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La dame nous cause et je reconnais sa voix de mélé-casse.

— Si vous êtes policiers, montrez vos cartes ! Et pas de fausses manœuvres, sinon il nous suffirait de lâcher les laisses pour que vous n'ayez plus de gorge.

Bon, la confiance règne. On montre sa carte. Ils la matouzent à la lumière d'une loupiote d'ouvreuse sortie de leur robe de chanvre.

— Très bien, fait l'homme chinois en nous la rendant, qu'est-ce que c'est que cette histoire de bombe ?

— C'est vous le directeur des New Sun Brothers ?

— Pour la France, oui.

— Un coup de fil anonyme nous a prévenus qu'un engin explosif était dissimulé dans le dortoir des filles.

— Je suppose qu'il s'agit d'une odieuse farce destinée à nous créer des tracasseries ? répond le dirlo.

— C est envisageable en effet, cependant il est bon de vérifier.

— Mais nos chères sœurs dorment.

— Il vaut mieux les réveiller plutôt que de risquer que leur sommeil devienne définitif, riposté-je.

Et je m'avance à l'intérieur de la propriété, en espérant fortement que nos hôtes garderont leurs mains fort serrées sur les boucles de cuir des laisses.

On préambule à travers une vaste esplanade pavée. Nous sommes dans la cour d'honneur d'un ancien château qui devait tomber en brioche et que la secte a rebecqueté pour le transformer en centre d'accueil.

Les Chinois paraissent résignés. Leurs toutous ont tendance à les entraîner sur nos pas un peu trop vivement. Tout en me dirigeant vers le perron éclairé, je pense au repaire de l'ancien magasin de fourrure marseillais, avec ses tracts prônant le régime de Mao. Une banderole était placardée au mur : « Mao sait tout », ce qui est, tu l'as à peu près deviné malgré que tu relèves d'une varicelle, la traduction littérale de Mao tsé-Tung. Chinois par-ci, chinois par-là… Ça s'emboxe, hein ?

— Où est le dortoir ?

Le couple jaune a laissé les chiens dehors et refermé les portes. C'est relativement soulageant. Dans la lumière abondante du hall, ils ont un aspect innocent, mes deux bonzes. On dirait des touristes japonais réveillés par un incendie de leur hôtel et cherchant leurs Nikon pour prendre une photo du sinistre avant de prendre le large. Le château a, malgré son architecture, perdu sa féodalité. Il fait un peu école en grève. Y'a une atmosphère belliqueuse dans cet univers, de par les immenses posters et les panneaux qui recouvrent la totalité des murs. Les posters représentent des bonzes en contemplation style lotus (ou loto), et des gonzes à la boule rasée chantant un hymne qu'on peut pas entendre les paroles sur la photo.

Des écriteaux à lettres mobiles, fichés sur un pied, et pareils à ceux qu'on trouve dans les halls d'hôtel pour annoncer la réunion du Rotary ou la réception de mariage de Mme Chibrocdan-Lamoule permettent de se repérer. L'un indique que le réfectoire est au rez-de-chaussée à droite, et l'autre que les dortoirs sont au premier floor.

On grimpe.

Personne cause plus. Le pas clouté de Béru fait un bruit de retraite de Russie sur les marches de pierre. Il est largement réverbéré par l'ampleur des lieux.

Pour dompter mon angoisse, je ligote les panneaux au passage : « Écoute Dieu, et il t'entendra », « Le Figaro existe : Dieu y a rencontré Frossard », « Mets-toi sur la paille puisque Dieu y est né », « Ce que tu donnes au New Sun te sera rendu par Dieu », etc.

Premier rétage.

A gauche le dortoir des hommes, à droite celui des fumelles.

Cela tient de la chapelle et de la salle de réunion où l'on aurait installé des lits d'infortune. Ils sont si légers que, pour les faire, ces plumards, on a meilleur temps d'aller les secouer à la fenêtre comme des carpettes.

Moi, si tellement avide de savoir, j'ai actionné les différents commutateurs superposés dans le chambranle (moifort). Et les loupiotes crachent à bloc. Je m'élance, devançant tonton Bérurier. Je voudrais mater les vingt plumards à la fois, ceux d'à droite, ceux d'à gauche, tout bien. Capter. Savoir !

Et voici qu'un torrent de flammes me choit tu sais z'où ? Sur le cœur. M'inonde tout l'intérieur. M'ennhymne des pieds à la tête.

Elle est là, Marie-Marie.

Le quatrième plumard côté fenêtres. Elle dort.

Je me précipite sur elle. Je la saisis dans mes bras :

— Moustique, ma follingue, ma loupiote, ma gosseline, mon petit bonheur !

Je la secoue. Elle ouvre les yeux. Elle hagarde de ce reveillage en sursaut.

Et le gros Béru finit par méduser le couple en pleine métaformose du fait qu'il éclate en sanglots bouillonnantes, s'affale au pied du lit qui s'en met à genoux de son poids impensable, tu penses, le Gros, un lit tellement léger que les pensionnaires sont obligées de se démaquiller pour se coucher afin d'éviter la surcharge fatale. Et il récite des soulagements sur un ton litanique du docteur Gustin, Bérurier. Que notre père quête essieux merci qu'elle est toujours là, la pécore, vivante, archi-vivante, sans que lui manque le moindre bras, la moindre jambe, pas même un cheveu !

Et les Chinois nous croient dingues do nos grimaceries sous les yeux à qui-mieux-mieusants des autres pensionnaires que nos simagrées réveillent.

— Marie-Marie !

Elle fait des efforts.

— Oh, oui, bonjour, dit-elle.

On dirait qu'elle est mal réveillée, ou bien ivre, voire même droguée, ou peut-être, les trois à la fois.

— Tu n'es pas malade, moustique ?

— Non, Antoine, pourquoi ?

Sa tête dodeline.

— Habille-toi, nous partons.

— Partir ?

— Grouille, môme, on a du boulot à pleins bras, cette nuit.

Elle considère tonton Béru, et puis mézigue, et elle dit :

— Vous me faites un peu de peine, tous les deux.

— Hein ?

— Pitié, plus exactement. Vous vous agitez, vous allez de hue à dia sans songer que le Seigneur vous attend et que vous vous éloignez de lui !

Les brandillards m'en choient.

— Ah, non ! j'esclame : pas déjà ! Pas si vite ! Ils t'ont pas inoculé leur vérolerie de philosophie de merde, ces pommes !

C'est l'moment que profite le Chinois pour intervenir.

— Messieurs, vous avez abusé de ma crédulité avec ses histoires de bombe. En fait vous êtes venus tourmenter une jeune fille innocente, à la nature d'élite qui, spontanément, a adhéré à la glorieuse philosophie du New Sun

Il n a pas le temps de terminer.

Tu sais quoi ?

Bérurier vient de le cramponner par le collet et le fond de pyjama et te nous le virgule, rrraoûm, à travers le dortoir. Messire la jaunisse se propulse en un vol plané irréel jusque dans le plumzing de la surveillante, une grosse rombière aussi appétissante qu'un sandwich-rillettes oublié pendant deux mois sur un chantier. Le plume s effondre, le Chinois part à dame, ce qu'est le cas d'y dire, avec sa grosse girl-scout à gueule de méduse contagieuse. Ils polochonnent en brandebouillant tous les deux. La Chinoise à la lèvre pointue et aux paupières de crapaud endormi nous saute sur avec des glapissements. Béru gueule plus fort qu'elle, comme quoi Marie-Marie est sa nièce, qu'elle est mineure, qu'il va porter plainte contre les gens du New Sun pour attentat à la candeur.

A ce moment-là, bouge pas, ça se corse pire qu'à Bastia ; v'là qu'un p'tit cuiiit cuiiit se fait retentir, comme tu dirais un mignon zoiseau dans sa cage, quand les doigts de fée de l'aurore viennent y caresser la queue.