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— Voilà des enquiquineurs.

Une Jeep se trouvait en travers de la route et deux hommes en tenue léopard, grosse carabine de chasse en main, bloquaient le passage.

— Allons-y gaiement, dit Benesi.

— Quoi, la Jeep aussi ? Comme la barrière ?

— La Jeep aussi et les bonshommes s’ils ne plongent pas sur le côté.

La Jeep aussi en effet. Jusqu’au bout les deux hommes crurent que le camion ralentirait. Ils tirèrent dans le pare-brise qui se fendilla et se givra d’un coup. Sans perdre son calme Benesi saisit une grosse torche électrique et ouvrit une brèche que la Mamma agrandit. Plus de pare-brise mais une bonne aération.

— Les gars ne sont pas armés derrière ? demanda-t-elle.

— Quelques barres de fer et des manches de pioches. Ça suffira bien. Les types du domaine ne veulent pas d’incidents avec la population locale. Ils peuvent toujours penser qu’il s’agit d’un commando du Ku Klux Klan…

Ce fut certainement ce que pensa également le valet noir qui apparut sous le péristyle, lorsque le camion s’arrêta. Il devint gris de terreur et voulut s’enfuir mais quatre faux Nixons plus rapides s’emparèrent de lui. Toute la domesticité de couleur accourut et parut frappée de stupeur par cette multiplication de l’ancien président des U.S.A.

— Ne vous inquiétez pas, disait Benesi à une brave nounou en lui tapotant l’épaule. Qu’y a-t-il là-dedans ?

— Personne. Il n’y a plus personne. Ils sont tous à leur maudite chasse… Dans le milieu du domaine… La chasse aux buffles…

— Partons vite, dit la Mamma, je crains le pire… Pourvu que nous n’arrivions pas trop tard maintenant.

Le Mack manœuvra sans délicatesse, mordit dans une pelouse, saccagea un peu les jasmins et refila vers le nord. Plus loin, il pulvérisa une grosse barrière de fils de fer barbelé, certainement destinée à limiter le domaine des buffles.

La Mamma sortit son buste par le cadre du pare-brise et essaya de voir aussi loin que possible. Les nuages qu’elle avait remarqués tout à l’heure s’étaient dissipés et la poussière était retombée.

— Vous inquiétez pas, lui dit Benesi. Vers le centre de la savane il y a une légère butte d’où on domine presque tout le domaine…

— Ces marais précisément… Où se trouve-t-il ?

— Vers l’est…

— Ne pensez-vous pas… ?

— Nous sommes pris en chasse par une Jeep… Avec deux hommes armés qui essayent de tirer dans les pneus… Cette fois cramponnez-vous au maximum.

Lui-même se retint à son volant pour enfoncer son pied jusqu’au plancher. Le mastodonte freina sur une trentaine de mètres. Et sur le champ repartit en marche arrière. Il y eut un craquement significatif et un grand bruit de tôle. L’Italien repartit tranquillement, montant ses vitesses avec habileté.

— J’ai été chauffeur routier à une époque. Vers mes dix-huit ans… J’étais un sleeper… C’est-à-dire que je ne dormais pas souvent, sinon dans la couchette de mon engin…

Bientôt la petite butte fut visible et lorsqu’ils furent au sommet ce que vit la Mamma en premier fut un troupeau de buffles rouges qui paissaient à courte distance. Puis vers l’est, elle crut voir briller des carrosseries de voitures ou des vitres. Benesi venait d’allumer un de ses toscans et soulevait son masque pour laisser couler la transpiration de son visage.

— Qu’attendez-vous ? fit la Mamma fébrile.

Je suis certaine que quelque drame affreux se passe du côté des marais…

— Si, signora, si signora… Il faut savoir perdre une minute pour que ça mijote là-dedans…

Il tapotait son crâne.

— Si vous étiez en train de vous taper un bon plat de spaghetti, hé ? Et qu’un type vienne vous embêter… Vous feriez quoi ?

— Je l’enverrais au diable…

— Vous vous mettriez en colère, pas vrai ? Moi je vois toute une bande en train de se taper des spaghettis… Oh ! je ne suis pas fou, signora. Mais pour ces buffles rouges, cette herbe grasse, c’est des spaghettis, pas vrai ? On va donc aller les embêter, les forcer à partir au triple galop dans la direction des marécages…

La Mamma sourit :

— Vous avez raison. Il faut toujours laisser mijoter là-dedans, dans la tête.

CHAPITRE XVII

Ils avaient fini par atteindre les racines de palétuviers et essayaient tant bien que mal de se dissimuler parmi elles. Kovask et Maxime Carel avaient réussi à sortir le corps de Benito Rosario de l’eau pour le déposer dans une sorte de cage végétale, à l’abri des alligators qui mystérieusement avaient surgi soudain et avaient essayé d’attaquer le cadavre. Carel avait envoyé une seringue à l’un d’eux mais n’avait pu atteindre l’œil du reptile et le somnifère n’avait eu aucun effet.

Ensuite les chasseurs étaient arrivés. Tous, hommes et femmes. Ils avaient pu reconnaître leurs anciens compagnons de route, Montel, son épouse, Perney de Viel, Marcel Pochet, Et également Hugues Harlington.

Méthodiquement ils tiraient dans leur direction et les racines se déchiquetaient soudain sous leurs yeux. Ils avaient beau reculer, essayer de se terrer, viendrait le moment où ils seraient atteints par les terribles balles magnum, les uns après les autres.

Clara Mussan avait voulu se dresser, faire comprendre qu’elle n’était là que contrainte et forcée, n’avait eu que le temps de s’enfouir parmi les racines.

— Ils finiront par prendre un hydroglisseur, dit Carel. Ils se sont rendu compte que nous n’avons pas d’armes à feu…

Kovask ne disait rien. Il guettait H.H. qui depuis quelques instants se trouvait très près de l’eau. Le groupe circulait sur d’étroits ados, ceux-là mêmes que Kovask et ses compagnons n’avaient su trouver. Le Commander attendait l’instant favorable où H.H. tournerait le dos. Il savait qu’une seringue ne servirait pas à grand-chose, mais espérait vaguement que sans l’influence de cet homme, les autres reculeraient, voire abandonneraient cette traque impitoyable.

Et puis, soudain il se produisit un mouvement de panique parmi les Dynamiciens. Ils criaient quelque chose difficile à comprendre et commençaient à s’en aller.

— Vous entendez ? demanda Maxime.

— Je ne distingue pas ce qu’ils hurlent.

— Les buffles, dit Clara Mussan d’une voix morne, ils disent que les buffles arrivent vers ici.

Soudain tout le monde se précipita et H.H. resta en arrière, essayant de rameuter toute la bande. Il avait besoin de la présence de tous pour liquider les fugitifs. Son but c’était de faire d’eux des complices d’un triple assassinat. Il hurlait comme un fou, lançait des injures particulièrement grossières.

Et Kovask tira. La seringue l’atteignit entre les deux omoplates. Sa main droite chercha dans son dos mais ne put la saisir. Il passa son bras gauche en le tordant par-dessus son épaule mais c’était trop tard. Le somnifère agissait déjà. Ils le virent, comme au ralenti, pencher en avant, en arrière, tomber sur les genoux. Puis il tourna la tête vers Kovask et parut dire quelque chose.

Il n’y avait plus que lui, toujours à genoux sur la petite levée de terre. Tous les autres s’entassaient dans les Land-Rover, les moteurs rugissaient. C’était une belle pagaille.

— Beaucoup sont enlisés ! s’exclama Carel.

Sans hésiter, le Commander se découvrit et commença d’escalader les racines, atteignit la végétation gluante et put voir une bonne partie de la savane. Il y avait un gros nuage de poussière tout proche et derrière une forme assez monstrueuse qui se déplaçait de droite à gauche, en zigzag, comme un fabuleux chien de berger qui aurait suivi un troupeau pour lui faire prendre une direction donnée. Ce ne fut qu’après qu’il reconnut un vieux Mack colossal et antédiluvien, un de ces camions vieux de trente ans aussi mythique que celui du film Duel.