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— CHAPITRE QU'A TORSE[9] —

Y'a de la luce ! me dit Bérurier qui connaît des « rudimentaires » d'italien, paraît-il, et à preuve.

Fectivement, une lumière lume au-dessus de la pharmacie de l'ami Moulalard.

On presse la sonnette de nuit, qui devient, dès lors, pour l'intéressé, une sonnette d'ennui. Un moment assez long coule entre nous et les somptueux bocaux latins de là vitrine, et puis la tronche poireuse du potard surgit de l'encadrement.

— Oh, c'est vous ! fait-il, sans ennui très marque, mais sans bonheur excessif.

Puis, s'apercevant que nous extrayons des êtres inanimés qui pourtant ont une âme de l'auto, il récrie :

— Des blessés ? Mais alors c'est à l'hôpital qu'il vous faut les conduire !

Bérurier grognarde :

— Délourde seulement ta crémerie, Gracieux ; si qu'on sonne à ta lourde c'est que la casse est pas trop grave.

Cette fois, manière de changer, c'est moi qui porte Marie-Marie, tandis que le Mammouth coltine la Pendeloque.

Le pharmago nous a ouvert la porte conduisant à ses appartements. On grimpe au premier, dans son logis pompeux, bourgeoiseux, ennuyeux et très poussiéreux pour cause de feu-au-cul de la part de Mme Moulalard.

On étend les inanimés sur des sofas sans glands comme l'étendard élevé de la chanson. On explique le cas bénin de l'une, celui mystérieux de l'autre, et v'là Gracieux qui se prodigue avec élan, altruisme, tout bien, quoi.

Pendant qu'il manipule les produits de son officine, la porte de son vestibule s'entrouvre et une jolie dame seulement vêtue des poils de son pubis, lesquels sont bruns, frisés et joyeux, paraît en bâillant.

— Ben qu'est-ce tu branles, gros loup ? elle demande.

O surprise : il s'agit de la mangeuse de fraises qui retint notre attention à la brasserie Verdevase.

On s'incline, très bas, déplorant de n'être point mousquetaires afin de torchonner le parquet avec la plume de nos bitos.

— Eh ben, Gragra ? demande Béru.

Le pharmago est gêné. Il sourit et explique :

— J'ai suivi votre conseil. Manière de tromper ma solitude, j'ai proposé à Graziella de m'accompagner ici, son compagnon l'ayant quittée pour vaquer à des obligations nocturnes.

— Bravo, mon pote ! jubile Sa Majesté. Tu tiens le bon bout !

— C'est plutôt moi qui le tenais quand vous avez carillonne, pouffe la pouffe. Dites donc, il était en retard d'affection, vot' copain ! Trois fois qu'y m'saute sur le poil !

On complimente le pharmacien pour sa brillante prestation.

Il est tout ravi, tout confus, le brave bonhomme. La vie se rouvre devant lui. Il se devine un futur et il est impatient d'y batifoler. Ce qui ne l'empêche pas de soigner nos chers caoutchoutés avec une compétence digne d'éloge, et même des loges maçonniques.

— Il vous a engagé pour un couché complet ? demande Bérurier à l'aimable et convoitante Graziella.

— Oui.

— Chérot ?

— Un grand jaune[10].

— Ça comprend le service aux aminches.

La môme redevient professionnelle et sourcille durement.

— Non, et pas la vaisselle, ni le ménage, mon bijou, pourquoi, t'as du trop-plein à éponger, toi aussi ?

— Toujours ! affirme le Gros. A c't'heure de la notte, un petit calumet gentil ça détend les nerfes, de ta part ça irait chercher dans les how mutch, Gosse ?

— A boule dix raides, mon poulet !

— Soite, consent Alexandre-Benoît, j'mégoterais pas vu que dès l'à-première-vue que j't'ai regardée, ta façon de manger les fraises j'en avais des bêtes à bon Dieu plein le kangourou. Tu permets que j'occupasse ta piaule un instant, Gracieux ?

Le pharmago a un geste libre d'homme libéré pour dure que désormais, sa chambre est un laboratoire d'amour dans lequel peuvent s'élaborer toutes les alchimies des sens, se perpétrer les actes les plus audacieux, se lancer à tous les échos les cris d'orgasme les plus sincères, les mieux claironnants, de ceux qui anticipent sans amoindrir le pied et auxquels le partenaire cherche la rime à la grande satisfaction des voisins.

Donc Béru et Graziella s'éloignent un instant pour sublimer celui-ci. Et nous restons seuls, Gracieux, le gentil cocu en rebiffe, Marie-Marie qui se réveille d'un long K.-O. tontonesque, et le cataleptique Pinuche qui ressemble de plus en plus à une momie.

Son cas rend Moulalard perplexe.

— Si son sommeil doit se prolonger, sans doute serait-il préférable de l'hospitaliser, dit-il.

La mouflette bat des stores.

Dieu qu'elle est jolie, Marie-Marie, avec son regard de velours, son teint de rose crémière (comme dit son oncle), son nez spirituel et sa bouche qui — ma foi, à quoi bon le taire ? — est devenue on ne peut plus (comme disent les vrais écrivains) sensuelle.

Elle me sourit. La brumasse paraît avoir déserté son esprit. La revoici elle-même : directe, coquine, coquette.

— Que m'est-il arrivé ? demande-t-elle.

— Je crois que tu t'es cognée, ma poule.

Elle se frotte le menton où les rudes phalanges de son tuteur ont imprimé des violettes.

— Dis donc, c'est pas sur le poing à tonton que j'serais tombée ? Je crois me rappeler de sa grosse patte d'ogre levée sur moi ?

— Je ne sais pas, ma poule.

Elle retrouve l'une des expressions qui cascadaient naguère sur son minois de souris des champs : cette crispation d'un côté du visage, ce sourcillement d'un seul œil qui marquent chez elle la réprobation et l'agacement.

— Écoute, Tonio, me dit-elle sèchement, ça te fatiguerait le mental d'm'appeler autrement que « ma poule » ? J'ai plus dix ans, nom de Dieu !

— D'accord… ma poule !

Et je demande à Gracieux de me driver à son labo car j'entends lui faire analyser à présent la sucette pilnucienne dont j'ai eu garde de me munir.

— A tout de suite, ma poule, surveille bien Pinaud !

La musaraigne me fait le poing.

— Y'a des moments, dans la vie, ou rien ne peut remplacer un coup de pompe dans le cul ! m'assure cette irascible personne.

* * *

— Ah, je comprends, maintenant, dit le tendre Moulalard, l'œil rivé à son microscope.

— Vous comprenez quoi, mon vieux crocodile en rut ?

— Pourquoi il y avait, dans les autres, au cœur de la partie confiserie, une sorte de conduit perpendiculaire guère plus large qu'un crin de cheval.

Il a fendu la sucette en deux dans le sens de la longueur, manche y compris.

Ce manche, c'est une espèce d'œuvre d'art à lui tout seul. Attends que je t'explique, va fermer la fenêtre, qu'avec ce boucan de la rue on ne s'entendrait même pas faire l'amour avec Alice Sapricht.

Tu l'auras déjà deviné si tu es un peu moins pomme qu'il n'y paraît aux discours que tu tiens, mais le manche, bien que d'un diamètre modeste, est creux. La cavité est revêtue d'un gainage métallique extrêmement léger. Celle-ci est divisée en deux compartiments complètement isolés l'un de l'autre. Le compartiment supérieur contient un liquide presque incolore, qui ressemble à du lait de coco. Le compartiment inférieur recèle une sorte de mine de crayon, ultra-fine, longue d'à peine deux centimètres.

— Vous avez une idée de ce que sont ces denrées ? demandé-je au potard-queutard-cornard.

Il pose l'extrémité de son auriculaire sur le liquide, l'effleurant à peine, puis porte son petit doigt, non à son oreille pour écouter ses confidences, mais à sa bouche.

— Je ne crois pas me tromper en vous affirmant qu'il s'agit de gainsbourium-malrauxité.

— C'est-à-dire ?

— Un cousin germain du L.S.D. Ici l'utilisation en est très simple et très ingénieuse : il suffit d'aspirer en suçant et par ce menu menu canal, la drogue parvient à la bouche du drogué en quantité infime. Chapeau pour la trouvaille. Je n'avais rien décelé parce que les sucettes étaient neuves et que je n'avais pas analysé les manches, comprenez-vous ?

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9

Je sais, je sais… Et après ? Ça changera quoi ? Je t'ai pas prévenu que j'étais mortel ? C'est con, hein ? Y'a qu'à moi que ça arrive des choses pareilles !

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10

Surnom donné par San-Antonio à cette coupure de cinq cents francs qui ressemble à une pâle omelette aux herbes de cantine ou à un morceau de papier-cul utilisé par un amateur de mets au safran.