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Comme toujours, Maxime se laissait aller à des développements intimes. Bien sûr, il avait réussi à décrocher ce poste de directeur des Laboratoires mais deux autres ingénieurs se trouvaient en concurrence avec lui. Avec des chances égales, sauf une Lui connaissait bien le grand patron. Ce dernier possédait un voilier de compétition, classe I et à plusieurs reprises Maxime avait embarqué pour des courses-croisières. Jusqu’au jour où le grand patron lui avait demandé de le représenter à bord, la fois où il souffrait de coliques néphrétiques. Et ce jour-là avait été décisif. La Giraglia. Une course que le grand patron n’avait jamais pu gagner, se classant toujours dans les cinq premiers cependant. Maxime se revoyait à bord du grand voilier. Le navigateur radio leur avait alors apporté la nouvelle insensée. Ils étaient en tête, avec plusieurs heures d’avance sur le second. En quelques minutes il avait dû prendre sa décision. Gagner la Giraglia avec le bateau du patron ? Bien entendu on parlerait surtout du voilier, de son propriétaire mais aussi de lui… Ce jour-là il avait composé avec les principes sacrés de la compétition. Il avait donné des ordres pour que la route soit modifiée légèrement de façon à tomber dans une zone de calme plat. L’équipage, le skipper même pliés depuis toujours à obéir sans discuter au grand patron, avaient accepté cette erreur, les poings sérés, les yeux durs. Mais ils avaient accepté. Le classe I était arrivé deuxième à Toulon. Et il avait été nommé directeur des Laboratoires. Plus tard il en avait eu des sueurs froides. Il avait failli ne pas comprendre que le grand patron lui faisait passer un test définitif. En gagnant la course croisière, il se perdait sans appel.

— Chaque club dans la plus petite ville, dans le bourg le plus modeste devra se mobiliser. Vous représentez la fine fleur de l’activité humaine dans le domaine économique. Ne vous laissez pas piétiner, snober par les autres, les intellectuels, les fonctionnaires, les membres de l’enseignement. J’attire toute votre attention sur ces derniers. Je ne ferai pas leur procès, mais vous savez fort bien comme moi qu’ils sont les responsables de bien des maux. Ils pourrissent notre jeunesse, la détournent du libéralisme pour lui inculquer des idéologies dangereuses. Les plus jeunes professeurs ridiculisent la compétition, la sélection, l’obéissance à un supérieur plus expérimenté, le respect des valeurs ancestrales. Vous ne pouvez rester silencieux, passifs. Il vous faut contre-attaquer, demander des explications. Dénoncez ces abus, ne vous laissez pas intimider. Vous devez être présents dans toutes les manifestations de la cité, dans toutes les composantes qu’elles soient politiques, culturelles ou sportives. Il n’est pas trop tard pour intervenir. Et même si comme nous le craignons certains pays devaient changer de régime, nous vous demandons de poursuivre la lutte, même si celle-ci devient résistance, même si vous devez pour cela devenir des clandestins.

Il passa une main calme dans ses cheveux blancs pourtant parfaitement coiffés.

— Et je vous le demande avec ferveur, n’ayez plus de complexe de supériorité à l’égard des petites réussites. Ne dédaignez plus les petits commerçants qui ont prospéré dans leur entreprise, les petits patrons locaux, les classes moyennes. Je sais que le Dynamic Club est surtout le club d’une élite mondiale, mais nous devons réviser nos positions. Nous devons aller vers ceux qui sont nos meilleurs alliés. Il est possible que le petit épicier de votre rue, le masseur de votre femme soient débordants de bonne volonté. Qui plus qu’eux ont intérêt à ce que nos principes vitaux ne soient pas abandonnés, détruits ?

Certains faisaient la moue. Dans sa volonté de transformer le club international en machine de guerre subversive contre le marxisme, John Matton allait peut-être trop loin en ouvrant l’accès des sections aux petits boutiquiers, aux entrepreneurs maçons, à des milliers de gens en quelque sorte.

— Vous ne serez jamais assez pour vous défendre âprement. Il vous faudra constituer des réseaux d’informations, d’autodéfense. Tenez, prenons un exemple.

L’orateur reprit son souffle, ferma les yeux un court instant.

— Au Chili, par exemple. En quelques jours, lorsque l’ordre en fut donné, la plupart des épiciers de Santiago n’eurent plus en rayons que des marchandises sans intérêt. Vous voyez ce que je veux dire… aliments pour animaux domestiques, papier hygiénique, produits d’entretien. Mais plus rien de ce qui était nécessaire à l’alimentation quotidienne, à la vie des plus riches comme des plus pauvres. Plus de légumes, plus de boîtes de conserves, de café, de chocolat, de sucre, de farine. Plus de pain chez le boulanger. La farine n’était plus livrée. Il y avait une sorte d’enchaînement logique qui rapidement paralysait non pas la vie économique du pays dans l’immédiat, mais la vie tout court, celle de chacun. C’est alors que les ménagères ont décidé de faire une manifestation devant le palais de la Moneda. Quelques jours plus tard, le gouvernement Allende tombait.

Maxime fut surpris que personne ne mette quand même les choses au point. Chacun savait que ces ménagères manifestaient en manteau de fourrure et en tapant sur des casseroles de leurs mains gantées de fin chevreau. Certaines étaient venues avec leur domesticité pour faire nombre.

Il était également surpris de voir qu’en deux journées seulement le ton des conférences s’était dépravé. Ce John Matton avec ses manières distinguées n’hésitait pas à suggérer les pires moyens de lutte, prescrivait la disette, la famine pour obtenir un résultat. Combien de gosses avaient crevé de faim, faute de lait, durant cette fameuse grève des commerçants, il ne le précisait pas.

— Ce sont de petits moyens, évidemment, mais ils sont très efficaces, disait alors l’orateur comme en réponse à ses propres inquiétudes. Hier, Adriano Franca vous a indiqué d’autres processus beaucoup plus relevés, plus délicats également. Mais ils ne concernent pas directement les Dynamic Clubs, alors que mes propositions bien plus terre à terre peuvent être facilement appliquées.

— Je ne me sens pas très à l’aise, dit Clara Mussan en se penchant vers lui et en chuchotant. J’ai l’impression d’avoir été piégée. Je suis venue ici pour passer un bon moment et voilà que je reçois une instruction de guerre subversive.

Quelqu’un se leva. Ce gros homme qui s’appelait Charvin et qui était déjà intervenu la veille. Maxime Carel n’avait d’ailleurs pas relevé son nom sur la liste des heureux élus.

— En somme vous souhaitez que les clubs deviennent autant de centres actifs de résistance contre les nouveaux régimes politiques ?

— Si vous voulez, répondit John Matton nullement irrité. Mais avec une certaine subtilité et dans une apparence de légalité.

— Mais vous oubliez une chose, c’est que ces régimes seront, quoi que vous en pensiez, voulus par une majorité d’électeurs. Personnellement, je ne pense pas qu’en France la Gauche arrive au pouvoir. Mais si cela se produit, l’événement sera tout à fait légal. Vous voudriez que nous entrions en guerre larvée contre des institutions nouvelles certes, mais désirées par une majorité ?

— Vous oubliez une chose, mon cher ami…

Il y avait des murmures. Les gens paraissaient partagés entre l’approbation et le mécontentement envers Charvin.

— Vous oubliez une chose, reprit Matton encore plus haut, ceux qui arriveront au pouvoir, et ils y arriveront, auront, ont utilisé des méthodes identiques. N’oubliez pas que les grèves, les attaques incessantes… les oppositions formelles…