céda de la même façon. Il avait largement la place de passer.

Avant d’enjamber la fenêtre, il regarda le cadavre de Rosario.

— Je suis navré de vous laisser là…, commença-t-il.

Il ne put continuer. L’émotion lui bloquait la gorge et ces paroles qu’il ne pouvait prononcer se transformèrent en une rage féconde. Il ressentit une chaleur torride couler dans ses veines et se dirigea vers le corps de l’Italien. Il savait qu’il allait pouvoir le soulever dans ses bras, lui faire passer la fenêtre et l’emporter avec lui. Jamais il ne l’abandonnerait. Il se souvenait de ce qu’avait dit H.H.

— Nous le ferons piétiner par les buffles s’il le faut. Il n’en restera qu’une bouillie.

Une bouillie difficile à identifier, impossible à autopsier. Le cadavre de Rosario était la seule preuve des activités criminelles du Dynamic Club.

Arrivé près de la fenêtre, il dut abandonner le cadavre pour se pencher. Trois mètres jusqu’au sol. Alors il arracha la ceinture du mort, la fixa sous ses bras, sortit la sienne et après l’avoir fixé à la première la noua à son poignet.