Le souterrain oblique. Descend.
Et puis il se termine à une grille. La grille possède des barreaux gros comme ma… Non, j'exagère : gros comme la tienne, mais en fer ça fait tout de même de l'effet, malgré tout…
Je dirige mon faisceau à travers la grille. Et je fais bien, car il me permet de découvrir César Pinaud, attaché à un lit de camp, en position de croix de Saint-André.
Je voudrais chanter. Ce que tu voudras : de l'ancien, du moderne, du grégorien ou du Mireille Mathieu, alors tu vois ! Ce qu'on a bien fait de venir : on retrouve Marie-Marie, on retrouve Pinuche. Que demander de mieux ?
Remarque que la vieillasse est caoutchoutée. Dans le sirop d'oubli jusqu'à la garde ! En tout cas elle respire, je vois se soulever la poitrine de poulet qui lui sert de poitrail sur un rythme régulier.
J'appelle :
— César !
Mais César se fout présentement du rhum antique comme de la Rome antique ou même du romantique. Il est enfoncé dans le sommeil comme un pieu d'amarrage dans l'eau d'un étang.
J'étudie la grille. Scellée comme la voici, y' pas mèche de la forcer.
T'as déjà vu des films d'epouvante, técoince ? Le château, ses hanteries, fantômes, apparitions, grinçages, rire évoquant les Mémoires de Chateaubriand… J'en passe. Chassez le surnaturel, il revient au Gallup !
Comme je médite, le front contre une croix de fer, un ricanement pour film débile éclate. Ça part de loin, ça moutonne dans des profondeurs, ricoche et s'enfle.
— Et à présent, il est trop tard ! lance une voix résolument off.
Je te résume. En réalité ça fait un truc de ce genre :
— Eééééét haaaa présent ésent ésent ésent… Iiiiil est trooooop tard otard otard otaard…
Ce qui renforce la trouille qui consécute à de telles paroles, proférées à un tel endroit.
Je promène mon faisceau désespérément au-delà de la grille.
Je ne découvre que des murs suintants. Il y a seulement, dans un élargissement de couloir, ce lit de camp avec Pinuche ligoté dessus. Et voilà ! C'est beaucoup et c'est maigre. Pinaud surtout !
Alors un roulement de tonnerre retentit. Un vrai zinzin d'épouvante, que je te dis.
Je suis agité d'un violent soubresaut. Une âcre poussière terreuse me noue le gosier.
Vérification faite : la galerie s'est effondrée derrière moi. C'est l'obstruction totale. On l'avait probablement minée et l'on a déclenché le détonateur pendant que je me trouvais devant la grille.
Le bruit tournique longuement dans les profondeurs et meurt.
Le calme revient, à plat comme l'encéphalogramme de Ramsès II.
— CHAPITRE THÉRÈSE —
Le seul avantage réel, selon moi, dans ma posture, c est qu'ici je me trouve à l'abri d'un accident de la circulation. Si d'hasard t'en découvrais un second, préviens-moi : j'suis preneur.
Je gamberge avec un certain détachement, c'est curieux, non ? Comme si tout cela ne me concernait pas. Comme si je me trouvais pas impliqué dans cette production chargée de représenter la France à Avoriaz[7]. Bon : je me suis engagé à corps perdu dans un souterrain qui s'achève devant une forte grille au-delà de laquelle gît le père Pinuche. Et tandis que j'admire la vieillasse, belle comme un litre de vin sur son lit de camp (lequel n'est pas celui du Drap d'Or, oh que non !) le souterrain s'éboule derrière moi. Et alors voilà Santonio prisonnier. Et pour du temps, car si tu veux déblayer le cubage de terre obstruant le boyau, eh ben c'est pas avec une pelle à tarte, espère !
Ce qui me surprend, c'est le ceci de la chose suivante : certes nous fûmes habilement « manipulés » par les tireurs de ficelles qui nous observent, nous cernent, tout ça… Oui, certes, très certes, pourtant pouvaient-ils prévoir, ces gueux, ces noix vomiques, que j'allais foncer droit à la cave, repérer la porte de fer, m'engager dans galerie ? Je te pose la question, bougre de crème tournée : est-il raisonnable de croire à une préméditation ? Pourtant z'oui puisque le souterrain était préalablement miné. J'éteins ma loupiote afin de la ménager. Et aussi pour réfléchir plus intensément. Les pensées s'effarouchent à la lumière bien souvent. Du moins n'ont-elles plus le même impact. Si les comédiens jouaient pendant que la salle est illuminée, la pièce ne ressemblerait plus à rien. On n'y croirait plus. Ce serait alors quelque chose de rigoureusement artificiel puisque le spectateur conserverait son environnement réaliste. Dans les grands moments, et mon cher petit doigt (qui n'a pas plus de secret pour moi que mon médius n'en a pour le clitoris de ta femme) me dit que j'en vis un, de grand moment. Un moment « effarant ». Un moment imbanal. Un moment tu sais quoi ? Clé ! Parfaitement : un moment clé de mon existence. Clé de voûte, même, tiens voilà ce que j'allais omettre comme un con. Oui, c'est là clé de voûte (et dans ce souterrain je suis bien placé pour un tel vocabulaire) de l'affaire hautement prodigieuse que je te fais participer avec mon brio ordinaire et que je peux toujours attendre tes remerciements si c'est pas malheureux, un gastronome délicat comme moi se nourrir d'ingratitude toujours toujours sans le moindre témoignage de contentement juste des râleries qui me font honte pour çui qu'a ce sombre culot bordel de Dieu !
Pourquoi Pinaud est-il ici ? Pourquoi Marie-Marie a-t-elle décidé de rester ici et de se consacrer au Seigneur ? Pourquoi joue-t-on avec mes walkies-talkies ? Pourquoi mon cul ? Pourquoi cet imbroglio de truands et de secte ? Pourquoi ton zob ? Et pourquoi tout corps fourré comme un con dans un liquide de chiasse reçoit-il, de la part de ce liquide, une vérolerie de poussée de bas en haut égale au poids du liquide de merde déplacé ? Pourquoi ces sucettes ? Et pourquoi ces sucettes sont-elles de vraies sucettes ? Et pourquoi pourquoi ? Hein ? Je veux savoir le pourquoi de pourquoi. Ça fait des millénaires que les gonziers se posent la question. Qui est la seule question valable de tous les temps, pour tous les temps, même ceux qui continuent plus loin que toujours : pourquoi pourquoi ?
Et pourquoi a-t-on assassiné Jehanne Seymour ? Et pourquoi tenait-elle une sucette dans sa main ? Et pourquoi a-t-on assassiné le père Moïse ? Et pourquoi lui a-t-on engourdi sa provision de sucettes ?
Sucettes par-ci, sucettes par-là. Sucettes boulevard ! Dans le crépuscule… Les radios récitaient les calamités du jour. Le vent de la mer soufflait doucement sur la terrasse où se trouvait la morte. Et le gars Béru brossait la fausse bonniche…
Ai-je rêvé tout cela ?
Je rallume ma lampe à faisceau bourgnazié. Béru, là-haut, doit s'inquiéter de moi. Me chercher. Trouvera-t-il l'entrée du souterrain ? Et quand bien même, les gens qui s'y engageront ne penseront-ils pas, en le trouvant obstrué, qu'il est obstrué depuis des siècles ?
Les barreaux de la grille me paraissent inexpugnables.
— Pinaud ! hélé-je, afin de rompre ma solitude, ne fût-ce que par ma voix.
Seulement il est comme en catalepsie, le Vioque. Raide sur son lit, son brimborion de moustache carbonisée par la flamme trop haute de son briquet fumeux, ressemble, sous son nez, à une vieille brosse à dents époilée. Je promène le faisceau de mon stylo sur le bonhomme, suivant ses contours comme au crayon on suit ceux d'un dessin à colorier. Je le reconstitue, mon père La Délabre. Le recrée dans la nuit intense jusqu'au néant.
Quand j'ai achevé de le sertir, j'étudie son lit de camp. Et j'avise une sucette au pied du lit.
Pas très grosse. Ce qui t'explique que je ne l'ai pas remarquée plus tôt. Elle est rouge.
Et moi, je pense comme ça par une machinalerie de la gamberge dont à propos de quoi l'homme est coutumiesque : « Elle doit être à la fraise. »