— Allons, messieurs, mes jeunes amis, voyons, ressaisissez-vous !
Un malfrat lui va contre.
— Lui ? il demande aux autres. Il nous les casse avec son claque-merde et sa légion d'honneur.
Ses potes hochent la tête.
— Moui, why not ? A moins qu'y fasse voir son cul par modestie, pour racheter sa grande gueule.
Le copain trouve l'idée à son goût.
— Tu vois, camarade, dit-il au décoré, c'est généreux de notre part, une telle proposition : le rachat simplement en baissant ton froc.
Il appuie le canon de son flingue sur la tempe du mec.
— Vas-y, mon père !
C'est pas la rosette, mais le poireau qui lui conviendrait, au vieux chnock, tellement il est verdâtre.
— Mais, monsieur…
— Un ! se met à compter le garnement… Deux !
— Oui, oui, tout de suite.
Et le pauvre monsieur dégrafe presto son bénouze.
— Pose-le !
Le monsieur désenjambe son grimpant.
— Slip !
— Hein ?
— Un… Deux…
— Oui, oui, tout de suite !
Le légionné enlève un chouette calbute pur fil de chez les Trois Suisses.
La dame qui déjeunait en sa compagnie, et qui devait être une collaboratrice (joliment attifée mais un peu cognée, la personne de confiance, quoi ; celle qui sait le chiffre du coffiot, l'endroit où l'on remise la fausse comptabilité et les personnes à qui il faut répondre que Monsieur n'est pas là), détourne les yeux.
Une vieille bibite grise brimbale sous la brioche du monsieur.
— Grimpe sur la table, monsieur ! Que tout le monde admire ta couette de caniche. Allez ! Hop !
Et le pauvre type escalade sa chaise, puis la table.
Son tortionnaire s'adresse à ses complices :
— On le bute quand même ?
— Non, répond le plus grand, il a une trop petite queue.
— Bon, alors qui on descend, celui de ces messieurs qui a la plus grosse ?
— Vouais, on pourrait !
J'écoute tout ça et je me sens une boule de flamme à travers le corps, comme si j'avais trop becté d'arissa avec le couscous. Je voudrais bondir, leur propulser une chaise à travers la gueule, à ces petits misérables. Seulement je sais que ça déclencherait un carnage. Ils commenceraient par m'aligner, mais ils ne s'arrêteraient pas à mon décès et, saoulés par la situation, ils bigorneraient tous azimut.
Dans les moments les plus tendus, y'a toujours le déclic qui rompt l'insoutenable malaise. En l'occurrence, c'est le bruit étouffé d'une chasse d'eau.
Et voilà César Pinuche qui radine, le menton sur la poitrine, achevant de rajuster ses bretelles à des boutons dont la décousance l'inquiète.
Il relève la tête, surpris par le silence ambiant. Découvre la scène et les bras lui tombent.
— Qu'est-ce que c'est que ce machin ? demande un des mecs.
Il s'approche de Pinuche et recoiffe sa mèche aussi grise que rebelle à l'aide du canon de son pistolet.
— Alors, on est allé faire sa grosse, grand-père ? demande-t-il.
Tu penses que la vieillasse ne va pas rater l'occasion de jactasser.
— C'est-à-dire je me suis rendu aux lavabos pour une arête qui me restait plantée là, et puis…
— La fin, l'occasion, l'herbe tendre, t'en as profité pour déféquer, n'est-ce pas, l'ancêtre ?
Il demande à ses camarades :
— Je le rectifie ?
— Pas lui, s'écrie un type, ce serait trop de son âge.
Le vilain donne une bourrade à Pinuche, l'obligeant ainsi à s'asseoir sur le chariot à fromages.
— Alors, qui ?
T'imagines bien la scène, l'Engourdi ? Ces gens morts de peur, le P.D.G. cul nu sur la table, Pinaud assis dans les Saint-Nectaire et autres Reblochon. La taulière qui se met à bédoler, tout debout près de ses marmiteux. Et le gros patron liquéfié qui se découvre un menton supplémentaire encore jamais homologué jusqu'à ce jour néfaste.
— Écoutez, les gars, fait le tourmenteur du légionné, on ne va pas rester en compagnie de ces veaux jusqu'à la saint Trou. Ils commencent à me déprimer. Et puis ils puent. On s'en fait un ou on ne s'en fait pas un ?
— On s'en fait un, récrient bien fort les trois autres.
— Banco ! En se référant à quel critère ? Celui qui a la plus grosse bite ?
— Ah, non, ça ôterait toute chance aux dames.
— Le plus vieux ?
— Ce ne serait pas marrant.
— Le plus jeune ?
— Ce serait immoral.
— Le plus vilain ?
— On aurait trop de mal à départager les exéquos !
— Le flic ?
Ils me regardent. Tout le monde me regarde. Les bandits d'un air de doute, les clients d'un air d'espoir.
— Ouais, bien sûr, y'a le flic. Mais enfin, quoi, c'est son métier de se faire tuer, non ? Dans son job, ils finissent tous par avoir la légion d'honneur à titre posthume.
Rires.
J'essaie de me contenir encore.
Mais c'est une question de tempérament, que veux-tu ! Quand un lavabo est plein, si le robinet n'est pas fermé à temps, l'eau déborde. Moi, le robinet en crache de plus en plus fort. Pas moyen de me contrôler.
— Écoutez, les enfants, je lance d'une voix glaciale, cessez de finasser et tuez qui vous êtes venus tuer !
Lala, ce brounche ! Il vient de marquer un point, le Sana. De toute beauté. Et pas sur pénalty, espère ! Mes quatre zéphyrins sont nettement ébranlés. Ils ont un flottement. Et puis le dégusteur de langouste reprend la barre :
— Qu'est-ce qui t'arrive, poulet ? Tu fais du texte pour te rendre intéressant ?
Et à ses complices :
— Il se prend pour Belmondo, cet enfoiré, non ? Je crois qu'il n'y a plus à hésiter. Il a gagné le canard. A toi la prime, Ducon !
Et il allonge le bras pour me flinguer. Vraiment pour me flinguer. C'est net, certain. Son œil ne trompe pas. Le canon de son feu cherche mon cœur.
Un badaboum terrific retentit.
Je vois mon gars, en face de moi, avec une grosse tache rouge au beau milieu du front. Son regard a disparu. Son flingue choit, et puis lui aussi, en travers d'une table, concassant la vaisselle. Des cris partent de partout à la fois. Des valdas crépitent dans ma direction. Heureusement, j'ai plongé. Pas pour m'abriter, pour permettre à Pinuche d'arroser encore, sans risquer de le gêner. Et il flingue, César. Posément, tranquillement, comme à la Foire du Trône. Un œil fermé. Poum ! Poum ! Poum ! Entreprise de démolition. Ce qui sauve tout, c'est la méprise. Les trois autres lavements se trouvant derrière leur copain seringué ont cru que c'est bibi qui l'avais effacé avec un second feu. Alors c'est sur moi qu'ils ont pointé leur artillerie. Ce qui permet à Pinuche de cartonner à son aise, avant que les autres malpropres reviennent de leur erreur.
Le pralines giclent drues autour de moi. Je chope la pétoire du gars mort au moment où ils cessent de me viser pour tirer sur Pinaud. J'écris « ils » avec un « s », j'ai tort, car y'en a plus qu'un de valide. Les deux autres gesticulent mollement entre les tables. Voilà, j'ai le composteur en main. A mon tour de faire un geste pour la santé de la Vieillasse. Brang ! brang ! Deux valduches ! Merci, m'sieur. Le dernier plaisantin s'écroule. A bord, la confusance est tellement indescriptible que je vais pas me faire tarter à te la descripter. Ça glapit moche, ça bouscule.
— Stooooop ! hurlé-je. Que personne ne bronche. Pinaud, veille à ce que quiconque ne quitte la salle !
Le P.D.G. se caresse Coquette en branlant le chef également. Il dit qu'il a pris une balle dans le bas de son veston, à quoi je lui rétorque qu'il aurait pu la bicher ailleurs, bien que la cible soit minuscule.