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Jules et Jean de Gascogne parvinrent à s’enfuir et gagnèrent Mantoue, mais Ferrante voulut faire front. Il se rendit auprès de son frère, s’agenouilla devant lui et demanda son pardon.

Hélas, le rapport qu’avait fait le cardinal avait mis le duc dans l’une de ces folles fureurs qui lui faisaient perdre tout contrôle de lui-même. À peine eut-il vu son jeune frère agenouillé devant lui que, descendant de son siège ducal comme un fou, il tira sa dague et, l’en frappant au visage, lui creva un œil.

— Comme cela, cria-t-il, tu seras semblable à ton complice !

Après quoi, il fit enchaîner Ferrante dans les prisons souterraines du château. Puis, il s’occupa des autres. Sous la menace, les Gonzague durent renvoyer Jules, mais Jean de Gascogne réussit encore à s’enfuir et à gagner Rome, où il escomptait la protection du terrible Jules II. La vengeance d’Alphonse d’Este déroula ses horreurs : le comte Boschetti et les autres conjurés furent mis en quartiers et l’on attacha des morceaux de leurs corps aux portes du château. Ferrante et Jules furent condamnés à avoir la tête tranchée.

Mais au moment où les deux borgnes, enchaînés, furent amenés au pied de l’échafaud dressé dans la cour, le duc leur annonça dédaigneusement qu’il leur faisait grâce et commuait leur peine en détention à vie. On les enferma dans la tour des Lions, dans une chambre que l’on avait presque totalement murée à cet effet.

Ils devaient y demeurer de longues années. Ferrante y mourut, en 1540, après trente-quatre ans de captivité, à l’âge de soixante-trois ans. Jules y demeura cinquante-trois ans, jusqu’à ce qu’en 1559, le duc Alphonse II le libérât. Quant à Jean de Gascogne, que le pape dut livrer, en prenant soin toutefois de préciser qu’il ne devait pas être touché à un cheveu de sa tête, il fut enfermé dans une cage que l’on hissa à hauteur du couronnement de la tour des Lions. Là, mourant de faim et de soif, il s’étrangla le septième jour. Alphonse d’Este avait tenu parole : on n’avait pas touché à un cheveu de sa tête.

Enfin, Angela Borgia, cause de cette tragédie familiale, vécut à peu près heureuse dans sa montagne, sans même se soucier de l’homme qui avait à cause d’elle connu un sort pire que la mort. Elle avait un mari, des enfants… le reste n’était plus qu’une vieille histoire.

La duchesse parpaillote :

Renée de France

— Alors, ma sœur ? quelle réponse devons-nous donner au duc de Ferrare ? Êtes-vous disposée à épouser notre jeune hôte, le prince Hercule ?

Assis dans l’embrasure d’une fenêtre donnant sur l’étang des carpes, à Fontainebleau, le roi François Ier regardait sa jeune belle-sœur avec un mélange d’amusement, d’affection et d’irritation. Cette jeune fille de dix-huit ans, plus charmante que vraiment jolie, s’intéressait selon lui un peu trop à la théologie et aux lettres les plus sérieuses, et pas assez à ce qui, d’après le roi, devait être la grande affaire d’une fille de son âge : l’amour. Il est vrai que, jusqu’à présent, Renée n’avait pas eu beaucoup de chance.

Seconde fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, elle avait perdu sa mère, la pieuse, sévère et intransigeante duchesse en sabots, à trois ans et demi, et vu, six mois après, son père reconvoler avec une donzelle de seize ans, Mary d’Angleterre, d’un tempérament tellement au-dessus de son âge que, six autres mois plus tard, le bon Louis XII en était mort.

Orpheline, Renée avait vécu dans l’ombre de la reine Claude, sa sœur aînée, créature douce, bonne comme la prune à laquelle on avait donné son nom, mais plutôt effacée, et la mère de François Ier, Madame Louise de Savoie, créature beaucoup moins douce, qui s’était chargée de son éducation. Or, si François Ier aimait et admirait profondément sa mère, il admettait volontiers qu’elle pouvait être assez redoutable, surtout pour une enfant timide comme Renée. Il est vrai que Renée avait aussi pu vivre dans l’orbite de la sœur chérie de François, Marguerite d’Angoulême, princesse lettrée et raffinée s’il en était, mais que l’enfant n’aimait pas beaucoup parce que sa mère, Anne de Bretagne, avait franchement détesté Louise de Savoie et sa fille.

Oui, Renée avait été élevée sévèrement, et son précepteur, Lefebvre d’Étaples, n’avait rien d’un joyeux luron. Il avait tenu la petite princesse rigoureusement à l’écart des fêtes de la cour la plus brillante d’Europe, et même lui en avait inculqué une certaine aversion, lui montrant messire Satan embusqué sous tant de sourires, de fleurs et de musique. Devenue jeune fille, Renée avait vu mourir sa sœur Claude avant de pâtir, comme tout le monde en France, de la captivité du roi après le désastre de Pavie. Certes, la cour n’avait plus rien de gai, à ce moment, et Madame Louise, régente du royaume, veillait de près à ce que chacun partageât sa douleur et son angoisse.

— Alors, ma mie ? répéta François. Que dirons-nous ?

La jeune princesse baissa la tête et détourna les yeux pour cacher une subite rougeur qui eut le don de mettre en joie le roi-chevalier.

— Nous dirons oui, Sire… s’il plaît à Votre Majesté.

— Il plaît, Renée, il plaît même beaucoup ! J’espère qu’il en est de même pour vous ?

Pour toute réponse, la jeune princesse rougit plus fort, tandis que son beau-frère l’embrassait en riant et en disant qu’il allait annoncer la bonne nouvelle à la cour. C’était vrai : Hercule d’Este, fils aîné du duc Alphonse de Ferrare et de sa défunte épouse Lucrèce Borgia, était un très beau garçon, âgé tout juste de vingt ans, fort cultivé, chose qui avait de l’importance aux yeux de Renée, très ami des arts (ce qui en avait moins, car elle était seulement sensible aux lettres) et excellent cavalier. Tout de suite, quand il était arrivé quelques jours plus tôt, le 22 mai 1528, elle l’avait trouvé charmant mais s’était bien gardée de fonder quelque espoir là-dessus. Tant de fois, on l’avait fiancée sans résultat ! Au duc de Savoie, au margrave de Brandebourg, au roi Henri VIII d’Angleterre et même à l’empereur Charles Quint ! Souvent, en évoquant tant de déceptions, Renée se prenait à soupirer mais, depuis qu’elle avait aperçu Hercule d’Este, elle en était venue à penser que c’était à tout prendre une bonne chose qu’aucun de ces mariages n’eût réussi.

Un mois plus tard, le 29 juin, dans la Sainte-Chapelle de Paris, le cardinal-chancelier Duprat célébrait le mariage de Renée de France et d’Hercule d’Este. Vêtue d’une lourde et somptueuse robe de pourpre et d’hermine, la fiancée rayonnait d’une beauté toute nouvelle.

— Je crois que nous avons enfin là un couple heureux, confia le roi au connétable de Montmorency. Ferrare possédera là une bonne souveraine quand le duc Alphonse aura quitté ce monde, et j’espère qu’en échange, la grâce et la légèreté de ces terres italiennes agiront sur notre trop sage princesse. Ces Este sont des artistes-nés.

— Sans doute, Sire, sans doute. Mais dans ce cas, pourquoi avoir permis à Madame Renée d’emmener avec elle Mme de Soubise, qui fut sa gouvernante et la vieille amie de sa mère, ainsi que les Pons, ses fille et gendre ?

Le roi haussa ses larges épaules.

— Le moyen de les lui refuser ? Renée m’a instamment prié de permettre leur départ et le jeune Hercule ne s’y est point opposé.

— Parce qu’il ne les connaît point. Je gage, Sire, qu’il ne tardera guère à s’en repentir. Mme de Soubise est encore plus sévère et intransigeante que ne l’était la feue reine Anne.

— Et ce n’est pas peu dire, fit le roi en riant. Mais l’amour opère bien des miracles, mon compère. Et Madame Renée est amoureuse.