Выбрать главу

— Et la partie solide, cher ami ?

Il cueille l'espèce de bout de mine avec une pince et la dépose sous son microscope.

— Pas la moindre idée. Je vais la réduire en poudre afin de pouvoir l'analyser dans de meilleures conditions.

— Faites vite, mon vieux, j'ai hâte…

Il va pour, mais Marie-Marie m'hèle et je ne puis demeurer avec him comme je l'aurais souhaité.

— Quoi qu'y gna, ma poule ? Pinaud est sorti du coltard ?

— Non, mais j'ai entendu hurler m'n'onc' dans la pièce là-bas J'ai voulu ouvrir : elle est fermée de l'intérieur. Je l'ai appelé, y m'a répondu en gémissant. N'serait-il point malade, c'gros sac ? La manière qu'y picole, il nous f'rait une attaque que ça n'aurait rien d'étonnant.

— Non, il n'est pas malade, au contraire, réponds-je.

— Qu'entends-tu par là, Tonio ?

— Heu… rien, laisse…

Elle déplisse son joli front.

— Oh ! ça y est, j'ai trouvé : il est av'c une gonzesse, non, ce dégueulasse ! Mais bien sûr : son cri, j'aurais dû reconnaître. Combien de fois, la nuit, j'suis reveillée quand il entreprend tante Berthe ! Si c'est ça, l'amour, à la tienne. Gueuler comme une otarie qu'a faim, merde !

Elle est courroucée, ma petite « fiancée ». Elle vitupèrerait encore longtemps, si une formidable explosion…

* * *

— C'qui m'console, balbutie Béru à travers ses larmes, c'est qu'il aura tiré trois bons coups avant de clamser, Gracieux. Et pas av'c du tout-venant. Graziella est une jeune fille admirab' sous les rapports sexuels. Mon pote n'aura pas été feinté sur la qualité.

Son pote ! Il est dans un triste état : la moitié du visage arraché par l'explosion, sa main qui manipulait le scalpel au moyen duquel il raclait le bout de « mine » lorsque la chose s'est produite se trouve toute seule sur le plancher. Et Dieu sait combien ça fait triste, une main toute seule !

— Écoute, dis-je au Gros, je vais me casser car la bourdille d'ici va nous enchrister à force ! Depuis qu'on a déboulé à Nice-la-Jolie c'est un vrai carnage autour de nous, j'aurai fait plus de morts dans cette admirable ville que la peste bubonique au temps de Louis XI. Or, il me faut les coudées franches pour quelques heures encore. Fais-leur la converse et occupe-toi de Pinuche.

— Je t'accompagne, tranche Marie-Marie, t'auras b'soin de quéqu'un, Tonio.

Je me dis qu'après tout why not ? Et on s'élance dans la nuit fraîche au moment où les sirènes de Police-Secours commencent de sonner l'hallali (laquelle en patois niçois s'écrit : a-i-l-l-o-l-i).

Des projets d'aurore chatouillent le fond du ciel du côté de l'Italie. Je m'arrête pour respirer, étourdi que je suis par la fatigue.

— T'as une de ces dégaines, l'artiste, plaisante Marie-Marie en m'attendant. T'es plein de terre, pas rasé, pâlichon… Tu ressembles à un n'hibou qui viendrait d'visiter une taupe chez elle.

— Marie-Marie, soupiré-je, toi qui as réponse à tout, dis-moi un peu pourquoi ces véroleries de sucettes, outre des stupéfiants, contiennent un explosif si puissant qu'il suffit d'un morceau gros comme une demi-épingle po bousiller un homme.

Elle n'hésite pas une fraction de seconde, cette grand-mère dégourdoche :

— La drogue, c'est pour que le drogué se procure la sucette, et l'explosif pour le tuer une fors qu'il l'a.

— Tu crois ?

— Ben, réfléchis : à part une brosse à dents, tu vois quelque chose de plus personnel qu'une sucette, tézigue ? J'vais même te dire un truc : c'est pour être absolument certain de bousiller LE drogué en personne qu'on a mis au point cette astuce.

— Je nage, soupiré-je. Je me demande si tout ce bordel n'est pas trop compliqué pour moi !

Elle tape le trottoir du pied, comme à la relève de la garde de Bukingham Palace, ces cons.

— Non mais dis donc, Grand, tu serais pas sur le point de te recycler dans la pyrogravure, des fois ? Tu vires patte-mouille, ma parole ! D'ici qu'on te voie débaler des pilules de ta poche, y'a pas loin. Fais gaffe, Tonio, fais très gaffe : j'supporterais jamais un mari pantouflard !

Un mari !

Moi !

Je lui souris. Elle est aussi fraîche que le matin naissant, Marie-Marie. Devenir un jour son époux ? Ce serait du Colette : Gigi !

— T'es marrante, balbutié-je.

Elle secoue la tête :

— Non ; je t'aime, c'est pas marrant, l'amour. Au contraire…

— Écoute, ma poule…

— Oh, chiasse, à la fin, avec ta poule ! T'as que ça aux lèvres. Tu ne peux pas m'appeler par mon prénom, tout culment, non ? Ça t'écorcherait la gueule ?

— J'aurais l'impression de bégayer, plaisanté-je.

— En ce cas n'en utilise que la moitié.

— Ça ne serait plus pareil, ton charme c'est ce doublé ; Marie-Marie ; mais on ne va pas épiloguer là-dessus avec ce qui nous reste sur les bras comme turbin. Je ne vais avoir les coudées franches que quelques heures encore, ensuite je serai happé par les roussins niçois qui m'installeront sur la sellette pour un bout de temps.

— Tonton va s'en occuper, t'inquiète pas !

— Il s'en occupera un moment, mais ils voudront me voir et je ne pourrai pas jouer à cache-cache avec eux jusqu'à la Saint-Trou !

On s'assied sur un banc. Les marronniers puent bon, au-dessus de nos têtes. Et y'a déjà des branleurs qui partent au suif dans les aurores tremblantes, l'air mélanco, le regard en papier froissé…

Je me mets à relater à la petite gonzière tous les événements dans leur ordre chronologique, car il est bon de se les remettre en tronche, tout bien ; de les évoquer à haute voix.

La gamine ( ? !) m'écoute en époussetant les traces de boue séchée sur mon veston. C'est vrai qu'elle m'aime, bon Dieu de bois ! Ce geste, c'est un geste d'épouse. Elle m'agace, décidément. J'esquive en exécutant une rotation du torse. Alors la voilà qui fronce les sourcils et laisse retomber sa main par-dessus le dossier du banc.

Je passe en revue les événements… Ça va au trot assis, d'une allure régulière. Je gaffe de rien oublier.

Quand c'est fini, la mouflette murmure :

— Deux couples, une fille…

— Hein ?

— J'fais le bilan, Tonio. Deux couples, une fille…

— Premier couple : le gros bonhomme et la gonzesse au manteau d'ocelot, qui sont probablement les meurtriers de la Jehanne Seymour. Deuxième couple : M. Robert, le marchand de sucettes avec sa gonzesse à la minerve.

— Et la fille ?

— Tu la connais pas.

— Mais encore ?

— Une môme, au New Sun, qui tirait sur une sucette hier et ne me lâchait plus. Elle m'a droguée…

— Tu crois ?

— Certain, j'en ai encore mal au bol, et je pense pas que ça vienne du crochet de tonton.

— Comment t'a-t-elle droguée ?

— Le plus simplement du monde : en tirant un flacon plat de son slip. Elle m'a dit que c'était un reconstituant et qu'avec une bonne gorgée de ça on voyait la vie en fleurs. Elle s'en est cogné une rasade (du moins elle a probablement fait semblant) et m'a passé sa bouteille. Comme une conne, moi, par curiosité, je m'en suis entiflé un grand coup. Par la suite, je m'ai sentie toute chose, survoltée et heureuse à la fois. Les chants du Sun, les invocations collectives, tout le bazar à la gomme qu'ils pratiquent, là-haut, ça me paraissait vachement sérieux et édifiant.

— Il faut que nous retournions chercher cette souris !