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Tout en se caressant mutuellement, ils échangèrent quelques constatations sur la soirée de la veille, pas d’accord sur le nombre de verres de tequila qu’ils avaient vidés. Ils avaient encore des grains de sel sur les mains puisque après chaque gorgée il fallait obligatoirement lécher un peu de sel.

— On ne va pas être frais aujourd’hui, dit Maxime Carel. Or, il paraît que c’est une journée capitale.

— Tu penses, des bla-bla sur le self made man idéal, sur la cordialité en affaires ou le fairplay. J’en ai ras le bol.

— D’après Pochet ce sera différent… Vraiment différent, dit-il les yeux fermés car la main de la jeune femme était particulièrement efficace.

Il jugea plus courtois de la prévenir.

— J’aime bien voir, dit-elle avec un sourire grivois. Ça ne te fait rien ?

Ça ne lui faisait rien. Il essaya de soutenir la conversation, dut marquer quand même une petite pause lorsqu’il explosa entre les doigts de Clara Mussan. Ensuite il eut la bouche trop occupée pour le faire mais elle ne cessait de parler d’une voix haletante, tandis qu’il lui rendait la pareille.

— On va encore s’emmerder, tu verras…

Il pensait, supposant qu’elle-même avait été en partie dupée, qu’elle devait ignorer que le congrès avait un autre but. Qu’il allait se transformer en séminaire inquiétant sur la mutation politique de leur pays. Sans le moindre complexe, elle poussa de petits cris ravis lorsqu’elle eut son orgasme.

Tandis qu’elle prenait un bain, il se rasait, pestait contre sa peau que l’alcool hérissait.

— Il paraît que les clubs sont quelque peu surveillés en ce moment, Rotary, Lion’s, Dynamic… C’est toujours Pochet qui m’a raconté ça à l’aéroport de Washington. Tu sais qu’il est déjà venu à New York préparer le congrès ? Avec Montel ?

Elle renversait sa tête en arrière dans l’eau rendue turquoise par des sels Vikä. Ne dépassaient que sa bouche et son nez, la pointe de ses petits seins, et ses genoux.

— Préparer ce Congrès ? Que ! gaspillage !

— Pochet aurait préféré qu’on choisisse Rio de Janeiro ou Buenos Aires… Mais toujours dans un Sheraton… Curieux, non ?

Le regard brun se tourna vers lui, le toisa de la tête au ventre.

— C’est pas possible, pouffa-t-elle.

— Si, fit-il penaud… J’en suis surpris moi-même.

Elle agita une main au bout d’un bras doré où pétillaient des bulles de mousse, claqua des doigts. C’était fou. Trois fois au réveil ? Jamais il n’avait connu rien de tel.

— Le chile, hein ?

Oui, le chile, la nouveauté. C’était la première fois qu’il trompait sa femme. Et puis il y avait cette angoisse aussi forte que celle qu’il avait connue adolescent et qui de la même façon le dressait de façon incongrue dans les situations les plus délicates. En classe devant une interro ardue, sur le stade, car il appréhendait le saut à la perche. Elle le tirait doucement mais fermement, se redressait dans la baignoire. Il n’aurait jamais pensé que Clara Mussan fût capable de se comporter ainsi. Son rasoir dans une main il appuya ses cuisses contre le rebord de la baignoire.

Pour trouver un café convenable, ils durent chercher un bar italien. La mixture américaine, claire et anodine, ne pouvait rien contre leur gueule de bois.

Clara trouva même l’appétit de dévorer de petites tartelettes aux fraises.

— Ça commence dans un quart d’heure, lui dit-il. Il y a un type qui doit parler.

Ils se glissèrent séparément dans la salle de conférence. Clara d’abord, puis lui une minute plus tard. Pochet lui fit signe et il dut s’asseoir à côté de lui.

— Alors, elle vaut la peine ? demanda le syndicaliste en clignant de l’œil et désignant Clara assise deux rangs à l’avant.

Le président de l’International Dynamic Club prenait la parole, le dispensant de répondre. En quelques mots il annonça l’orateur, un certain Adriano Franca, qui dirigeait une fabrique de matériel sanitaire à Lisbonne.

Maxime Carel qui était sur le qui-vive fut d’abord déçu par l’insignifiance de ce début d’exposé. Puis peu à peu il écouta avec beaucoup d’attention.

— L’essentiel, pour nous autres, disait Adriano Franca, était de tenir compte d’une alliance étroite entre le parti communiste portugais et le parti socialiste de Soares. Certes cette alliance était fragile et vulnérable mais mieux valait prévoir le pire. Dès lors nous savions une chose. Ces deux partis nous soupçonnaient de conspirer contre les nouvelles institutions. Notre tactique fut de les renforcer dans cette méfiance mais en essayant de les éloigner l’un de l’autre dans le choix des moyens de faire front et je puis dire aujourd’hui sans la moindre forfanterie que nous avons réussi. Nous avions des amis dans le parti socialiste et ceux-ci se sont beaucoup dépensés pour faire admettre à ces gens-là que le socialisme n’est concevable que dans le respect des institutions démocratiques bourgeoises. Et que ces institutions-là ne peuvent se maintenir qu’avec l’appui de l’étranger, c’est-à-dire des multinationales.

Il marqua un temps d’arrêt, l’air très satisfait de lui-même malgré ses allégations d’humilité.

— Et le parti communiste portugais craignant d’être isolé sur la gauche a dû reconnaître que l’étatisation de nos filiales constituait un obstacle difficile. Du coup il a été obligé de nous traiter avec compréhension, tombant irrémédiablement dans le piège et, soyons juste, sachant qu’il y tombait. Par cette attitude il n’a plus offert une image très pure, a perdu de sa crédibilité et de sa marge de manœuvres. De ce fait il glisse de plus en plus sur une pente savonneuse qui l’entraîne vers la droite et à des concessions économiques qui le déconsidèrent[1]. Ainsi, grâce à notre action, s’est créée entre les deux formations une crise profonde qui se prolongera longtemps. Nous avons pu éviter non seulement l’étatisation mais tout désordre social dans nos entreprises. Les salaires n’ont pas subi de hausses exorbitantes car les politiques ont su freiner les projets des syndicats.

Marcel Pochet assis à côté de Maxime approuvait par de petits grognements.

— Nous avons ainsi créé une nouvelle coalition de classe en temps de crise, mais chose tout à fait nouvelle, il s’agit d’une coalition, d’une stratégie de masse pour ce que nos ennemis appellent la bourgeoisie. Ainsi naissent de nouveaux rapports de production. Si l’Etat est faible, il ne peut nous donner des garanties. Au contraire lorsqu’il devient plus fort, il doit obligatoirement se montrer plus coopératif avec les multinationales. Il consacre nos règles sacrées : convertibilité de la monnaie, rentabilité, libre échange.

Adriano Franca observa de nouveau un court silence. Peut-être espérait-il des applaudissements mais chacun paraissait plongé dans ses réflexions.

— En fait il n’y a qu’une politique pour échapper à ces processus. C’est celle que mène actuellement le Cambodge qui fait table rase de tout ce qui existait, ne tient compte de rien, retourne à une économie agricole et à une industrialisation légère. Mais aucun parti socialiste ou communiste de l’Europe n’accepte ce modèle. Donc, loin de désespérer, et ici je songe surtout à nos amis français, italiens et espagnols, gardez bon espoir mais soyez vigilants. Nous sommes, je veux dire que les grandes multinationales sont derrière vous pour vous soutenir et vous aider à résoudre vos problèmes.

— Et si ça ne marche pas, fit Marcel Pochet entre ses dents, il reste aussi l’exemple du Chili.

— Mais pour en rester au Portugal, je peux vous assurer que le gouvernement actuel se trouve engagé, de façon irréversible, sur une pente qui accélère son mouvement. La combativité du mouvement populaire se trouve jugulée et désormais ce gouvernement ne pourra plus remettre en question la loi de la valeur. Et dès que nous le pourrons, nous poserons de nouvelles conditions encore plus exigeantes.

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1

D’après Luis Salgado de Matos.