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Machinalement, je l'empoigne et tire dessus. Juste pour dire. Le flair, toujours le flair. Ça bascule. Ouais, je sais : t'avais deviné. On se connaît trop, que veux-tu ! Comme je ne peux plus changer de style, va falloir que je change de clientèle. Que j'aille me faire traduire en zoulou ou en esquimau gervaisien, reconquérir un public avant de crever. Jamais s'avouer vaincu, merde ! Y a encore les Japonais qui me connaissent mal, et même, c'est pas certain. Et puis p't'être les Touareg du sud, à gauche en sortant du Djebel Mondo, biscotte Hachette a du mal à distribuer là-bas. Quoique… Si je te disais qu'un jour, dans un bled, en plein Niger, j'aperçois tu sais quoi ? Un gusman, à l'ombre précaire d'un palmier, qui vendait des tronçons de canne à sucre et des Santantonio sur un bout de tapis plus percé que persan[5]. J'en ai mouillé mon Éminence, parole, de voir mes polars biscornis par le soleil, avec ces bûches de canne à sucre et l'Afrique tout autour.

Mais je t'reviens au fourreur. Le panneau qui pivote comme certaines lourdes de garages grâce au jeu étudié d'un contrepoids.

Je pénètre dans la penderie ; et de là dans une pièce des mieux meublées, sans fenêtre m autre porte. Probable qu'on a bricolé l'appartement contigu pour ménager cette cache. Le local mesure tout juste trois métrés sur trois. Il est pourvu d'un divan étroit, et de rayonnages s'arquant sous des monceaux de paperasses. Au sol, un poste émetteur de radio. Un téléphone est également posé par terre. Et puis un réfrigérateur grand comme un tabernacle où somnolent des flacons embués. Je cueille quelques papelards, au hasard : il s'agit de tracts maoïstes, prônant la révolution politique, économique et culturelle. Tous les autres documents entreposés dans ce mystérieux endroit sont relatifs à cette doctrine et à son glorieux géniteur.

Le commissaire examine attentivement les textes vigoureux qui clament l'espoir en des lendemains bleus comme des costumes Mao : « Un pour moa, tous pour Mao ! ». Et bravo, monsieur Ségalo !

— C't'une enfigourie politique ? me propose mon supérieur.

— Je crois que vous avez deviné juste, monsieur le commissaire.

— Merci, merci bien.

Il plie un tract en quatre et le coule dans sa pockette.

— J'ai vu tout c'que j'voulais voir, assure le digne homme. Partons, et relourdez comme quand t'est-ce on est arrivés, inspecteur.

Je le suis.

Il est déjà sur le trottoir, étudiant la façade de l'immeuble, lorsque je me rallie à son panachage rouge et violet.

— Allons-y ! décide l'Énergique.

Et il pénètre dans l'allée voisine, c'est-à-dire dans celle qui dessert l'appartement sur lequel est pris le logement secret. D'après notre estimation facile, ce logement est situé à droite, avant la cour.

Il comporte un petit seuil, une porte vitrée à côté de laquelle est accrochée une cage à oiseau où deux perruches se font des mamours.

Bérurier avance son doigt majuscule pour toquer. J'ai un mouvement irréfléchi.

— Gros !

Il se retourne, cramoisi de pas-contentement.

— Siouplaît ?

— Il vaut mieux attendre, on risque de carboniser le coup.

— J'vs'en prille ! lâche-t-il comme un jet de vapeur.

Et, conscient de ses prérogatives, de sa responsabilité ; fort dé son instinct, il frappe vivement le carreau.

Derrière, y'a un rideau tricoté, d'un blanc sale, ou d'un gris propre, au choix. Le rideau remue un peu, puis une voix chevrote quelque chose sur un ton d'invite et le Mastar pousse la porte.

Madoué, quelle odeur ! Ça pue la morue frite dans le secteur. C'est sombre, encombré, sale, et probablement visqueux. Un vieillard n'ayant plus que peu de cheveux et d'années à perdre se morfond dans un fauteuil d'osier dont on devine qu'il est rude malgré des coussins plats comme des crêpes. Le digne homme porte un pantalon de velours, une veste de bleu de travail ravaudée, par-dessus une accumulation de tricots, des pantoufles fourrées, et une maladie de Parkinson à changement de vitesse qui fait geindre son siège comme le vent une girouette.

— Salut, mon brave, fait le Jovial. Ça va la santé ?

— Hiééééééé ! répond le vieillus.

— Eh ! tant mieux, riposte Bérurier. V's'êtes tout seul ici ?

— Acccrrrrrr ! assure l'homme aux - castagnettes - en - guise - de - dents.

— Dans combien de temps ? insiste le Faramineux, lequel semble parfaitement apte à causer le gâteux méridional.

— Plllloooooo ! explique le perroquet déplumé en parkinsant de plus moche.

— Eh ben, en ce cas, si vous l'permettriez, on va jeter un coup de périscope à vot' masure, cher m'sieur. On est les empoilyés des Eaux et Forêts chargés de contrôler les baignoires.

Cessant tout dialogue, n'importe l'intérêt qui s'en dégage, Alexandre-Benoît se met à visiter l'humble logis. Deux pièces, pas davantage : une cuisine-salle à manger-salon, et une chambre à coucher insalubre, that's all !

Il sonde les murs, palpe le papier.

Force nous est d'admettre que le petit local en forme d'oubliette appartenait primitivement au magasin et non à ce pauvre appartement de pré-agonisant.

— Voilà, on va vous laisser, Pépé, lui déclare le commissaire Bérurier. Enchanté d'v's'avoir connu, et bonne continuation.

A quatre mètres vingt-deux de la boutique de fourreur maoïste, se trouve une épicerie.

Ce commerce de première nécessité est tenu par une solide matrone moustachue, riche en poitrine, et qui a dû se mettre du rouge à lèvres pendant que son bonhomme la calçait en levrette vu qu'au lieu de l'avoir sur la bouche (pas le mari, le rouge à lèvres) elle l'arbore sur la joue mais après tout, elle a peut-être agi de propos délibéré à cause de sa moustache.

— « Chère Maâme, s'aventure le Dodu, serait-ce t'il un effet de vot' bon thé de me dire à qui qu'appartient la fourrurerie d'à-côté, sans trop vous déranger ?

La gravosse a le cheveu noir et mousseux, le nez en bec de toucan (thamon), et le regard comme deux ventouses à déboucher les éviers.

Elle englobe le Mastar dans la fange de sa considération et fait :

— De quoi me mêlé-je ? Pourquoi vous voulez le savoir à qui elle appartient le magasin ? Vous voulez-t-il l'acquisitionner ? Ce serait une brave idée, que j'en ai ma claque de cette pouillerie, à force, des années de promiscuitance que ça fait minable une boutique pareille. Et qu'est-ce vous y monteriez-t-il comme commerce ? Quéque chose d'élégant, j'espère ? Une poissonnerie, ou une fromagerie non ? Que si c'est une fromagerie, moi j'arrête de faire le fromage, pas vous concurrencer. A qui elle appartient ? Elle appartient à personne. Enfin, positivement, puisqu'il s'agit de quelqu'un qu'a hérité et qui vit aux antipostes positivement puisqu'il habite aux îles. J'sais plus lesquelles, mais pas la porte à côté. Des îles avec des vrais nègres et des dattiers, peuchère. Et là que la datte pousse, c'est toujours à dache. Des nègres, on en a plein Marseille, mais des vrais dattiers, tu peux toujours courir. Le monsieur en question, je l'ai jamais vu, je ne sais pas son nom, c'était juste un neveu à ce pauvre monsieur Blumensteinfitchsolberg que les Allemands ont écrémé pendant la guerre avec sa pauvre dame qu'était si gentille bien que polonaise. Il n'avait qu'un neveu comme parenté et qu'est installé aux îles. Et alors, depuis, on n'entend plus causer de rien, et ce magasin tombe en vicissitude, bonne mère ! Le Notaire devrait s'en occuper. C'est Maître Glandaille, rue Paradisss. Il…

Elle continue de jacter entre ses cageots, massant son opulent balcon pour faciliter l'admission de l'oxygène. Nous, on s'esbigne en souplesse sans seulement qu'elle s'en aperçoive, la chère épicemarde, attentive qu'elle est à sa laitue peu chère qu'a tendance à faner, et dont elle arrache une feuille jaunie de temps en temps, avec une grande détresse de femme qui épluche son capital.