— Qui êtes-vous, lança-t-il, et que faites-vous ici ?
Méfiant, Maxime resta silencieux.
— Pourquoi votre compagnon ne descend-il pas de la cabine ?
— Parce qu’il est mort, cria Maxime avec une douleur rageuse… Vos amis l’ont assassiné… Il est mort d’une hémorragie. Il s’appelait Benito Rosario… Si vous êtes un homme, allez en dehors de ce domaine chercher du secours. La police, n’importe qui.
— Benito Rosario est mort ?
Sans ménagement, il poussa Clara Mussan, descendit du même côté qu’elle, sans oublier d’emporter la carabine.
— Laissez cette arme, cria Maxime, où je vous envoie cette manivelle à la gueule.
— Du calme, mon vieux… Si le nom du sénateur Maroni vous dit quelque chose, sachez que je suis venu pour aider Benito Rosario et vous-même à l’occasion.
Visiblement, l’homme, un Français lui aussi, flotta.
— Rosario a prononcé le nom du sénateur… Mais qu’est-ce qui me prouve ?
— Vous devez me faire confiance… Quant à cette arme, elle n’est que moyennement dangereuse. Elle ne projette que des seringues hypodermiques pour gros gibier mais peut endormir un homme pour plusieurs heures.
Réticent lui aussi, il s’approcha de la cabine et reconnut le visage qu’il avait pu voir sur une photographie.
— On dirait qu’il a été vidé de son sang, remarqua-t-il.
— Hémorragie interne… La rate ou le foie… Mais il s’est complètement vidé comme vous le dites par l’anus… J’ai voulu emporter son cadavre pour prouver qu’il a été frappé à mort…
— Comment avez-vous pu vous échapper ?
— Grâce à elle, fit avec une ironie amère Maxime. Ça fait partie du plan. Maintenant ils vont nous traquer… Il y avait juste assez d’essence pour nous conduire dans cette savane…
— Bien, dit Kovask, nous allons essayer de rejoindre une des sorties…
Il attira le cadavre et le prit dans ses bras pour le transporter jusqu’à la Jeep où il l’installa tant bien que mal à l’arrière. Maxime Carel monta auprès de lui pour surveiller Clara Mussan. Kovask lui tendit la carabine, une poignée de seringues.
— On doit recharger chaque fois. Sans lunette d’approche, on ne peut tirer à de grandes distances, mais elle est très précise. Nous allons traverser la savane pour essayer de joindre une entrée. Espérons que nous pourrons passer.
Dans un nuage de poussière, inévitable, ils roulèrent à trente miles à l’heure, provoquèrent la fuite d’un second troupeau de gazelles, aperçurent des buffles sur leur gauche.
— Nous allons bientôt découvrir des champs de coton et de maïs… Ils ne sont protégés que par des grillages légers… Je pense que nous pourrons les enfoncer.
Mais une minute plus tard, ils aperçurent les quatre Land-Rover en ligne, arrêtées, chargées à craquer de gens en tenue de chasse. Kovask pensa un instant qu’il pourrait passer entre deux qui lui paraissaient suffisamment écartées mais une première balle ricocha sur le capot, éraflant la peinture.
— Mais ils nous tirent dessus, gémit Clara. Je vous en prie, laissez-moi descendre… A moi ils ne me veulent pas de mal.
— En êtes-vous sûre ? demanda Kovask.
— Elle se fait des illusions, lâcha méchamment Maxime.
La Jeep avait fait un rapide demi-tour et Kovask espérait prendre les Land-Rover de vitesse. Maxime qui se retournait, exulta soudain.
— Elles ne nous poursuivent pas, mais semblent se diriger vers l’est…
— C’est ce qui m’inquiète, dit Kovask. Regardez…
Trois Land-Rover apparaissaient. Celles-là roulaient vers eux et on leur tira dessus sans attendre. Kovask zigzaguait avec des mouvements très secs du volant et finalement prit la direction de l’est, la mort dans l’âme.
— Vous savez ce qu’ils cherchent ? A nous repousser vers les marécages…
— Comment savez-vous qu’il y a des marécages ? demanda Carel méfiant.
Le Commander sortit les plans du domaine, les jeta sur les genoux du Français.
— Regardez… Je me les suis procuré avant de venir ici, chez l’entrepreneur de maçonnerie qui effectue l’entretien des bâtiments… Pour l’instant je fais semblant de me diriger vers les marécages en question, mais je vais essayer d’atteindre le bois situé au nord.
Et puis, soudain sur sa droite, en direction des bois justement, il aperçut une ligne mouvante de couleur rouge. On eût dit une sorte de raz-de-marée.
— Les buffles ! cria Maxime. Il y en a au moins cinquante, peut-être davantage même.
Une nouvelle fois Kovask dut modifier son objectif. Quoi qu’il fasse, hommes et bêtes manœuvraient pour ne lui laisser que les marécages comme but. Autant dire l’impasse, le dos au mur. Pas question de s’engager dans cette zone dangereuse de sables mouvants, d’arbres immergés et d’animaux inquiétants.
— Vite, vite ! haleta Clara Mussan. Les buffles…
Tout un groupe accourait perpendiculairement à la route de la Jeep et à une allure folle. Kovask appuya à fond sur l’accélérateur mais sans avoir la certitude de pouvoir passer le premier le point de rencontre.
— Tirez, dit-il à Maxime. Abattez celui qui vient en tête dès que vous le pourrez. Il est possible que les autres dévient de leur route. Ce n’est pas forcé, mais c’est une chance à courir.
Le véhicule et le troupeau convergeaient vers une zone où rien ne poussait sinon quelques plantes épineuses. Kovask fut tenté d’obliquer fortement vers la droite, mais Maxime lui signala la présence des Land-Rover de ce côté-là. Il fallait donc continuer et réussir à passer avant les buffles.
— Allez-y, qu’attendez-vous ?
Maxime tira. L’un des buffles plia les pattes et boula. Ceux qui suivaient sautèrent par-dessus son corps, mais ne modifièrent pas d’un pouce leur ruée sauvage.
— Continuez !
— J’arme, protesta Maxime.
Il réussit à abattre le nouveau chef de la harde, puis un second. S’ils passaient ce serait à deux mètres près, peut-être moins. Et pas question de ralentir car d’autres arrivaient, encore plus nombreux, énormes, fantastiques avec leur surprenante couleur rouge sang. Maxime avait du mal à épauler, car dans les cahots le cadavre de Benito Rosario ne cessait de s’appuyer sur lui.
— Tirez ! hurla Kovask. Tirez celui qui a cette bosse fendue, et nous avons une chance.
Maxime tira et atteignit son but. Ils passèrent à moins d’un mètre de deux mufles écumeux, reçurent en plein visage une bouffée brûlante de puanteur exotique.
— Nom de Dieu ! ils changent de direction ! hurla Maxime Carel. Ils nous poursuivent.
Kovask venait de le constater dans son rétroviseur latéral. Il appuya à fond sur l’accélérateur, manœuvrant les vitesses pour franchir de petites buttes sans ralentissement mortel. Bientôt il eut l’impression qu’ils distançaient les quatre ou cinq mufles barbouillés d’une mousse blanche épaisse.
— Nous les avons, nous les avons…
— Oui, mais ce sont maintenant les marécages.
D’un geste il enveloppa les deux côtés de leur route. Toutes les Land-Rover confluaient. Au moins une quinzaine. Et elles roulaient lentement, sans se presser, leur conducteur sachant qu’ils avaient tout le temps, qu’il fallait régler patiemment le système du piège dans lequel s’engouffrait leur gibier.
— Peut-être trouverons-nous une barque…