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Pour Maxime Carel l’essentiel avait été dit même si l’orateur reprenait certains côtés obscurs de son exposé de façon plus simple. Il se sentait soulagé. En somme on leur offrait un exemple absolument légal de lutte contre un gouvernement de gauche. Il avait redouté autre chose, l’examen de procédés plus violents, plus dangereux.

— C’est pas mal, souffla Pochet à son oreille, mais ce n’est qu’un premier stade.

Du coup il perdit de nouveau sa sérénité. Ce type avait le don de lui mettre les nerfs à vif.

— Que voulez-vous dire ?

— Que l’exemple du Portugal n’est peut-être pas applicable à notre pays. Là-bas, le P.C. était terriblement stalinien. Et tout avait commencé par une révolution de type gauchiste. Les gens, une bonne partie du moins, avaient vite eu marre de toutes les conneries, autogestion, confiscations agraires, parlotes interminables et tout le cirque. Il ne faut quand même pas oublier que si par malheur la gauche arrive au pouvoir en France, ce sera de façon légale. Il y aura cinquante et un pour cent, peut-être plus, de gens qui auront voté pour un changement de régime. Et dans le programme commun, chapitre II de la 2e partie, sont prévues les nationalisations d’I.T.T. France, d’Honeywell-Bull, Pechiney Ugine Kullman, Saint-Gobain, Pont-à-Mousson, C.G.E… Au Portugal, tout a dû s’improviser. Personne n’avait prévu le 25 avril 1975.

Au cours du déjeuner qui suivit, Maxime resta songeur, mangea sans appétit si bien que Clara Mussan lui demanda à l’oreille, lorsqu’ils sortirent de table, s’il était fatigué. Avec une intention ironique.

— Pas du tout, fit-il en faisant un effort. Je réfléchis tout simplement.

Il pensait surtout à sa femme. A ses réactions si elle avait assisté à cette séance. La plupart des femmes des membres du Club étaient présentes et Patricia aurait très bien pu en faire autant.

— Dommage qu’on ne puisse aller faire une petite sieste mais il y a quelque chose de prévu pour cet après-midi.

— Mais le programme nous laissait quartier libre, fit-il surpris.

En fait, il était heureux de cet empêchement. L’effet du chile avait fini par s’estomper et il ne se sentait nullement disposé à faire l’amour.

— Improvisation, mon cher, dit-elle amusée.

Ce fut Hugues Harlington qui prit la parole vers les 15 heures dans la salle des conférences.

— Mes amis, dit-il, vous savez que ce congrès est avant tout destiné à resserrer notre solidarité de responsables économiques face à la montée du péril marxiste. Nul n’est dupe de l’importance de cette rencontre. Le fait que vous soyez là me le prouve amplement.

— J’aime ce style, dit Pochet qui décidément s’arrangeait toujours pour se tenir à ses côtés. Au moins il ne mâche pas ses mots et on comprend bien ce qu’il veut dire.

— Nous avons pensé que les deux derniers jours de ce voyage pourraient être réservés à la visite d’un Centre d’Etudes et de Recherches que le Club a organisée dans un Etat du Sud des U.S.A. Mais évidemment nous ne voulons forcer la main à personne. Certains d’entre vous peuvent penser qu’ils n’ont nul besoin de recevoir un enseignement spécialisé pour faire face à des difficultés d’un genre nouveau.

Lui aussi marquait des pauses, mais c’était pour mieux juger de l’intérêt de son auditoire. Il ne cherchait nullement les applaudissements. Derrière ses lunettes fines, son regard restait froid.

— De toute façon entrent en jeu des motivations personnelles, des questions de santé également. N’ayez crainte, mes amis, on ne va pas exiger de vous d’apprendre à vous servir d’une mitraillette ou d’un cocktail Molotov…

Il y eut des rires un peu trop serviles au goût de Maxime Carel. Tous ces P.-D.G., ces cadres supérieurs qui disposaient d’une grande indépendance de travail et de pensée redevenaient des conscrits d’une autre formule. Il suffisait d’un type comme H.H. pour en faire des sortes de marionnettes.

— Si vous le voulez bien, nous allons vous demander de répondre par écrit à quelques questions.

Il y eut quelques murmures et H.H. les accueillit avec un sourire jovial.

— Ah ! je vois que ça rouspète du côté de nos amis latins… Français et Italiens sont décidément de perpétuels râleurs.

Gros rires.

— C’est une sorte de test en quelque sorte, dit un Français. Comme l’on en passe à l’armée.

— Bien sûr, boy… Nous voulons quand même être certains que nous ne dépensons pas en vain nos dollars. Vous nous connaissez, nous autres Yankees. Toujours réalistes !

Rires encore plus gros.

— Inutile de vous dire que vous ne regretterez pas le voyage. Tout est prévu et même un petit cadeau de compensation à votre retour en France. Mais ce sera la surprise et croyez-moi, boys, on ne s’est pas fichu de vous… Mais vous verrez ça plus tard.

— Si on commençait tout de suite et qu’on aille ensuite faire un tour en ville, demanda un Italien.

— Allons-y.

Un trio de jolies hôtesses distribuèrent les questionnaires. Maxime, comme bien des participants, fut étonné de recevoir une double feuille de questions. Il vit qu’elles étaient numérotées et au nombre de trente-quatre. Certaines exigeaient une réponse détaillée car une dizaine de lignes étaient prévues. Si la première page lui parut anodine, le reste lui sembla autrement corsé. Au hasard, il lut la question 17 : « Pensez-vous que l’expression « Internationale capitaliste » soit péjorative ? Si oui, expliquez pourquoi, si non, essayez de prouver en quoi cette conception vous paraît au contraire logique et justifiée. »

Sa première réaction fut de répondre qu’effectivement il n’était pas d’accord, se rendit compte qu’il allait en définitive utiliser les arguments que Patricia aurait pu lui souffler si elle avait été présente. Il lut aussi, plus loin, la question 23 : « Seriez-vous éventuellement décidé à vous battre, il s’agit d’engagement physique, pour défendre les idées de l’économie libérale et des libertés occidentales ? »

— Pas mal, pas mal du tout, dit Pochet. Il y a un tas de pièges là-dedans et pour répondre il faudrait au moins une demi-journée. On pourrait alors falsifier sa pensée et donner le change.

Pourquoi regardait-il Maxime en disant cela ?

— Mais je pense que les copies seront ramassées assez rapidement.

— Mes amis, disait précisément H.H., puisque, comme l’a demandé un honorable membre italien, vous avez envie d’aller vous dégourdir les jambes et de boire un pot, nous pensons qu’une demi-heure vous sera largement suffisante pour donner vos réponses.

— Hé ! protesta quelqu’un avec l’accent français. Nous pourrions les garder jusqu’à demain matin et y répondre dans le calme de notre chambre.

— Parce que vous croyez pouvoir le faire ce soir après une nouvelle visite de New York by night ? répliqua H.H. avec son humour perpétuel qui lui permettait de faire passer les choses les plus énormes.

Comme d’habitude il eut les rieurs de son côté et bientôt chacun s’absorba dans ses réponses. Maxime Carel pendant quelques minutes fut envahi par la tentation de répondre de telle façon qu’il ne serait jamais admis à la visite de ce centre d’études et de recherches. Mais une nouvelle fois sa femme Patricia vint à son secours. Du moins il crut l’entendre qui l’incitait à truquer au maximum. « C’est une occasion inespérée de connaître certains rouages secrets », lui disait-elle. L’hallucination fut telle qu’il faillit lui répondre. Il regarda autour de lui, surprit le regard de Pochet qui semblait le surveiller. Le syndicaliste devait certainement savoir depuis son premier voyage aux U.S.A. que ces tests seraient proposés aux membres du Dynamic Club.