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— Simonetta est morte, dit-il seulement mais d’une voix si éteinte que le poète, surpris, releva la tête et pâlit.

— Morte ?… déjà ?… Ce n’est pas possible.

— Et pourtant, cela est.

Il n’ajouta rien et, quittant la pièce, se dirigea vers le jardin de Careggi dont les fontaines scintillaient sous la lune tels des panaches de perles… des perles comme Simonetta aimait tant à en porter.

Il fit quelques pas sur le sable d’une allée. Politien à son tour quitta la villa et suivit son ami. Il le vit arrêté au coin d’un massif de roses, la tête levée vers le ciel criblé d’étoiles. Et comme il s’approchait, tout à coup, le Magnifique leva une main, désignant la voûte céleste :

— Regarde cette étoile. Jamais encore je ne l’avais vue. Vois comme elle brille, et comme auprès d’elle les autres étoiles paraissent ternes et faibles… En vérité, je crois que c’est l’âme de Simonetta. Ou bien elle s’est changée en cette étoile nouvelle ou bien elle s’y est jointe pour lui donner plus de lumière.

Politien, à son tour, garda le silence. Dans le ton de son ami, il découvrait à présent une souffrance dont il n’avait jamais soupçonné la profondeur. Il avait deviné que Laurent aimait secrètement la belle Génoise, mais il avait aimé tant de femmes ! Comment supposer qu’il pût éprouver pour une seule un tel chagrin ? Est-ce que ce n’était pas une larme qui coulait lentement sur sa joue maigre ?

Incapable de trouver un seul mot qui ne fût dérisoire, le poète, à court d’inspiration, ne put que se taire…

On ramena à Florence le corps sans vie de Simonetta et la cité lui organisa des funérailles dignes d’une princesse de légende, car elle avait été sa plus belle fleur.

Le long cortège parcourut toute la ville. Portée sur les épaules de dix hommes, couronnée de fleurs et le visage découvert, Simonetta, dans une robe féerique, n’avait rien perdu de sa beauté. Elle était seulement aussi blanche que l’albâtre, mais avec ses beaux cheveux répandus autour d’elle et jusque sur les soieries précieuses de sa couche, elle semblait dormir.

Elle était même plus belle que jamais, car la mort avait effacé les traces de la maladie pour ne restituer qu’une image affinée, idéalisée.

Derrière elle, les deux frères, tout de noir vêtus, Julien se soutenant à peine, et Laurent pareil à un automate, menaient le deuil avec, alentour, une foule énorme, compacte et silencieuse, qui pleurait d’un cœur unanime.

Le soir venu, on déposa la jeune morte dans l’église d’Ognissanti, proche du palais Vespucci, où elle allait dormir son dernier sommeil. Mais quand la foule se fut retirée et que le sacristain voulut fermer l’église, il s’aperçut qu’il y avait encore quelqu’un. Un jeune homme tout vêtu de noir était resté là et, à genoux sur la dalle qui dérobait le divin visage, il sanglotait éperdument, balbutiant à travers ses larmes :

— Je le savais… je le savais, moi, qu’elle ne reviendrait plus…

C’était Sandro Botticelli…

III

Meurtre dans la cathédrale

Ce soir-là, à Rome, il faisait un temps épouvantable. C’était la semaine sainte de l’année 1478 mais, en dépit de l’approche de Pâques, les églises ne faisaient pas recette. Le mauvais temps d’abord, qui poussait les Romains à rester chez eux, et puis le fait que la Ville éternelle, sur laquelle régnait depuis sept ans le pape Sixte IV, était tout ce que l’on voulait sauf sûre dès que le jour baissait. Dans cet immense coupe-gorge délabré et crasseux les factions rivales des Orsini et des Colonna s’en donnaient à cœur joie sans que la police pontificale tentât quoi que ce soit pour les ramener à la raison.

Néanmoins, dans un petit cabinet bien clos, niché au cœur d’un superbe palais de la place Saint-Apollinaire, quatre hommes tenaient un conciliabule tellement passionné qu’ils ne prêtaient attention ni aux rafales de pluie ni aux hurlements qui s’élevaient de temps en temps de la nuit criminelle.

Bien différents, ces quatre hommes… Le premier était le maître du logis, le seigneur Jérôme Riario, gros garçon brutal, ancien gratte-papier à la douane de Savone mais neveu de Sa Sainteté Sixte IV et devenu du coup l’un des plus fastueux seigneurs de Rome. Un seigneur mal décrassé peut-être mais marié à une bâtarde princière, l’intrépide Catherine Sforza, et tellement cousu d’or qu’il n’était personne à Rome qui ne se déclarât son ami.

Le second était notre ancienne connaissance Francesco dei Pazzi, devenu banquier du Vatican, ce qui lui permettait de monter encore de juteuses affaires malgré sa banque florentine aux trois quarts ruinée par les Médicis. Celui-là suait tellement la haine que son maigre visage en était à présent jaune de fiel et sa conversation se bornait à une idée fixe : abattre, d’une façon ou d’une autre, les Médicis exécrés. Une idée que partageait amplement Riario depuis que, ayant acquis par la grâce de son oncle la ville romagnole d’Imola, il avait dû apprendre à compter avec Laurent de Médicis, ami de Venise avec laquelle il le prenait en tenaille, et couché à sa porte comme un tigre prêt à mordre. Tant que celui-là serait en vie, Riario ne pourrait espérer étendre ses possessions en Romagne.

Le troisième, Salviati, était un prêtre, et même un évêque… encore que simplement nominal. Lui aussi détestait les Médicis avec lesquels il avait eu très souvent maille à partir.

Quant au quatrième, Jean-Baptiste de Montesecco, qui se disait condottiere, il s’agissait d’un homme de main capable de n’importe quelle besogne vile ou sanglante en échange d’une poignée d’or.

Ces quatre personnages, réunis pour mettre au point l’opération au cours de laquelle les Médicis trouveraient la mort, sortaient tout droit du Vatican, où le Saint-Père les avait reçus… pour parler de la même affaire. La conversation, qui ressemblait assez à un dialogue de sourds, faisait honneur en réalité à la duplicité du Saint-Père, plus encore qu’à son sens de la diplomatie.

À Montesecco lui représentant qu’il serait bien difficile d’abattre Laurent, sans exterminer aussi Julien et peut-être quelques autres, Sixte IV avait répondu :

— J’exige qu’il n’y ait pas mort d’homme. Laurent a beau être un coquin, pour rien au monde je ne voudrais sa mort mais seulement le changement de l’État.

— On fera ce qu’on pourra pour que cela n’arrive pas, dit Riario, qui avait été à bonne école. Mais si cela arrivait, Votre Sainteté pardonnerait bien au meurtrier ?

— Tu es bête. Je te le répète, je ne veux la mort de personne. Allez et faites comme vous l’entendez, mais qu’on n’ôte la vie à personne !

— Au moins, Saint-Père, dit à son tour Salviati, laissez-nous mener la barque. Nous la dirigerons sûrement.

— Bien entendu, je vous donne toute ma confiance, mon fils, et je consens à tout ce que vous déciderez pour le plus grand bien de Florence… et de l’Église.

Ayant ainsi compris à demi-mot, les quatre conjurés étaient rentrés chez Riario pour y mettre au point les derniers détails de leur projet. Le pape avait fourni le prétexte de fêtes à Florence en nommant un autre de ses neveux, le jeune Rafaël Riario, qui n’avait que dix-sept ans, cardinal-archevêque de Pérouse et en décidant qu’il partirait sur l’heure occuper son siège pontifical. Or, pour gagner Pérouse, le mieux était de passer par Florence, et les Médicis avaient fait dire qu’ils recevraient la nouvelle Éminence avec tous les honneurs dus à son rang.

À l’aube, les conjurés, moins Riario qui ne pouvait se mouiller en personne, prirent la route de Florence, ou tout au moins de Montughi, où le vieux Jacopo dei Pazzi les attendait dans sa propriété de campagne, loin des oreilles indiscrètes. Quelques détachements des troupes pontificales prirent également la route de Florence pour se tenir à proximité et être sur place afin de ramener l’ordre quand « la chose » serait faite.