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— Ne dites pas cela ! C’est un crime de convoiter le bien d’autrui… surtout si c’est celui de votre père.

— Votre père fait fi de ce bien que vous jugez si précieux. Il préfère les filles de mariniers ou les chanteuses. Ugo, Ugo, c’est vous que j’attendais, c’est vous que j’aurais dû épouser. C’est à vous que je veux appartenir.

Elle se rapprochait de lui, tentante, parfumée. Ugo eut un vertige. Depuis son arrivée, l’image de Parisina hantait ses nuits. Il avait tenté de la chasser par la prière et la pénitence mais chaque soir la retrouvait plus forte et plus dangereuse. Et là, dans cette loggia, elle donnait une réalité à ses rêves. Il n’avait qu’un geste à faire pour qu’elle fût dans ses bras… et ce geste, elle lui demandait presque de le faire. Dans une ultime défense, il secoua la tête.

— Non… Ce serait un péché !

— Le seul péché, c’est de refuser l’amour quand il se présente. Je t’aime Ugo, et je n’aime que toi.

Elle était contre lui maintenant et elle l’entourait de ses bras frais. Ugo eut un éblouissement. Presque malgré lui, il la prit dans ses bras, sentit, sous la soie vraiment très légère, un corps souple et chaud dont le contact lui fit perdre la tête. Il aurait fallu être un saint pour résister plus longtemps à cette affolante tentation, et Ugo n’était pas tout à fait un saint. D’un geste brusque, il renversa le flambeau qui seul éclairait la loggia et coucha la jeune femme sur les coussins.

Tout au long de la semaine que dura l’absence de Nicolo, Parisina et Ugo s’aimèrent avec une ardeur d’affamés. Chaque nuit, il la rejoignait, dans sa chambre d’où elle chassait suivantes et dames d’honneur, même la fidèle Bianca, pour être plus libre de profiter de son bonheur. Il n’y avait plus au monde que Ugo et elle… Qu’importait le reste ?

Le retour de Nicolo aurait normalement dû mettre un terme à leurs rencontres, mais Nicolo avait pris une nouvelle maîtresse et ne se souciait pas davantage de sa femme. Il lui rendit visite le soir de son retour parce qu’il entendait avoir d’elle un enfant, mais dès le lendemain, retourna à ses plaisirs. Aussi, les deux amants, un instant retenus, ne virent-ils bientôt plus aucune raison de demeurer plus longtemps séparés. Avec quelques précautions, tout de même, Ugo reprit le chemin de la chambre de Parisina et les ardentes nuits de l’automne recommencèrent.

Pourtant, si au palais tous ceux qui avaient deviné quelque chose gardaient un silence prudent, d’autres étaient intrigués par les yeux brillants de Parisina, les regards tendres qu’elle posait sur Ugo. Un certain Benvenuto était de ceux-là.

Valet de confiance du duc Nicolo, il l’accompagnait dans tous ses déplacements et lui servait volontiers de confident pour ses amours, voire d’entremetteur. C’était un homme aigri, fort laid et qui, le Diable seul pouvait savoir pourquoi, détestait Parisina. L’attitude des deux jeunes gens éveilla ses soupçons. Il surprit le frôlement de leurs mains, les soupirs qu’ils échangeaient lorsqu’ils pensaient n’être pas entendus.

Une nuit, alors que le duc, harassé de fatigue après une chasse à travers la plaine, dormait comme une souche, Benvenuto quitta l’appartement de son maître, et sans bruit, gagna celui de la duchesse. Il savait déjà qu’elle avait pris l’habitude de renvoyer ses femmes chaque soir, sous prétexte que la moindre présence agaçait ses nerfs. Il put donc parvenir sans encombre jusqu’à la porte de la chambre, l’entrouvrit tout doucement…

À l’exception d’une veilleuse, la vaste pièce était plongée dans l’ombre mais il ne fallut que quelques instants à l’espion pour voir que dans le lit, il y avait deux personnes, et qu’elles ne dormaient pas.

Sans faire plus de bruit qu’à l’entrée, Benvenuto referma la porte, repartit comme il était venu, et courut réveiller son maître.

— Que veux-tu ? s’écria Nicolo de fort mauvaise humeur. N’es-tu pas fou de m’éveiller ainsi en pleine nuit ?

— Lève-toi, seigneur, et suis-moi sans faire de bruit. Il y va de ton honneur.

— Que veux-tu dire ? Que vient faire ici mon honneur ?

— Tu le verras si tu me suis. La duchesse est au lit avec le bâtard… et ni l’un ni l’autre ne pense à toi.

D’un bond, Nicolo fut à bas de son lit. Sans même prendre la peine de s’habiller, il saisit un flambeau, courut jusque chez sa femme, et enfonça la porte plutôt qu’il ne l’ouvrit. Un double cri de terreur salua son entrée.

Dans les prisons du château, Parisina et Ugo, chacun dans un cachot, attendaient leur sort. On les avait arrachés de la chambre d’amour, traînés nus jusqu’à la prison où on leur avait jeté quelques vêtements. Puis de lourdes chaînes avaient été bouclées autour de leurs chevilles et de leurs poignets. Et maintenant, ils attendaient.

Mais tandis que Ugo, dégrisé, clamait son repentir à tous les échos et implorait la clémence divine, Parisina revendiquait hautement son crime d’amour. Elle aimait Ugo et voulait que chacun le sût. Les échos de son cachot à elle ne renvoyaient que des cris d’amour. Elle ne savait ce que Nicolo ferait d’elle mais cela lui était égal. Seul comptait Ugo, et s’ils avaient le même sort, fût-il la mort, elle rendrait grâce à Dieu. Dans son exaltation, elle rêvait d’un échafaud en plein soleil, semblable à quelque autel, vers lequel ils marcheraient main dans la main, unis pour l’éternité. Quelle plus belle fin pourraient-ils souhaiter ?

Mais Nicolo d’Este ne voulait pas d’échafaud public, pas de grand soleil, pas d’exécution solennelle trop semblable à une fête. Une nuit, plusieurs hommes entrèrent dans le cachot de Parisina : l’un était le duc, puis venait un moine, enfin, traînant Ugo enchaîné, deux bourreaux fermaient la marche.

— Tu vas mourir, dit Nicolo à la jeune femme. Confesse-toi.

Elle s’agenouilla docilement ; dit ses prières puis, quand le moine lui eut donné l’absolution, l’un des bourreaux tendit à Ugo effaré une hache tandis que l’autre courbait de force Parisina, découvrant son cou mince.

— Frappe ! ordonna l’impitoyable Nicolo.

Avec un cri d’horreur, Ugo rejeta l’arme d’exécution.

— Non… non… pas moi ! Je ne suis pas un bourreau.

— Frappe, te dis-je ! Sinon, je vous traîne tous deux dans la chambre des tortures et elle périra devant toi dans les pires supplices. Vas-tu frapper ?

— Frappe, mon amour, implora Parisina. Je suis heureuse de mourir de ta main… N’aie pas peur.

Alors, avec un frisson de dégoût, Ugo reprit la lourde hache, la leva au-dessus de la jolie tête inclinée. Les yeux clos, Parisina priait de tout son cœur.

Quelques instants plus tard, le bourreau faisait tomber à son tour la tête d’Ugo.

Nicolo d’Este organisa pour les amants adultères des funérailles somptueuses. Les deux corps, revêtus de velours, de brocarts et de joyaux furent exposés dans la cour du château et tout le peuple défila devant eux. Des colliers d’or cachaient, sur les cous mutilés, le passage de la hache.

Puis, par un curieux sentiment de respect pour leur jeunesse et leur amour, il les fit enterrer tous deux dans le même tombeau, unis dans la mort comme Parisina l’avait tant souhaité.

Après quoi, la conscience satisfaite, le duc Nicolo d’Este se mit à la recherche d’une troisième épouse.

Cardinal contre bâtard !

I. Angela

On était dans les premiers jours de juin de l’an 1505, et le soleil écrasait Ferrare. Dans les rues rectilignes, tirées au cordeau, de la cité des princes d’Este, la première ville d’Italie construite selon un plan moderne, une chaleur de four régnait tandis que les brumes fétides qui montaient des marais proches portaient avec elles les miasmes de la malaria. Même derrière les murs énormes du château ducal, rude forteresse médiévale quadrangulaire flanquée de tours carrées, la chaleur était suffocante.