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Une troupe de jeunes militants pleins d’ardeur envahit bientôt la villa de Montughi. Il y avait là Napoleone

Francezi, Bernardo Bandini, Jacopo Bracciolini et quelques autres, dont le précepteur de la maison Pazzi et un autre prêtre. Si l’on y ajoute l’archevêque Salviati et le cardinal de Pérouse l’affaire prenait l’allure d’une croisade beaucoup plus que d’une chasse au fauve.

Toujours grand seigneur, Laurent avait décidé de recevoir fastueusement le jeune cardinal Riario. Il y eut des fêtes dont les conjurés pensaient pouvoir se servir pour exécuter leurs noirs desseins, mais chaque fois, l’un des frères Médicis manquait et il fallait avoir les deux ou personne.

On finit par se mettre d’accord sur la grand-messe de Pâques, autrement dit le dimanche 26 avril 1478. On abattrait les deux frères dans la cathédrale Sainte-Marie-des-Fleurs, le Dôme de Florence.

— Il serait tout de même étonnant qu’ils n’assistassent pas tous les deux à la grand-messe du saint jour de Pâques, dit Francesco dei Pazzi avec une vertueuse indignation qui eût été comique en d’autres circonstances. Là, nous les tiendrons et personne ne pourra rien pour eux, car nous veillerons à ce que l’église contienne surtout des gens à nous.

Mais le vieux Jacopo, son père, n’était pas d’accord.

— Tuer le jour de Pâques, dans une église ? Vous ne craignez pas que cela vous porte malheur ?

— Les frères Médicis, c’est l’Antéchrist en deux personnes, riposta Salviati. Dieu, au contraire, sera avec nous. Il présidera à l’exécution, car le signal de l’action sera la sonnette de l’Élévation. Ensuite, nous laverons le Duomo, nous le purifierons, et Dieu sera content…

C’était véritablement faire un arrangement avec le Ciel, mais un arrangement à sens unique, où le second partenaire n’avait pas été consulté.

On se partagea les rôles. À Montesecco, le spadassin, revenait l’honneur de tuer Laurent. Francesco et Bandini abattraient Julien, cependant que Salviati et Bracciolini s’empareraient du palais de la Via Larga… et de tout ce qu’il contenait.

Pourtant, au matin du saint jour de Pâques, alors que les cloches de tous les campaniles déversaient sur Florence une orgie musicale, en contrepoint de l’orgie de lumière à laquelle se livrait le soleil, les conjurés éprouvèrent une première déception : Montesecco, l’âme, la cheville ouvrière de l’opération, manquait à l’appel. Il fut impossible de le retrouver.

— Il faudra le remplacer, dit Francesco. Mes deux frères, Stefano et Antonio, se chargeront du fauve. Je me demande pourtant ce qui a pu lui arriver…

Il lui était simplement arrivé que cette histoire de cathédrale ne lui plaisait pas. Il fallait, selon lui, être un prêtre comme ce Salviati à demi fou pour oser assassiner quelqu’un dans une église. Et sans en avertir personne, le spadassin avait tout doucement pris la clef des champs. Les deux prêtres de la conspiration, qui n’avaient pas de ces délicatesses, se chargèrent joyeusement de sa besogne.

Deuxième déception : Laurent de Médicis, avec une très petite escorte d’amis, arriva à l’heure dite à la messe… mais Julien n’y était pas. Est-ce qu’il allait falloir renoncer une fois encore ? Que non pas ! Il fallait abattre les Médicis ensemble et on les abattrait ce jour-là.

Francesco et Bandini, commis à son assassinat, allèrent tout bonnement le chercher en lui assurant que son frère le réclamait d’urgence.

Si Julien fut un peu surpris de voir les commissions de son frère faites par un ennemi qu’il n’avait pas vu depuis longtemps, il n’en montra rien, se contentant de déclarer sèchement qu’il était seulement un peu en retard, mais que son intention était bien d’aller ouïr la messe.

— Pardonne-moi, dit Francesco, mais j’ai voulu venir te chercher moi-même. Il faut que la brouille cesse entre nous. Celle qui nous séparait n’est plus, et j’ai tant regretté de l’avoir importunée, même un instant. En mémoire de l’ange qui se nommait Simonetta, ne veux-tu pas me pardonner ?

Il y avait deux ans, jour pour jour, que l’Étoile de Gênes avait fermé ses yeux à la lumière du monde et son souvenir était toujours aussi vivace au cœur du jeune homme, la douleur toujours aussi aiguë. C’était parce qu’avant la messe il avait voulu prier seul, un moment, pour elle qu’il s’était mis en retard.

Julien regarda Francesco, chercha ses yeux, que l’autre ne baissa pas. Il le vit troublé, inquiet, malheureux sans doute, et le crut sincère.

— Tu as raison, dit-il. Oublions nos querelles. Simonetta la très douce nous le demande, j’en suis certain. Embrassons-nous !

Et les deux hommes s’étreignirent… ce qui permit à Pazzi de s’assurer que Julien ne portait ni armes ni cotte de mailles… Et l’on partit pour l’église où le service était commencé.

Longuement Julien pria, heureux d’avoir, à ce qu’il croyait, retrouvé un ami… Doré comme un missel, le jeune cardinal Riario officiait, si étincelant que l’on en oubliait son physique quelconque. Et puis ce fut l’Élévation. Une clochette sonna. Entre ses mains gantées, il élevait l’hostie…

L’instant le plus sacré de la messe fut le signal. Avec ensemble, Pazzi et Bandini, qui escortaient toujours Julien, tirèrent leurs dagues et frappèrent au flanc. Avec un cri, le jeune homme recula de quelques pas et s’abattit. Francesco se rua sur lui pour frapper encore et encore, si impétueusement qu’il se blessa lui-même à la jambe. Mais il ne sentit rien. Il lui semblait qu’il n’en finirait jamais de savourer sa haine et sa vengeance…

Pendant ce temps, les deux prêtres avaient attaqué Laurent mais celui-ci avait instantanément compris et, tirant son épée, entreprit de se défendre. Bandini, vite rejoint par Pazzi, accourut à la rescousse et abattit les deux amis qui se portaient au secours de Laurent. Mais le Magnifique savait se battre. Il sauta dans le chœur et passant devant l’autel, où le joli petit cardinal doré se soutenait à peine, courut vers la sacristie, dans laquelle il s’enferma pour attendre les secours qui n’allaient pas manquer de lui venir.

En effet, une heure plus tard, il en sortait escorté de ses soldats et d’une foule d’amis. On emporta le corps de Julien et on emmena aussi le jeune Riario que l’on enferma sous bonne garde au palais. Le coup était manqué puisque le plus important des deux frères, le maître de Florence, en avait réchappé.

Une foule énorme se porta vers Laurent pour lui dire son amour, cependant que la chasse aux Pazzi commençait.

En un rien de temps, tous ou presque furent arrêtés car, croyant leur coup réussi, ils étaient entrés dans la ville afin de s’emparer des points stratégiques du pouvoir : il n’y eut qu’à les cueillir.

Et tandis que Florence offrait à Julien des funérailles aussi somptueuses que celles de Simonetta, la répression commença, terrible, impitoyable.

L’archevêque Salviati fut pendu séance tenante à une fenêtre de la Seigneurie, avec son frère et plusieurs de ses familiers. Vingt-six autres partisans des Pazzi furent massacrés par la foule, débités comme animaux de boucherie. D’autres furent pendus la tête en bas suivant la mode pittoresque de Florence. Ainsi de Francesco dei Pazzi, qui mourut d’ailleurs courageusement. En tout deux cent soixante-dix personnes furent offertes en holocauste aux mânes irrités de Julien de Médicis. Les derniers à mourir furent Montesecco, qui n’avait cependant rien fait, et le vieux Jacopo, qui s’était enfui et que l’on reprit pour le pendre à côté de son fils. Et pendant une longue semaine, Florence se roula dans le sang et dans la vengeance. Et Botticelli, à nouveau en larmes, dessina d’un crayon impitoyable l’archevêque Salviati pendu à la fenêtre du palais…