Je reconnais ce signal : s'agit de notre w-t gadget. Alors, bon, j'ouvre le tiroir de la table de nuit à Marie-Marie. Son pendentif est bien laguche. L'aimable gadget. Et moi qui croyais qu'on le lui avait dérobé ! Oh ben mince, alors ! Mais comment se fait-ce ? Comment se peut-ce ? Dans ce genre d'instrument, il existe deux parties. Une A et une B. Tout à l'heure, sur la B j'ai appelé la mouflette (enfin, l'ex-mouflette) et un escocroc (ou griffe si t'aimes la convention) m'a répondu sur la partie A. Or, v'là qu'on carillonne le A. Je branche.
— Oui ?
— Décidément, vous êtes des gamins, mes bons messieurs ! me dit la voix d'il y a un peu moins que précédemment.
Et le contact est stoppé.
Nom de Dieu ! comme le disait si pertinemment la princesse en retirant sa main humide de la culotte du capitaine !
Je fonce en cinquième vitesse (la quatrième ne suffisant point) jusqu'au hall. Je crois me rappeler que j'ai passé par-dessus la rampe pour aller plus vite, et sauté directo sur les dalles de marbre. Je vais pour sortir, mais grrrr ! Les doberman ! N'était que temps. Dans la foulée, j'allais laisser une paire de fesses, de burnes et d'amygdales dans l'aventure. Vivement je relourde en force sur un museau grondant.
Des gamins ! Ça oui : des gamins.
Jusqu'à présent on s'est laissé manœuvrer comme des flippers. Il nous reste qu'à faire tilt et à proposer des parties gratuites à ceux qu'auraient encore envie de se jouer de nous !
Le Gros tu croirais la Mutinerie du Potemkine à lui tout seul (demandez Kim, chocolats glacés. Mon pote aime Kim ! etc. Continue si ça t'intéresse, moi tu m'excuseras, mais j'ai Académie Française à préparer : j'ai déjà réussi à l'écrit et je passe les 39 oraux à partir de la semaine prochaine). Il gifle Marie-Marie pour la forcer de se saper, et la gamine chiale en criant qu'elle appartient à Dieu et qu'il faut pas lui casser les roustons, bordel, qu'elle est libre de sa vocation, non ? Et que si Dieu l'appelle c'est pas un gros sac à merde comme son con d'oncle qui va foutre des bâtons dans les roues à son salut éternel, putain d'Adèle ! C's'rait un monde, nom de Dieu ! Tel que, elle exprime la musaraigne, devant ses bonzesses approuveuses.
Le Chinois est parti tubophoner à la gendarmerie, qu'on l'attente en pleine nuit, des faux flics infernaux, suppôts de Satan venus larguer le mal dans son usine à béatitude. La Chinoise glapit en chinois, ce qui est comble qu'elle effervesce, hein, t'es bien d'accord ? parce que pour gueuler en chinois, même quand on est chinois, faut le faire, tonnerre ! Une langue qui s'écrit rien qu'avec des petites pagodes, des trépieds et des fenêtres de maisons Phénix ! Tu t'imagines en train de crier ça, toi ? Eh ben elle, si : tant et tant qu'on lui a déchaîné les courroux, à Mme Tien-Fûm.
Je profite de l'algarade pour esbigner dans les locaux. Ça radine de partout. T'as plein de garçons, à présent, attirés par le raffût. Les plus anciens membres se sont fait raser la boule, qu'il leur reste juste une grosse mèche, genre Hun, un peu en arrière du bocal : Attila !
Je les évite.
Descends dans les infériorités du château. Je cours comme au feu. Traverse des cuisines, des réfectoires, des salles de réunion, des sortes de chapelle où Dieu est présent en grands posters indéniables, qu'on se rende bien compte qu'il existe, notre Seigneur, et qu'il a de la barbe, des cheveux longs que tu le prendrais pour un foteballeur ou un musico d'orchestrion à la con, qui sont jamais plus de trois-quatre, mais te font un raffût comme deux cents grâce à la sono de chiasse que si je rencontrais le gonzier qui s'est permis de l'inventer j'y cracherais en pleine poire, ce saligaud ! Et que les plus nœuds dans ces cas, c'est ceux de la guitare électraque qui ressemble à une planche à découper et qu'ils gratouillent en f'sant mine de la sodomiser, jambes arquées, la paluche branleuse, regard en planeur, tandis que la gonzesserie bieurle dans la salle, s'inonde le slip d'enthousiasme et claudefrançoise dans sa culotte quand elle en porte une par mégarde !
Mais que cherché-je de la sorte ? Courant, courant de plus en plus vitement dans l'immense demeure dont la délabrance transparaît entre les panneaux, les oriflammes et les photos géantes. Où qu'y va, Sana ? L'en ignore. Y court. Y court, il court l'affuré du bois joli dont on fait les pipes et les crosses de colt. Il court et les idées sautillent dans sa tronche comme de la monnaie dans une poche de Kangourou. Complot ! On est visé. On nous a conduits là délibérément. Pourquoi ? Qui a voulu nous attirer dans ce monastère bidon pour moines bidons à cette heure tardive ? Je sens que les deux tauliers chinois sont hors coup. Mais alors quoi ? Je pressens des choses. Mais lesquelles ? Des petits truands évadés qu'on dénonce implicitement. Des sucettes qu'on escamote et qui pourtant sont innocentes à l'analyse. Un walkie-talkie conçu pour notre espionnage du New Sun, mais qu'un hyper-malin utilise contre nous, pour nous gausser, nous exciter, nous amener à réagir comme il le souhaite…
Et je cours toujours. Dévale les escadrins du sous-sol. Il court il court, le furax !
Un économat plein de réserves alimentaires. La chaufferie.
Un monceau de charbon. Pourtant ça se fait de moins en moins, le charbon. Ça appartient au passé comme la tourbe et les lampes à huile. Je m'arrête, essoufflé. De l'autre côté du tas d'anthracite, est une porte de fer. Hauteur un mètre dix, largeur un mètre quarante : à vue d'œil (de nez, j'sais pas faire).
Écoute, l'instinct…
Je t'en recause ? Non, pas la peine, tu sais déjà. Je t'en ai dit tellement sur ce merveilleux pif du flic surdoué. Sur cette vibration qui le pousse à faire ceci plutôt que cela et à se rendre ici plutôt que là-bas.
Alors, oui : l'instinct.
On a retroussé le charbon qui dévalait, jusqu'à la lourde de fer, de manière, je gage, à pouvoir ouvrir icelle. C'est déblayé, ce secteur de la cave. La lourde, elle ferme par un vieux verrou rouillé, banal mais très gros. Je prends ma lampe-stylo à faisceau fluctuflash et j'examine la tige du verrou. La rouille est griffée, écaillée à maints endroits, preuve qu'on a ouvert y'a peu.
Te dire que j'ouvre cette lourde équivaudrait à te prendre pour ce que t'es.
Bien sûr que je l'ouvre.
Et malgré mon chouette costar Lapidus (qui a toujours tendance à craquer ent' les noix parce que le Ted chipote un peu sur la quantité s'il te goinfre en qualité), je m'insère par l'ouverture.
C'est obscur comme les desseins d'un dictateur dans ce coinceteau. Du bout de l'escarpin, je piétonne (on ne peut pas parler de tâtonner) le vide. Découvre une marche, puis une seconde, et encore une troisième et, en cherchant bien, une quatrième. Ces marches se sont réunies là pour composer un petit escalier. J'arrive dans du visqueux, hautement dérapant. Heureusement, ma lampe ! Souterrain. Je me grouille de me réciter de l'Hugo pour meubler :
Caïn caha j'avance, avec, comme œil de Caïn, la petite loupiote au faisceau si dur qu'il fait des trous dans les planches lorsque je le braque contre.
Ça suinte de partout. C'est pataugesque et dégoulineur. Le tout vrai souterrain de château qui conduit vers des sorties obstruées, généralement.
On verra bien.
Hein ? J'ai pas raison ? Qu'est-ce que je risque ? Ma peau, tu crois. Et après ? On avance fatalement, que ça soit dans un souterrain merdeux ou sur le tapis rouge d'un palais, où se trouve la différence ? T'avances toujours pour partir. Avancer c'est partir. D'autres se pointent, de plus en plus grouilleurs, et tu disparais dans un bouillonnement de chiares comme un fleuve se jette dans la mer. Moi, la seule chose qui m'ennuiera un peu, dans la mort, c est d'être absent. Le reste je m'en fous.