Выбрать главу

Avant que de lui dire bonjour, la question me part :

— Mais bon Dieu, t'as quel âge, môme ?

— Quinze ans aux fraises, Tonio. Dans quat' mois je pourrais me marier.

— Déconne pas, sévérise le commissaire Bérurier, t'as un onc' et tuteur qui surveille au grain, oublille-le pas !

— T'inquiéte pas, tonton, j'sus pas pressée.

— C'est fou ce que tu es devenue jeune fille, je murmure.

Elle se fend le pébroque.

— Je pourrais pas t'en dire autant, Tonio, toi, tu d'viens d'plus en plus mâle. Attends, qu'j'm'rend' compte de quéqu'chose.

Elle s'approche, caresse mes favoris à rebrousse-poils.

— Hé, dis donc, t'en a quéqu'z'uns qui mettent du sel dans leur poivre, on dirait ! s'exclame-t-elle, ravie.

— Charrie pas, mouflette, c'est le soleil !

— Soleil mon cul, je te jure qu't'as deux-trois poils gris en maraude ; mais te fais pas de mouron, ça t'ira comme un gant ! Toi, t'es fait pour avoir un peu de carat et quelques pattes d'oie. T'as vu Belmondo, la chouette gueule qu'y se prend ? Pour toi, c'est pareil.

— Tous les garnements de ton lycée doivent te filer le train ? soupire-je, mordu par je ne sais quelle confuse jalousie typiquement masculine.

— J'ai pas à me plaindre, admet la ci-devante musaraigne.

Je me racle la gorge :

— Je parie qu't'en as déjà tâté ?

Elle sourcille et retrouve son air furax d'avant, quand elle était rogneuse comme une rate prise au piège.

— J'sus pas Marie-Salope, j'sus Marie-Marie. Si t'imagines que j'vais me laisser baiser par ces p'tits cons branquignoles, alors là, t'as rien pigé à mon personnage, Tonio. Et j'regrette. J't'ai toujours prévenu que j'me marierai qu'avec toi, que tu le voudras ou non. On est faits l'un pour l'autre, ou du moins l'une pour l'autre c'qu'est déjà la moitié du boulot. Bien sûr que mes copines prennent du chibre à n'plus savoir où s'l'fourrer. Elles passent leur vie dans des surpattes à tirer un joint ou un coup. Merci bien, je leur fais cadeau ! Moi, j'ai l'idéal comtesse de Ségur. J'sus Kitche, au point de vue mœurs. J'me fais languir. Elles sont toujours à la recherche de leur slip, ces tordues. Elles l'ont chaque fois paumé dans une bagnole ou chez un ami d'ami d'ami qu'elles se rappellent seul'ment pas l'adresse. Tu parles d'une aubaine : boire du scotch et fumer de l'herbe qui te fait voir des papillons roses… Et se laisser culbuter par des glandus qui puent le bouc et ne savent de l'amour que ce qu'ils en ont vu faire aux lapins. Ah, là là, j'ai ma dignité, moi, m'sieur le commissaire !

— Inspecteur ! coupe Béru. Ici le commissaire c'est moi !

— Quoi ?

J'explique notre gentlemen agreement. Marie-Marie regarde sa tocante.

— T'as encore quat' plombes à jouer les caïds, tonton, profite-z'en.

— C'est bien m'n'intention. V's'avez fini vos p'tits déconnages, les deux, moui ? Bon. Alors passons aux choses sérieuses.

— Ah parce que tu trouves qu'c'est pas sérieux, l'amour, toi, tonton ? Ah, dis donc, tu tournes vieux birbe en chopant du galon !

Bérurier regarde l'heure à son tour, décide qu'il n'a pas le temps de sa fâcher et demande :

— Tu es été voir Mathias ?

— J'ai son fourbi.

Elle extrait une sorte de transistor comme en ont les spectateurs des stades qui veulent écouter la retransmission des matches qui se déroulent ailleurs afin de jouir un moment d'un certain don d'ubiquité.

— Ça, c'est pour ta pomme, m'n'onc' Y l'est tout réglé. T'appuilles juste su'c'bitogneau en caoutchouc à l'heure qu'on a décidé d's'causer et ça usine. L'mien, c'est ça.

Elle entrouvre son chemisier, dévoilant une énorme médaille en ébonite noire qui représente une tête d'aigle. Le pendentif est fixé à une chaîne grossière. Marie-Marie nous désigné le bec en métal de l'aigle.

— Je tords le pif à c'bestiau avant d'émettre ; sympa, non ?

— Parfait. On va faire un essai, descends dans l'hall.

Elle obtempère. La réception est parfaite, la voix de Marie-Marie intacte.

— Tonton, dit-elle, faut qu'j't'annonce une chose : ça t'va pas d'êt' commissaire. C'est comme un déménageur de pianos qui voudrait passer pour le pianiste.

— Quelle garce, soupire Bérurier. On dirait vraiment déjà une femme, tu ne trouves pas ?

— Si, conviens-je, je trouve.

* * *

Nous atteignons le bled où la section méridionale de la secte des New sun brother's a établi ses quartiers. C'est un pays béni, au sommet d'un promontoire d'où l'on découvre un fabuleux horizon de roches et de maquis. Le soleil joue avec le tout, exaltant les teintes indigos, les ocres, les verts sombres ; donnant aux collines ds allures de citadelles en ruine.

— Écoute, dis-je à Marie-Marie, cette équipée, je te le répète, est démentielle. Dis-toi que tu cours un danger certain et…

Elle m'interrompt :

— Ah non, tu ne vas pas commencer à jouer les époux qu'ont l'âge d'êt le father de leur femme, Tonio ! Ce serait partir d'un mauvais pied, nous deux. Bon, laissez-moi là, les duettistes. Comme convenu, j'appelle toutes les heures paires.

Elle a un geste et s'éloigne de notre bagnole hertzienne, mais, au bout d trois pas, elle revient précipitamment à ma portière.

— Que j'te dise une chose, Tonio. Quand on s'mariera, not' voyage de noces, tu sais où on l'fera ? Chez nous ! J'voulais qu'tu l'saches d'avance. Moi, Venise ou les Baléares, c'est pas avec elles que j me marie.

Elle me pique une bise sur la joue et s esbigne.

— C'est vraiment une idée fixe chez elle, hein ? grommelle Bérurier. D'puis toute petite ça la tient, cette marotte de vouloir t'épouser.

Il se rencogne contre son dossier, confie sa nuque à l'appui-tête et, le chapeau de ce fait rabattu en avant, déclare :

— S'l'ment j'ai d'aut' ambitions pour elle. Un flic, merde, ça m'ferait mal aux seins ! Bon : cap sur Nice, plize.

Et il s'endort sans plus tarder.

* * *

Maintenant, lecteur admirable, objet de mes nuits blanches, autel de mes tourments, bâton merdeux de mes vieillesses, maintenant entrons de pied ferme dans ce que je ne sais plus quel connard a appelé : le vif de l'action. Abordons la phase terrible de ce remarquable ouvrage qui jaunira dans ton armoire, en compagnie de quelques louis d'or et de la montre à remontoir de ton grand-père seuls biens quelque peu précieux que tu pourras léguer à cette descendance qui te grimpe dessus.

Allez, viens !

* * *

Quand tu pars de la Place Calissondaix, à Nice, pour te diriger vers l'église Saint Ignace d'Aïoli, tu empruntes (sans intérêts) le boulevard Henri VIII.

Cette voie est très large, ombragée de platanes bicentenaires, et bordée de petits immeubles très cossus dont certains sont neufs et d'autres dix. Elle est large, disais-je, cette voie, mais courte. Tellement que, pour lui donner de l'importance, l'on a commencé la numérotation des maisons à partir du nombre 100, comme dans les hôtels où chaque étage s'offre une centaine pour dire de faire palace sur les bords.

Donc, le 108 est situé au presque début du boulevard et, ce dernier étant extrêmement bref, par la même occasion il se trouve également au milieu. Si tu as de la peine à me suivre, fais-moi suivre par un détective privé (de dessert).

Bien que de caractère bourgeois, le boulevard Henri VIII est très animé et l'on trouve, sous les frondaisons plataneuses, une alignée de voiturettes bourrées de cette pacotille touristique qui permet aux visiteurs de ramener chez eux des trophées niçois made in Japan. L'on y vend de délicieuses poupées folkloriques qui font si bien dans une vitrine et sur un buffet Henri II, des sous-verres montrant l'Abbé Désange sur la promenade des Anglais (les pauvres) ; des modèles réduits de l'église Saint Ignace d'Aïoli (saint martyr qui fut torturé à Lesbos par une horde de gousses) ; les recettes de cuisine de M. Médecin, maire de la ville, imprimées sur des torchons qu'il convient de ne pas mélanger avec des serviettes ; des branchettes de mimosa artificiel (mais tu jurerais qu'il va parler tant il fait vrai) ; des chapeaux de paille d'Italie (signés Labiche) et une foule d'autres saloperies qu'il fait bon oublier quand on est rentré à la maison.