— Pardon : monsieur le commissaire !
— Merci, merci bien. Cette gonzesse était inconnue au Pompon Rouge. Elle a réservé sept jours avant la date d'hier. Elle est arrivée la première au restaurant, un type l'a rejointée, qu'elle connaissait bien. Et y z'ont bu des vouiskies en attendant un troisième from'ton qui s'est pointé av'c beaucoup d'retard et que le premier gazier arrivé a présenté à la jeune dame. Un très gros mec.
Nous voici à l'hôtel.
J'espérais y trouver des nouvelles de Pinuche, mais seul un message de Paris nous attend. On nous signale qu'un des convives d'hier est fiché. Un jeune type nommé Marcel Bouton. Il a tiré deux ans de taule pour avoir buté un Nord-Africain au cours d'une bagarre, dans un bal du Dix-huitième. Il vient de se marier. D'après notre liste, il a déjeuné au Pompon en compagnie de sa jeune épouse. Selon le message, il travaillerait dans un garage de la banlieue de Marseille, du côté de Cassis.
Les découvertes du Gravos m'ont stimulé.
— Bon, dis-je, à présent, oh va foncer sur Nice, se rancarder sur la Jehanne Seymour.
— Non !
— Pardon ?
— Je dis non, y'a plus z'urgent.
Bérurier me gobille des yeux plus blancs que des rubis au soleil.
— Ah, j'v's'en prille, hein ? Ça suffit !
Là-dessus il chasser ses mocassins de ses durillons et compose son numéro personnel à Paris.
— Où qu'v's'allez, inspecteur ? me lance-t-il, voyant que je me dirige vers ma chambre.
— Je ne voudrais pas me montrer indiscret, monsieur le commissaire.
— Merci, merci bien ; mais j'veux qu'vous restez, j'appelle à mon tome pour des questions d'travail, non pour le plaisir.
« Moi, quand j'sus t'en enquête, j'fais pas passer les conv'nances privées avant le… Allô ! Marie-Marie ?
Sa trogne prend des nuances chatoyantes. Un sourire huile ses commissures (de peau lisse).
— C'est Tonton, ma chérie. Just'ment, c't'à toi qu'j'en veule.
On dirait un gros chat taillé, Alexandre-Benoît, quand il jacte à sa nièce et pupille. Il fait le gros dos, patte et voix de velours.
— Ça boume, les écoles, ma gosse ?
— …, fait Marie-Marie.
— Comment ? Ah : sauf en allemand ? T'as eu qu'2 à ta compo ? Non, mais qu'est-ce y s'prend, ton prof ? Faut pas t'laisser faire, ma louloute ! J'irais y dire son qu'est-ce que Dieu quand j'rentrerai, et en bon français, espère ! Faire chier tes p'tites jeunes filles av'c une langue pareille qui ressemble à une angine ! C'est ben poul'plaisir d'emmerder son monde, non ? Enfin, p't'être qu'aura encore la guerre av'c eux, qu'ça t'sert au moins à quéqu'chose ! Mais enfin, bon, j'appelle pas pour ça. Tu voirais-t-il une inconvenance à sécher l'lycée trois quat' jours, môme ? Est-ce qu'ça masturberait tes études ? Réponds franch'ment ? Non ? Les compos sont finites ? Banco. Alors v'là c'qu'tu vas faire, mais primitivement, as-tu entendu causer d'une secte de siphonnés qui s'appelle la Secte Nouille-Sunde ? Mouais, c'est d'l'angliche, ça veut dire nouveau soleil. Y'éguesiste une succursale dans le Haut Var à Saint Glinglinche. J'aim'rais qu'tu t'y rendisses et t'engageasses comme si tu serais une follingue touchée par la graisse qui veut faire sa vie av'c Dieu, tout ça… Pour avoir des tuliaux, poulette… Y'n'acceptent qu'des jeunots dans ce bastringue et faut qu'j' soye rancardé su' leurs manières à ces tordus. Y s'y mijote des trucs bizarres…
— Béru ! tonné-je, tu ne vas pas expédier Marie-Marie dans cette foutue galère.
Il met sa main sur l'émetteur.
— Z'en prille, inspecteur : la ferme ! J'sais c'dont j'agis.
Inspecteur ! A moi ! Ainsi donc, il n'a pas suffi que je le promute, il exige en outre que je me dégradasse. Sa Marie-Marie expédiée dans cette secte des New-Sun Brothers ! Il est devenu fou. N'a plus de limites. C'est Béru-le-Téméraire ! Alexandre-Benoît le Grand !
Il poursuit :
— Fais vite un brin d'valoche, mets-toi tes fringues les plus zazous : des bloudgines, œuf corse, et des ticheurtes à la con qu'on voit des requins féroces dessus, tout ça. Tu m'suis ? Ta tante est laguche ?… Non ? Chez qui ?… Ah ! chez Alfred qu'est malade… Qu'est-ce y souffre, ce nœud ?… L'est toujours, malade dès qu'j'aye l'dos tourné… Ah ! Y s'est foulé le poignet en posant des bigoudis chauffants ! Bon, écoute, môme, tu laisseras un mot à Berthe comme quoi j't'aye exigé qu'tu vinsses m'rejoind'à Marseille. Hein ?… Ben voui, j'sus t'avec Sana, biscotte ?… Mouais, j'le sais que c'est ton béguin, ce beau ténébreuxe, mais c'est pas pour y fair'd'l'œil que j't'nous fais rejoind'. Tu passeras à l'Agence, su' les Chamzés et tu prendras ce que j'vais d'mander à Mathias de t'préparer. Ensuite va à Orly-Voueste et saute dans l'premier zinc pour Marseille. Tu t'feras conduire à l'hôtel d'Athènes et Colorado, oublille pas l'nom. Vu ? De la quoi ?… Ah ! de l'argent ? J'vais t'révéler not'cachette, moi et Berthe : soulève not'matelas, dessous tu trouveras un vieux portefeuille d'économies… Comment tu dis ?… T'es au courant ? Comment qu'tu sais, ta tante t'y a dite ? Non : t'as trouvé tout'seule ! Ça alors, t'es un'surdouée, téziguette ! Merde ! Une planque pareille ! Bon, t'as tout bien pigé, gamine ? Tâche qu'ait pas d'acrostiches. Si on s'rait pas à l'hôtel quand t'est-ce t'arriveras, d'mande la chamb' à m'sieur Bérurier et attends-y nous. Terminé.
Il fait miauler un baiser de tigresse prenant congé de sa dernière portée et raccroche.
— Alexandre-Benoît ! protesté-je, tu ne peux prendre le risque d'envoyer la môme chez les New-Sun d'où les gamins ressortent avec des gueules d'archanges beurrés qui ont paumé leurs ailes ; surtout depuis que nous savons que cette secte a servi de refuge aux quatre gredins évadés de la prison de Nîmes !
Le Gros me fustige d'une œillade ensanglantée comme certains jaunes d'œufs de poules hémophiles.
— Primo, fait-il, j'décide seul et tes r'montrances, tu peux les laisser dans l'porte-pébroques du hall. Deuxio, ma nièce Marie-Marie est une pécore estrêment t'intelligente et futée, qui renouche tout, qu'a peur d'rien, et c'sont pas des sectaires comme ces chinetoques à la graisse d'dragon qui vont y refroidir les yeux où qu'elle a jamais eu froid d'sa Vie. Par elle, on saura l'vrai fin mot de ce qui s'goupille dans c'monastère pour bonzes et bonzesses. Maint'nant, si tu voudras bien écraser, j'ai b'soin d'êt'peinardos pour continuer mon djobe.
Et il compose le numéro de notre agence.
La Claudette décroche sans trop se presser. Elle doit se faire tes ongles ou tailler une plume au rouquin car, après avoir modulé : « Paris Détective Agency, un instant, je vous prie », elle branche Béru sur la musiquette destinée à te faire prendre patience en te déversant dans les trompes un petit air feutré. Le nôtre, c'est « La Chanson de Lara ». Mais le Mastar, peu mélomane, déclare qu'il commence à en avoir rasibus du docteur « J'y vas, go ! » et qu'on d'vrait renouv'ler notre indicatif, mettre du Coluche à la place, ou bien l'horloge parlante, que ces temps morts servent au moins à quelque chose.
Au bout de plusieurs minutes, Claudette se déclare présente et, qui mieux est : écoutante.
— Qu'est-ce que tu foutais, la Mère ? proteste Béru, tu changeais l'eau de tes batteries ou bien tu tirais la tige au Rouillé ?
Elle pouffe :
— Oh, c'est vous ! J'avais maman sur une autre ligne.
— Ces manières. De mélanger la vie privée au travail, bordel ! tome mon commissaire et ci-devant ami, et tu voudrais qu'la France é, traverse la crise à gué, la façon que tout un chacun s'en paye comme si qu'tout y appartiendrait !
— Vous vous êtes levé du pied gauche, c'matin ! rigole l'effrontée.
A quoi Béru répond qu'il réserve son droit à des fessiers qui le méritent. Puis il exige Mathias à la seconde, comme Goethe mourant réclamait la lumière.